La prise de conscience a beaucoup progressé en un an. Le règlement pour l’avenir de la crise des déchets en Corse passe obligatoirement par la collecte et le traitement séparé des fermentescibles (ou bio-déchets), c’est à dire la fraction des ordures ménagères qui est à l’origine des nuisances alors qu’elle est la part la plus facile à recycler de façon biologique via la fabrication de compost.
J’ai moi-même animé plusieurs réunions qui ont sensibilisé les élus, et informé aussi car les « idées reçues » étaient nombreuses. Il a falut convaincre de l’importance de cette action, notamment dans les zones à forte densité d’hébergement touristique car l’été est la saison des bio-déchets, avec un pic de consommation des fruits et légumes, et avec l’afflux d’une population qui, à travers les structures d’hébergement et de restauration, génère un surplus très important de ce type de déchets.
Certains, notamment en Balagne, ont lancé leur collecte en ce tout début d’été. Un mois après, la mise en place est là, certes perfectible, mais déjà performante. Manifestement c’est le bon chemin pour sortir de la crise !
Ci contre une interview de François Marie Marchetti, Président de la Communauté de Communes de Calvi-Balagne, accompagné de Sophie Dallest-Franchi et Daniel De Lemos, responsables de la mise en place de cette collecte.
Les projets fourmillent, les choses avancent, et il faudrait une « machine territoriale » plus efficace pour généraliser et accélérer les choses. Car la crise est là, les exécutoires pour l’enfouissement sont à saturation, il faut aller plus vite encore, et surtout plus loin. Cependant, nous sommes sur la bonne voie.
François Marie Marchetti
Le tri des bio-déchets est très bien fait. C’est une grande satisfaction !
Comment avez-vous procédé pour mettre en place le tri dès le mois de juin cette année ?
Nous avions déjà mis en place en janvier une structure capable de s’engager concrètement, avec notamment le recrutement de deux personnes comme « ambassadeurs du tri ». Début février, j’étais avec eux à la réunion organisée à Lama par la Communauté de Communes d’E Cinque Pieve pour évoquer avec vous l’expérience de Girolata, et nous avons été confortés dans l’idée qu’il fallait commencer par les points de collecte fortement producteurs de fermentescibles. Les deux plus gros sont le Club Méditerranée de Lumiu (1.000 repas/jour) et la Légion à Calvi (2 fois 700 repas/jour), et il y a en tout 250 points qui ont été recensés, puis visités un par un par nos deux ambassadeurs du tri. A chaque fois on a fait un dossier qui listait leurs besoins en matériels, en sacs compostables, en bio-seaux ou en containers dédiés pouvant être repris par le système de levage du camion de collecte. Dans le même temps on a fait le point des autres collectes de déchets triés, et ce « tour de piste » a permis de compléter et d’améliorer des dispositifs qui étaient parfois insuffisants pour les cartons, les verres ou les emballages.
Depuis le tri des bio-déchets s’est mis en place progressivement. On a commencé par collecter les plus gros, puis on a généralisé auprès des espaces à forte densité de restaurants comme le port et le centre de Calvi, en surmontant les obstacles de l’étroitesse des lieux et du manque de place. Lors de l’enquête, la plupart disaient qu’ils n’auraient pas assez de place pour réaliser ce tri supplémentaires, mais on a visité les lieux, dégagé les solutions avec eux, et on couvre en fait 100% des cas.
Et pour le traitement ?
Vu le temps très court pour se mettre en place, on a sous-traité le traitement des bio-déchets collectés à une plate-forme de compostage qui existe en Plaine Orientale, auprès de l’entreprise Francisci. Certes, la distance est longue, mais on fait bien les mêmes distances pour les OM mélangées ! Mais l’objectif à terme rapproché est bel et bien de localiser un centre de compostage en Balagne, en accord avec les autres Communautés de Communes. Et ce projet verra d’autant plus facilement le jour si on constate qu’il y a déjà plusieurs centaines de tonnes de bio-déchets à traiter car ils sont collectés sur place. Nous avons négociés des contrats avec l’entreprise Francisci, et sollicité du Syvadec la possibilité de les passer directement. Le Syvadec a accepté, et nous avons commencé. Depuis, l’entreprise Francisci a été lauréate de l’appel d’offres lancé par le Syvadec et nous avons rejoint la démarche générale. Je pense qu’on a ainsi contribué à ce qu’elle voit le jour.
