Monsieur le Ministre,
La signature du CPER entre la Collectivité territoriale de Corse et l’Etat s’inscrit dans un contexte particulier au regard de notre situation.
D’un point de vue général, l’Etat diminue les dotations de toutes les collectivités locales. Au regard de son endettement chronique voire maladif, un ancien Premier ministre déclara il y a quelques années en Corse : « l’Etat est en faillite ». L’effort pourrait donc sembler louable.
Néanmoins, en ce qui nous concerne, collectivité décentralisée, notre plus forte dépendance aux dotations de l’Etat que les autres régions (66 % contre 41 % des ressources en 2013), à laquelle on ajoute un mode de calcul défavorable voire discriminatoire de contribution au redressement des finances publiques (90 € par habitant pour la seule CTC contre 30 € en moyenne pour les régions), me conduit aujourd’hui à observer que la contribution de l’Etat au CPER est très largement inférieure à celle qui nous est demandée pour son redressement. Vous venez donc nous annoncer que vous allez nous rendre une partie seulement de ce qui nous a été injustement soustrait.
« Injustement », pour au moins deux raisons. La Corse souffre et vous le savez, d’un retard historique en termes d’infrastructures, de formation, d’emploi, de développement social et culturel. Notre élection en décembre dernier a manifesté une volonté forte de la part des Corses de soutenir un changement de logiciel pour sortir de la dépendance, de l’assistanat, du népotisme et du clientélisme à l’égard desquels l’Etat a souvent été trop complaisant. Depuis des mois, nous mesurons combien sont grands les espoirs des Corses, ceux qui ont voté pour nous, mais aussi ceux qui ont voté pour d’autres listes ou qui se sont abstenus. Nous sommes le dernier espoir pour notre jeunesse comme pour nos anciens. Cet espoir a besoin de vivre, il a besoin d’être ressenti et vécu en un mieux-être partagé. Pour cela, la CTC a besoin de ressources, de moyens, de recettes propres au regard de la richesse qu’elle crée dans notre pays. Cette urgence est forte compte tenu d’une part de la situation que connait la Corse, et d’autre part de la période transitoire et fondatrice de notre collectivité unie. Celle-ci aura besoin de ressources propres pour investir, pour construire la Corse de demain. Or à ce jour, c’est la CTC, la collectivité qui a le plus besoin d’investir, qui est la plus lourdement frappée par les restrictions budgétaires de l’Etat !
Ne vous y trompez pas Monsieur le Ministre, nous ne demandons pas de nouveaux subsides à l’Etat. Nous ne vous demandons pas une rallonge budgétaire pour faire face à la situation exceptionnelle que nous avons trouvée à notre arrivée. En tant que Président de l’Assemblée de Corse, je vous rappellerai seulement que le 19 décembre 2014, notre assemblée a délibéré en faveur d’une importante réforme fiscale pour la Corse.
Cette délibération prévoyait déjà que « la politique nationale d’assainissement des finances publiques aura un impact d’autant plus important sur l’équilibre budgétaire de la Collectivité territoriale de Corse qu’elle est largement plus dépendante des dotations de l’Etat que l’ensemble des autres régions métropolitaines ». Les chiffres d’aujourd’hui nous donnent raison.
En outre, elle remettait une fois de plus à l’ordre du jour la question sensible de la fiscalité sur les successions suite à l’abrogation de l’arrêté Miot. Jeudi prochain, 1er septembre, avec le Président de l’Exécutif, nous réunirons l’ensemble des Parlementaires de l’île. Il s’agira d’élaborer une stratégie commune afin que les Corses n’aient pas à vendre leur patrimoine pour s’acquitter de leurs impôts.
En décembre 2014, l’Assemblée de Corse formulait un certain nombre de propositions s’agissant de la fiscalité du tabac, des droits de francisation, de la mise en œuvre d’une « zone franche de montagne », de la création d’une taxe pour le développement durable et la « citoyenneté environnementale » et de la mise en place de mesures de soutien aux entreprises corses.
