#Corse Assemblée Générale d’A Manca – Textes – « Corsisation des Emplois »

Un débat portant sur la notion de Corsisation des Emplois a récemment traversé les rangs d’A Manca. Statutairement le droit de tendance est reconnu et différentes positions peuvent être défendues. Deux motions A et B seront donc soumises au vote lors de la prochaine A.G. Les deux positions sont restituées ici, l’une à la suite de l’autre.

CORSISATION DES EMPLOIS – MOTION A

Refermer la boîte de Pandore.

« Pandore ouvrit la boîte, libérant ainsi les maux qui y étaient contenus. Elle voulut refermer la boîte pour les retenir ; hélas, il était trop tard. Seule l’Espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée ».

Des dogmes faisons table rase.1

Corsisation des emplois : cette revendication figure dans notre programme. En tant que militant révolutionnaire, anticapitaliste, antifasciste et partisan du droit à l’autodétermination du peuple Corse, je souhaite que mon organisation, A Manca, après mures réflexions et débats, expurge de son contenu programmatique, cette thématique extérieure au discours révolutionnaire.

La démarche n’est pas aisée. Pour les plus anciens d’entre nous, s’ils en sont d’accord, cela constitue une rupture , mais notre engagement anti-colonialiste et anti-impérialiste, qui date de plusieurs décennies, est marqué d’une constante majeure. Celle qui consiste à rejeter le dogmatisme, plus encore à le combattre sans concession, en tant que péril menaçant toutes les luttes d’émancipation. Toutes les bureaucraties contre révolutionnaires par essence même, se caractérisent entre autres aspects, par cette posture de « gardiens du temple » qui se veut leur conférer une légitimité indiscutable et au nom de laquelle sont stigmatisés les « déviants ». Terminologie par laquelle sont désignés toutes celles et ceux qui font usage du droit au doute et à la pensée critique, pour ne pas dire à une pensée dialectique, elle même intégrant une dose de complexité2.

Cette bureaucratie n’est pas du seul apanage des organisations staliniennes, post-staliniennes ou crypto-staliniennes. Les directions des organisations majoritaires au sein du mouvement national n’ont rien à envier, de ce point de vue, à ce chancre qui a considérablement contribué à dévoyer les processus révolutionnaires, quand il ne les a pas férocement réprimé. C’est donc le propre des réactionnaires, ou de celles et ceux qui sont en voie de le devenir, que de se référer au dogme, même si par pure hypocrisie, ils se défendent « d’en être », ne voulant voir à fin de propagande, du dogmatisme, que chez les autres. Les idéologues de la droite, à longueur de médias3, se distinguent eux aussi dans cet exercice. Or A Manca ne peut être rangée dans ces catégories, ce qui nous autorise sereinement à prendre ce débat à bras le corps . J’ose presque dire : sans totems ni tabous…

Des nationalismes faisons table rase.

Corsisation des emplois donc. Pour les plus jeunes militants et sympathisants, cette revendication leur est familière, car elle a depuis des décennies franchi le strict périmètre des organisations nationalistes et est présente au sein de fractions larges de la société, toutes classes sociales confondues. Notons qu’elle est amplement partagée par une très forte majorité de la jeunesse corse. Mais c’est également une ligne de fracture au sein du monde du travail. Là où des intérêts de classe communs peuvent potentiellement contribuer à son unification, au moins dans les luttes, cette revendication, parce qu’elle introduit un élément de différenciation identitaire, divise les travailleurs aux seul avantages du patronat, de l’interclassisme nationaliste et des formations hostiles à la reconnaissance effective du peuple Corse.

Elle permet , pour l’exemple, aux dirigeants du PCF et de la CGT, de conserver sous leur influence une partie des travailleurs, lesquels n’ayant pas d’origines corses, se sentent et se vivent comme exclus et ostracisés. Dernier phénomène qui touche particulièrement les immigrés, même s’ils sont souvent présents en Corse depuis au moins deux voire trois générations. C’est ainsi qu’à partir du rejet d’un slogan qui peut ouvrir la porte à toutes les dérives xénophobes, ce parti et ce syndicat, non sans opportunisme, se refusent à considérer qu’il y a une question nationale en Corse. Dissimulant pour l’occasion, des penchants nationalistes, eux noyés dans le fatras d’une défense des « valeurs » républicaines, fourre-tout ou figure en bonne place ; « la défense de l’intégrité du territoire de Dunkerque à Bunifaziu ».