Comment se fait le transfert jusqu’à la Plaine Orientale ?
L’entreprise Francisci, dans le cadre de son contrat, met à disposition de la Communauté de Communes une benne étanche qui est enlevée et remplacée deux fois par semaine. Au départ, elle était de 10 m3, mais on va passer à 17 m3 car cela fonctionne très bien. Il n’y a pas de nuisances, en fait les bio-déchets pris séparément se décomposent avec beaucoup moins d’odeurs que quand ils sont mélangés à la masse des déchets. Quant au compostage il est fait de façon très professionnelle, à partir de déchets parfaitement triés.
Un mois après, quel est le premier bilan ?
Nous avons commencé le 7 juin au Club Méditerranée, puis quelques jours après à la Légion, et progressivement depuis jusqu’à généraliser aux 250 points de collecte inventoriés au départ. Nous avons mis un petit camion affecté à cette collecte car il faut serpenter dans les ruelles de Calvi, et cette collecte a lieu une fois par jour pour l’ensemble de la tournée, l’après-midi après le service, et même une deuxième fois tard le soir au centre de Calvi car on craignait la saturation dans les espaces réduits. On verra en fin de saison si ce surcoût est justifié, et on ajustera l’an prochain. Notre projet c’est d’avoir une démarche volontariste, peut-être surdimensionnée en coûts au départ, mais qui ne prenne aucun risque avec la qualité du service pour les restaurateurs. En contre-partie il se sont engagés tous, nous les visitons régulièrement et ils acceptent nos remarques, la collaboration est excellente.
Quelles quantité pour l’instant, et quelle qualité du tri ?
Contrairement aux préjugés, le tri est très bien fait au niveau des commerçants. Nous les avons associés en mettant en place une redevance incitative. Chaque restaurateur s’acquitte d’une redevance spéciale. Si le tri n’est pas fait, il s’expose à un malus de 50%. Pour un petit restaurant ce malus serait de 1.000 €, pour la Légion, le plus gros producteur, il s’élèverait à 15.000 €. Le seul incident répertorié est un pied de parasol qui avait été probablement oublié au fond de la benne de transfert ! Les sacs bio-dégradables sont à peu près transparents, et on peut voir à l’œil que le tri est très bien fait. C’est vraiment une grande satisfaction.
En juin, on a collecté 60 tonnes. Mais ce chiffre est partiel, car nous n’avons pas commencé au début du mois, et il y a eu une période de montée en puissance.
Nous sommes encore en discussion pour la collecte de grandes surfaces, qui sont des très gros producteurs de bio-déchets, car il doivent limiter les déchets carnés qui sont réglementairement traités par une autre filière.
Le chiffre potentiel pour juin si tout avait démarré au premier du mois est au moins 120 Tonnes. Après, on sait que le tourisme génère beaucoup de volume, et on connaît la montée en puissance de la fréquentation en juillet, puis en août et l’arrière-saison est forte aussi. Je suis sûr qu’on franchira les 500 tonnes, et qu’on s’approchera des 1.000 tonnes. Sur un total jusque là envoyé en décharge de 9.300 tonnes.
Même dans l’urgence, et sans expérience, on le voit, les résultats seront significatifs. C’est une réussite quantitative, et aussi qualitative, tant pour la qualité du tri que pour l’adhésion des professionnels.
Et dans les villages ?
Nous avons lancé deux opérations-tests à Galeria, Mansu, et Sant’Antuninu. Ce sont deux profils différents : Galeria/Mansu a un profil touristique, mais aussi agricole et rural avec un habitat dispersé qui conduit à une organisation de type « porte à porte ». Sant’Antuninu est peu habité mais très visité, et sa configuration interdit une collecte au porte à porte. L’organisation est donc celle de l’apport volontaire. Dans un cas comme dans l’autre ça marche très bien. Nous pourrons étendre l’an prochain aux 17 communes de la CC Calvi-Balagne, ce qui généralisera progressivement la collecte des bio-déchets aussi aux ménages. En deux ans, on peut avoir 20% à 30% en moins dans les camions qui partent vers l’enfouissement et atteindre un taux de tri global au delà de 50%. Avant, nous étions arrivés à 25% sur les verres emballages et journaux, ce qui, pour la Corse, était un bon score. Avec le tri des bio-déchets, on franchira un seuil important.