Par ailleurs, déjà dans la perspective d’améliorer l’autonomie financière de notre collectivité, de responsabiliser élus et citoyens, elle proposait le « transfert à la Collectivité territoriale de Corse d’une partie du produit de la TVA perçue en Corse, en substitution de la dotation générale de décentralisation et de la dotation générale de fonctionnement ». Nous ne vous demandons rien d’autre que le droit d’être responsables du développement de notre pays.
Dans le cadre de la réforme territoriale et institutionnelle déjà en cours et que nous poursuivons, elle demandait au précédant Président du Conseil exécutif de défendre auprès du gouvernement l’inclusion de ces mesures dans le projet. Près de deux ans plus tard, force est de constater que sur toutes ces questions, à l’exception de la fiscalité des successions, nous n’observons que le refus ou l’absence de réponse du gouvernement.
Concernant la montagne, qui est une des principales caractéristiques physiques de notre île, nous vous avons d’ores et déjà présenté de nombreuses orientations encore sans réponse. Au cours de la précédente mandature, l’Assemblée de Corse avait délibéré et formulé de nombreuses propositions notamment au sujet de la fiscalité. Pour notre part, outre la demande de création d’une zone fiscale spécifique rurale et de montagne, nous vous avons sollicité le droit d’affecter le reliquat de l’excédent de la continuité territoriale sur les infrastructures terrestres, bien évidemment dans une visée multimodale. Nous défendons également auprès de vos services, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, la mise en place de coefficients d’insularité permettant de protéger nos écoles rurales pour y maintenir les enfants scolarisés et accueillir de nouvelles familles. Par ailleurs, la gouvernance institutionnelle de ces territoires doit à notre avis relever des acteurs et non pas des desiderata ministériels ou de la DGCL, également critiqués jusqu’à Paris. Qui mieux que les maires de nos villages serait en capacité de définir les nouveaux périmètres des EPCI ? C’est précisément avec eux que nous avons réactivé le Comité de massif et que nous allons présenter un Plan de développement de la montagne avant la fin de l’année. Voyez Monsieur le Ministre, si votre méthode est verticale, la nôtre est résolument horizontale. Nous agissons dans la concertation, dans le dialogue, pour tous ces sujets comme pour la future Collectivité de Corse.
Concernant les orientations du CPER, je dirai simplement qu’elles figurent dans notre programme. Je ne pourrai donc qu’y souscrire : ce sont les nôtres.
La Corse a longtemps souffert d’une fracture territoriale entre des territoires urbains en expansion et un monde rural en déclin. Elle connait aujourd’hui une seconde fracture, très sensible, qui touche les populations urbaines les plus défavorisées. Il nous faut investir ces quartiers par des politiques de la ville ambitieuses, généreuses, porteuses de notre culture, de notre langue pour que le pouvoir d’être Corse soit plus fort que les influences de toutes sortes transmises par parabole ou par Internet.
Dans notre île, la voiture est reine, probablement pour le sentiment de liberté qu’elle procure, mais aussi parce que nos transports collectifs publics ou privés ne sont pas suffisamment connectés entre eux. Développer la multimodalité des transports doit être une orientation forte, à la fois sociale, culturelle et environnementale.
Si les orientations du CPER sont un point d’accord entre l’Etat et la CTC, la signature cet après-midi de la convention sur les emprunts toxiques, ne saurait nous faire oublier le refus ou le silence de l’Etat à l’égard de certaines délibérations de l’Assemblée de Corse adoptées à de très larges majorités -et qui pour certaines d’entre elles n’impliquent aucunement une révision constitutionnelle-, et le traitement discriminatoire dont est victime la CTC par les services de l’Etat qui captent des impôts que notre assemblée souhaite territorialiser et qui en outre restreignent ses dotations en y appliquant un calcul spécifique défavorable à notre collectivité.
Voici Monsieur le Ministre, en quelques mots, l’expression de notre sentiment en ce jour, partagé entre notre volonté inébranlable de défendre les intérêts des Corses et notre déception s’agissant de l’attitude de l’Etat dans des domaines vitaux pour l’avenir de notre pays.
JEAN GUY TALAMONI
PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE DE CORSE
29 AOUT 2016