Elle fait donc intégralement partie des thèmes que le nationalisme contemporain est parvenu à populariser, par ses slogans et par ses actions, lesquels sont entrés en résonance avec une réalité incontestable et ce dans des contextes historiquement repérables.

En effet, elle a été et est toujours amplement nourrie par les attitudes, propos et actions du camp colonialiste. Camp qui va de l’Etat Français, aux colons avérés et aux colons qui s’ignorent en tant que tels (tout au moins tant que la lutte d’émancipation ne les oblige pas à choisir leur camp).

Il est donc périlleux, pour l’ensemble des raisons exposées plus avant dans le texte, de s’exposer à choisir entre deux tentations nationalistes et/ou en opposant de fait la lutte des classes et le droit des peuples minorés à l’autodétermination.

I Francesi Fora. Corsisation des emplois. Des passerelles du droit du sol au droit du sang.

En se défaisant de cette revendication, il devient beaucoup plus aisé de concilier notre internationalisme avec notre anticolonialisme. Nous ne combattons pas « les Français ».

Le slogan « Statu francesu fora » lui garde tout de sa pertinence, puisqu’il combine le double aspect « lutte d’émancipation nationale et lutte d’émancipation sociale », sans laisser de place pour autant à une dimension « ethnicisée » de la lutte. Or, le terme « corsisation des emplois » porte en lui, ne serait-ce que par sa seule expression, un germe populiste identique «  à la préférence nationale » dont les néo-fascistes font leur sel et ce , quelques soient les drapeaux sous les lesquels ils s’agitent.

Il serait par ailleurs instructif d’entendre comment et sur quels critères, des employeurs recrutent en intégrant ce concept. Faut-il justifier d’une ascendance corse ? Jusqu’à qu’elle génération une filiation est-elle reconnue comme critère d’accès à l’emploi ? On le voit bien à partir de ces deux seules questions, le terrain devient mouvant et toutes les dérives pointent leurs nez.

D’autant que dans un passé récent, à l’échelle de l’histoire s’entend, l’exécrable campagne IFF a désigné des ennemis , donc des cibles, des personnes non pas en fonction d’une hostilité active au peuple Corse, mais plus simplement en fonction de leurs origines, toutes classes confondues.

Cette période a laissé des traces. Le thème corsisation des emplois charrie en filigrane le slogan IFF et ses variantes comme Arabi Fora. Le « on est chez nous » vociféré par des émules du fascisme lors des événements dits des « Jardins de l’Empereur », trouve son inspiration nauséabonde y compris dans les thèmes véhiculés autrefois par une partie du mouvement national.

Il est manifeste que le thème de la corsisation des emplois en embarrasse plus d’un au sein de celui-ci. Ainsi le STC, s’il conserve dans son « patrimoine politique » cette revendication, hésite toutefois à en faire l’objet de campagnes soutenues, à l’exception toutefois d’actions sporadiques concernant le service public et des entreprises qui lui sont directement liées. D’une part il faut prendre en compte les postures coloniales de la quasi totalité des directions du service public qui mettent tout en œuvre pour elles « franciser » les postes clefs. Et d’autre part, il convient de prendre également en compte les demandes exponentielles d’emplois dans ce secteur, pour cause, entre autres aspects, de la montée endémique du chômage. La main mise du clanisme est également une réalité que l’on ne peut ni ne doit négliger.

Elle concerne particulièrement les postes qui n’exigent pratiquement pas de qualification. La clientèle électorale des clans et des clanistes en devenir est un enjeu majeur que ce soit au niveau des élections politiques ou que ce soit au niveau des élections professionnelles.

Le STC, tout comme la CFDT et la CGT pratique la corsisation des emplois4 dans le secteur public, à la différence que ces deux derniers syndicats s’en défendent officiellement, tout comme le clan.

Les choses sont bien différentes dans le secteur privé, ou personne ne vient revendiquer la corsisation des emplois, le patronat corso-nationaliste y compris.

_____________________Partie Soumise au vote _______________________________________

La corsisation des emplois n’est donc pas un facteur de désaliénation pas plus qu’elle ne répond aux exigences d’une justice sociale dont notre pays souffre cruellement. Elle introduit et favorise la propagation de « l’idée » du droit du sang par opposition du droit du sol et au droit que confère la « sueur partagée ». Face au capitalisme, notamment dans le contexte actuel, elle exacerbe la concurrence entre les travailleurs et les peuples et permet le maintien de la domination idéologique, économique, sociale et politique de ce système. Elle est un des ferments populistes de l’idéologie nationaliste et elle ouvre un brèche dans laquelle s’engouffre les réactionnaires des courants néo-fascistes. Appréhendée dans l’intégralité de sa logique, elle ne combat pas le chômage en tant qu’outil de pression sur le monde du travail et elle s’inscrit pleinement dans la vision de sociétés à plusieurs vitesses, au plan local comme au plan international. Elle donne à envisager ce que pourrait être une citoyenneté donnant le pouvoir aux nationaux et non pas au monde du travail en tant que producteur de richesses. Elle s’oppose donc frontalement à la perspective d’une corse sur la voie de l’éradication de toutes les formes d’aliénation. C’est pour toutes ces raisons qu’elle doit être non seulement rejetée mais combattue avec la plus grande détermination par les révolutionnaires de Corse.

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Nous devons avoir conscience qu’il n’y suffira pas sans que ne soit proposée une vision alternative, de la citoyenneté pour aujourd’hui comme pour demain.

La communauté de lutte comme ciment de la communauté de destin.

En prenant ce débat à bras le corps nous tirons sur le fil d’une pelote qui fait logiquement apparaître d’autres thèmes, d’autres problématiques auxquels ils nous faut apporter des réponses, des éclaircissements ou des réactualisations.

Qu’entendons nous par Nation ? Sommes nous nationalistes ? Que signifie droit à l’autodétermination ? La stratégie révolutionnaire et les revendications démocratiques. L’internationalisme : comment et pourquoi ? Autogestion et démocratie socialiste.

Toutes ces thématiques plus ou moins familières parmi les militants et les sympathisants, doivent faire l’objet de cycles de formation et de séminaires. Ils permettront une amélioration de la démocratie interne en tendant à harmoniser les niveaux de formation, en réduisant les phénomènes « suivistes », donc de délégation de pouvoir. A Manca n’est pas le parti de l’avant garde, elle n’a pas non plus vocation à devenir un parti de masse fondé sur une vision verticale ( un sommet et une base). C’est une organisation de classe, composée de cadres politiques, qui est au service des luttes, qu’elles soient intermédiaires ou qu’elles posent directement la question de la rupture avec tous les systèmes de domination. La lutte anticapitaliste et la lutte pour le droit à l’autodétermination du peuple corse constituent les axes majeurs, non seulement de nos réflexions mais également de l’action (Praxis).

La Corse de demain doit se dessiner dans les mobilisations d’aujourd’hui. On peut traduire cela par : «  dis moi comment tu luttes et pourquoi tu luttes et je te dirai ainsi qui tu es ». Bien entendu la question concrète du projet de société à venir implique que l’on en dessine les contours dès maintenant. Au cœur de ce projet figure notre conception de la citoyenneté.

_____________________Partie Soumise au vote _______________________________________

A Manca considère que c’est au monde du travail, donc à ceux qui produisent les richesses de construire une société égalitaire, solidaire, autogestionnaire et socialiste. Cette construction s’inscrit dans le prolongement de la lutte historique du peuple Corse pour le recouvrement de tous ses droits.

Toutes celles et ceux qui s’inscrivent dans cette perspective sont des citoyens de plein droit. Toutes celles et ceux qui parviendrons sur notre sol après que celui-ci ait été débarrassé du système colonial et capitaliste, se verront conférer , s’ils le souhaitent tous les droits fondamentaux, à la seule condition qu’ils n’agissent pas pour le rétablissement des ordres anciens. A Manca rejette les modèles intégrationnistes et assimilateurs. Elle préconise l’accueil et l’acceptation de l’Autre, considérant que les cultures et leurs métissages fondent le patrimoine essentiel de l’humanité.

Au système étatique, A Manca souhaite substituer l’Autogestion, c’est à dire la mise en pratique horizontale des pouvoirs.

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1En tant, qu’opinions données comme, certaines, intangibles et imposées comme vérités indiscutables

2Selon Edgar Morin «  Le passage de la pensée simple (deviner, préférer, croire…) à la pensée complexe(proposer des hypothèses de solution, créer des relations, rechercher des critères, s’appuyer sur des justifications valides, s’auto-corriger…n’advient que suite à un apprentissage systématique et requiert un environnement adéquat ».

3Leur technique de communication consiste à intervenir sous couvert « d’expertise », souvent en dehors de mandats électoraux et/ou d’adhésion formelle à un parti (économistes, directeurs des instituts de sondage, journalistes de la presse dite spécialisée) et en usant d’éléments de langage destinés à conditionner l’opinion ( crise, déficit, carcan étatique, etc…). Le détournement des mots et des concepts de leurs significations premières fait également partie de cette propagande : ainsi le mot « conservateur » se veut désigner ceux qui se refusent aux « nécessaires et incontournables réformes » par opposition aux « modernistes et anticonformistes » qui eux sont présentés aussi comme des pragmatiques, des réalistes et des novateurs. Le fil conducteur de cette pensée consiste évidemment à imposer le capitalisme comme seul horizon, et ce au nom de « l’opinion majoritaire ».

4 Les filières d’embauche pour les postes les moins qualifiés dans les hôpitaux de Falcunaja, de Castelluciu et de la Miséricorde en sont hélas l’exemple incontestable. La relation entre le clan et les syndicats dans ce cas relève objectivement de la collusion, ce qui renforce considérablement les liens de dépendance et donc d’aliénation des travailleurs.


CORSISATION DES EMPLOIS – MOTION B

UNE REVENDICATION-OUTIL SANS EQUIVALENT ACTUEL
A PRECISER ET A DEPASSER

– Exposé des motifs –

Un contexte de repli sur soi sur fond de chômage de masse qui favorise toutes les confusions et tous les raccourcis.

L’accroissement de population en Corse majoritairement dû au solde migratoire engendre des fantasmes et des questionnements, sources de divisions et d’incompréhensions internes dans le monde du travail. Dans un débat public qui se cristallise autour de l’ample essor d’une propagande populiste et/ou fasciste qui cible très clairement les travailleurs immigrés, on ne compte plus les réflexes protectionnistes et réactionnaires dus aux peurs, réflexes ouvertement distillés ou tolérés, y compris par une partie de la gauche réformiste.

Assimiler automatiquement un travailleur qui n’est pas né en Corse au fait colonial, faire de chaque immigré un colon en puissance relève de la stigmatisation xénophobe, de l’invention pure et simple. Il s’agit d’une position inadmissible sur le plan politique, position que notre organisation a toujours rejetée pour ce même caractère xénophobe, rappelons-le. C’est bien l’exemple même d’un discours tenu au début des années 2000 par Olivier Martinelli, alors fer de lance et promoteur de l’introduction d’une thématique régionaliste (réactivant le souvenir des provinces d’Ancien Régime) dans le discours du Front National qui parlait alors d’ « un petit peuple menacé dans son identité par l’immigration » et repris depuis par les nationaux-socialistes locaux.

De multiples et différents facteurs expliquent le peuplement actuel de la Corse. Nous ne citerons rapidement ici que les principaux : la pyramide des âges inversée de la population corse qui engendre un déficit de main-d’œuvre, l’attrait ressenti par des saisonniers désireux de continuer à vivre leur précarité au soleil persuadés qu’ils sont de la vivre mieux, les razzias sociales et économiques opérées par de véritables colons, les réseaux esclavagistes du patronat insulaire et la volonté de retraités européens aisés de construire leurs résidences secondaires en Corse.

Tous ces phénomènes cumulés affectent le raisonnement et affaiblissent considérablement, convenons-en, la conscience de classe en Corse où sévît un chômage de masse et une précarité record. C’est là le cœur du problème.

Marx avait d’ailleurs largement argumenté sur le fait que le chômage est cette armée de réserve de travailleurs dont les riches se servent pour s’enrichir beaucoup plus vite que les travailleurs ordinaires n’améliorent leur niveau de vie.

Dans ce climat anxiogène et délétère où la conscience fait place au sentiment et puis au ressenti, les travailleurs insulaires et venus d’ailleurs sont placés artificiellement dans une concurrence pour les seuls intérêts du patronat corse et de l’État français. Le rôle pervers des fascistes, chiens de garde du Capital, est d’empêcher les travailleurs de cibler le capitalisme en tant que responsable des injustices subies.

Vivre et travailler au pays sous la double oppression capitaliste et impérialiste.

La mise en concurrence pour l’accès à l’emploi et au logement engendre de fait des tensions sociales et dans certains cas (spéculation immobilière, précarisation de la main d’œuvre) des injustices réelles, des situations inégalitaires qui entament les droits sociaux et les perspectives d’émancipation, notamment pour la jeunesse corse. Nul ne peut nier que :

  • Les spéculateurs réduisent l’accès au logement.

  • Les patrons exploiteurs d’ultra précaires importés réduisent toute notion de justice sociale et d’égalité pour l’accès au travail.

  • Les colons d’encadrements (tels que définis par Frantz Fanon) contribuent à atomiser les travailleurs corses dans la fonction publique et dans les grands comptes.

A ce tableau classique dans la division du travail imposée par la classe possédante vient s’ajouter l’action de la puissance impérialiste en Corse. Les marxistes révolutionnaires ne peuvent oublier qu’implacablement l’impérialisme use de tous les moyens pour atomiser, marginaliser, et réduire dans sa spécificité le peuple travailleur corse. Il s’agît de liquider la question de l’existence même des droits politique d’un peuple que l’on destine à la disparition.

Face à cette double oppression, la revendication des travailleurs corses et de la jeunesse « vivre et travailler au pays » ne peut être comprise que comme une mesure de justice sociale et de souveraineté populaire anti-impérialiste. C’est bien dans ce contexte, et pour répondre à cette aspiration populaire que la revendication de « Corsisation des Emplois » est apparue dans le mouvement national.

Corsisation des emplois :
Quand l’ambiguïté entretenue menace directement les intérêts de classe

La prudence et l’expérience politique au sein des structures de la Lutte de Libération nationale nous incitent à penser que le terme « Corsisation des emplois » a été dès le départ perçu selon des conceptions philosophiques et politiques diamétralement opposées. Cela est dû à la nature interclassiste des structures de la L.L.N, qui, en dehors de la parenthèse de 1991 pour une voie Corse au Socialisme vite refermée, ont toujours souffert d’apports multiples, y compris de l’extrême droite française.

Trop longtemps, un contenu précis, contextualisé et assorti d’une définition corollaire de la citoyenneté corse, n’a pas été donné -volontairement ou involontairement- à ce mot d’ordre, laissant ainsi la porte ouverte à toutes les dérives. Il n’est donc pas surprenant de voir aujourd’hui les nationaux socialistes corses et leurs alliés provisoires catholiques intégristes, voire le président de l’A.P.C et bien d’autres du même acabit, s’emparer de cette revendication sur la base du droit du sang et/ou du patronyme.

Cependant, cette grossière tentative de hold-up ne doit pas nous conduire, ni encore moins nous contraindre à « jeter le bébé avec l’eau bourbeuse du marigot fasciste » actuellement en croissance. Bien au contraire, si l’on considère qu’être militant, c’est être en quelque sorte un inlassable pédagogue de la politique et de la conscience politique, si l’on accole à ce terme celui d’engagement au service de l’élévation des niveaux de conscience et de la voie vers l’autogestion, il semble qu’en des temps de confusions extrêmes, l’engagement consiste à travailler à restituer au cœur même du champ politique et/ ou syndical les notions dans toute leur complexité et non à
l’ évacuer avec précipitation au seul prétexte de leur dangerosité potentielle.

La définition stricte donnée dans le champ syndical par le Sindicatu di i travagliatori Corsi « Préférence locale à l’embauche à compétence suffisante » est absolument imprécise et peut s’entendre différemment d’une section syndicale à l’autre. Pour certains travailleurs, cette définition est très vite assimilée à la préférence nationale du Front National et parfois prolongé par un vote politique. Mais pour certains seulement. Cette confusion est mortifère pour une partie des travailleurs syndiqués qui renforcent ainsi par ignorance leur pire ennemi de classe.

Néanmoins, il serait malhonnête d’oublier de souligner la tentative de clarification du S.T.C Educazione1 dans laquelle le seul critère d’accès à l’emploi serait fondé sur l’adhésion à la communauté de destin corse fondée principalement sur l’apprentissage de la langue corse. C’est une question ouverte, mais qui apparaît déjà plus progressiste et qui rompt par nature avec la dérive ethniciste du seul droit du sang. Elle n’affecte pas non plus le développement culturel et identitaire libre de l’individu, quelle que soit son origine.

L’usage à la fois pertinent et politiquement recevable pour un militant marxiste révolutionnaire du terme « Corsisation des Emplois » pose la question immédiate du peuple Corse et en impose la définition corollaire. Qui est corse et qui ne l’est pas ? Droit du Sol ou Droit du Sang ? Libre adhésion ou contraintes juridiques ? Cette revendication est dans les fait indissoluble de la conception que l’on a de la citoyenneté corse.

Pour A Manca, cette question n’a jamais souffert d’aucune ambiguïté ; est corse celui ou celle qui se reconnaît dans l’avenir de ce pays en y vivant et en tentant d’y travailler et qui s’inscrit dans la revendication des droits politiques et culturels du peuple corse. Pour nous, aux yeux de la richesse des brassages de populations qui ont fait notre peuple au cours de son histoire et continue aujourd’hui même de le faire, la question du sang ne se pose bien évidemment même pas. La Corse s’est toujours nourrie d’apports multiples, sa culture portée par ses populations a toujours évolué et nous vivons aujourd’hui indéniablement, et c’est tant mieux, dans une Corse multiculturelle. Il y a seulement trois mille ans de cela, les Corses n’étaient pas unifiés linguistiquement et n’étaient pas soumis aux mêmes productions d’idéologies politiques ou spirituelles. Pour autant, ils n’en forment pas moins aujourd’hui un peuple issu de sédimentations multiples.

Les limites idéologiques du droit du sang et du droit du sol.

Le droit du sang racialiste2 est une invention scientifiquement infondée servant de prétextes aux idéologies racistes. L’ADN spécifique du peuple corse n’existe pas.

Si certains entendent par là le droit par filiation en se référant au droit antique romain (jus sanguinis), cela risque d’amener à des situations très complexes, de renforcer le clanisme, qui pratique au quotidien sans le dire cette « Corsisation des emplois » avilissante. Le droit du sol est indissociable de cette approche. Dans les États-nations contemporains le droit du sang est absolu et le droit du sol est relatif.

D’un point de vue marxiste, le droit à l’autodétermination des peuples et les notions juridiques de citoyenneté sont deux choses parfaitement distinguées et appréhendées de façon spécifique.

En effet, la citoyenneté et donc les droits afférant à ce statut (y compris le code du travail et les conditions d’embauche) reposent sur le droit juridique.

Pour Marx, la théorie générale du droit repose sur la somme des litiges individuels. La norme juridique n’est donc là que pour arbitrer les litiges. Concrètement un jeune corse se sentant lésé dans l’accès à un emploi pose en premier lieu « son droit légitime à travailler » pour réclamer justice contre l’arbitraire. Immanquablement, sans normes juridiques, la barbarie refait immédiatement surface. Certes, les normes juridiques sont défendues par une police et une armée au service d’un pouvoir centralisé et les marxistes travaillent au dépérissement de cet État qui maintient les humains dans des rapports antagonistes, de classes et même au niveau individuel. Toutefois avant que soit réalisé cet idéal émancipateur et humaniste, l’État bourgeois inégalitaire doit céder la place à un État au service des intérêts de classe du monde du travail, État voué à terme à transférer progressivement le pouvoir au peuple dans une logique de promotion et d’apprentissage d’une autogestion seule à même d’éviter le piège mortel du stalinisme.

En Corse, comme dans toutes les nations dominées, la situation est plus complexe3, car le travailleur corse ne peut s’appuyer sur la norme juridique d’un pouvoir légitime, même de façon provisoire, pour appliquer une justice sociale, illusoire dans le monde capitaliste.

C’est bien pour cela que dans le cas des travailleurs des nations sans État, les marxistes internationalistes admettent l’idée que la libération nationale est un processus transitoire indispensable pour fonder un État au service des intérêts de classe du monde du travail, qui peut alors travailler librement, sans tutelle externe, à la disparition des normes juridiques bourgeoises.

Dans ce contexte, établir dans l’entreprise régie par le droit français, un droit corse qui n’est pas reconnu pose une difficulté supplémentaire aux masses corses.

La simple transcription conforme et mécanique d’un mot d’ordre sans faire œuvre de pédagogie ne suffit pas, c’est davantage l’unité des travailleurs autour de contenus et revendications clairs qui doivent primer. Personne ne doit être léser, car seul le patronat en tirerait profit. Exception faite du colon, qui par son action politique identifiée, renforce l’oppression des masses corses en relayant individuellement l’impérialisme.

In fine, les marxistes révolutionnaires ne doivent pas aider indirectement les capitalistes à diviser le monde du travail en Corse, pas plus qu’ailleurs. Mais ils doivent aussi se garder de tout angélisme et combattre toute forme d’ethnicisme quelle qu’en soit l’origine. Ce délicat équilibre, néanmoins indispensable au maintien du caractère pleinement anticolonialiste de notre double engagement de militants révolutionnaires corses, victimes spécifiques en tant que peuple d’une nation sans Etat, d’une double oppression capitaliste et colonialiste, conduit à la nécessaire et urgente précision politique de notre approche du terme « Corsisation des emplois » et à la redéfinition de mots d’ordre clairs.

Proposition de résolution

A Manca considère que le terme « corsisation des Emplois » lorsqu’il est employé seul est dangereusement imprécis et instrumentalisable par le patronat et l’extrême droite dans un contexte de prédation maximale capitaliste, de dépolitisation majeure et de brouillage des lignes.

Une réflexion salutaire sur la pertinence de ce mot d’ordre et ses principes d’applications est nécessaire.

A Manca s’oppose et combattra la récupération de ce mot d’ordre par les divers courants de l’extrême droite nationale ou régionaliste car elle refuse de se trouver privée d’un outil dans les luttes par une indigne OPA fasciste qui dénature la notion de « corsisation des emplois » par la racialisation de la citoyenneté corse.

Notre approche de la question de l’accès au travail en Corse s’articule autour de revendications claires :

– La lutte contre la dérive ethniciste du droit du sang comme unique critère d’embauche et pour cela la promotion systématique en corollaire d’une définition de la citoyenneté corse.

– La lutte contre la colonisation ethnicide d’encadrement.

– La lutte contre la discrimination à l’embauche des jeunes corses.

– La promotion du droit à l’autodétermination du peuple corse dans les entreprises.

– La promotion du droit fondamental du peuple corse à vivre et travailler dignement sur sa terre.

– La promotion d’une solidarité internationaliste des travailleurs issus des États constitués avec les travailleurs corses vivant sous la tutelle impérialiste française.

Sans interférer dans les débats syndicaux, a Manca appelle à la popularisation de ces mots d’ordre et à faire œuvre de pédagogie dans tous les champs d’intervention. L’adhésion la plus massive possible doit conduire à l’unité du monde du travail sur des bases internationalistes, favorisant les droits légitimes du peuple corse, dans l’attente de pouvoir légiférer juridiquement, y compris pour l’amélioration du droit du travail et le renforcement des acquis sociaux.

1 Notons que depuis 2015, le STC educazione a obtenu un début d’avancée pour les jeunes enseignants corses. Il s’agit d’un projet académique spécifique à la région, voté à l’unanimité par la CTC et mis en place par l’université de Corse au travers de l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Corse (ESPE). Il veut donner une bonification de mille points lors du mouvement qui nomme les enseignants en poste pour permettre aux jeunes corses de vivre et travailler au pays grâce à l’obtention de la certification langue corse de niveau B2. Les néo-titulaires corses seraient ainsi en possession des points nécessaires pour exercer sur l’île.

Ce système s’inspire de l’existant dans les DOM, soit l’adoption du dispositif Cimm (centres d’intérêts matériels et moraux).

2 Ces théories forment un agrégat confus qui s’inscrit au XIXème siècle dans l’affirmation du darwinisme social qui pervertit la théorie de l’évolution darwinienne pour justifier la prétendue « sélection naturelle » entre les individus et au-delà entre les « races ».

3 Franz Fanon ne parle-t-il pas en outre, au-delà de la question de la norme juridique, du « double voile » à la fois capitaliste et colonialiste qui obscurcit la conscience du peuple dominé formant une nation plurielle sans Etat, double voile qu’il s’agit de lever.

A MANCA

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