A l’issue d’une première rencontre d’une heure et demie de Manuel Valls avec les nouveaux élus de la Corse, trois commissions –sur la langue, sur le foncier, sur les institutions et la future Collectivité Unique- ont été annoncées pour éviter que ce premier contact ne reste sans perspective aucune.
Mais la glace n’est pas rompue, loin de là ! Car, pour dialoguer, il faut être deux. Manuel Valls, sur fond d’une communication « républicaine » tous azimuts liée au contexte créé par le terrorisme islamiste, n’a donné aucun signe d’ouverture sur la question corse.
Du côté corse, nos représentants ont affiché un esprit de dialogue ouvert. En face, Manuel Valls a campé sur ses positions et, par son silence médiatique à l’issue de la réunion, il a fait sentir ses « extrêmes réserves ». L’appareil d’Etat fait bloc autour de lui. Et la noria des journalistes, prompts à épouser la norme jacobine, emboîte le pas.
Les deux Présidents nationalistes corses, Gilles Simeoni et Jean Guy Talamoni, devant des medias qui redécouvrent à travers leur élection qu’il existe un peuple corse, font face en continu aux journalistes qui scrutent leurs déclarations et leurs actes à chaque instant. Comme lors des évènements de fin d’année aux Jardins de l’Empereur, nombreux sont ceux qui cherchent à provoquer un faux pas.
Mais, dans le même temps l’opinion française découvre un discours inédit pour elle, porté sans agressivité inutile. Elle découvre une nation corse, fondée sur l’Histoire et sur la volonté d’un peuple bien vivant qui l’a exprimé avec force dans les urnes. Cette réalité, qu’on leur avait présentée jusqu’à présent comme un quarteron cagoulé, s’incarne désormais, sur leurs écrans de télé, à travers les deux représentants officiels et légitimes de l’Assemblée de Corse.
Les Français, en leurs tréfonds, savent qu’ils ont bien peu à craindre d’une Corse où l’on parle corse, y compris dans les écoles et à la tribune de l’Assemblée de Corse. Au contraire, si on les interroge, à moins de croiser Jean Luc Mélenchon, Jean Pierre Chevènement ou Manuel Valls sur les trottoirs parisiens, ils sont très nombreux à trouver que c’est bien. Et chaque intervention médiatique de Gilles Simeoni renforce cette perception que Manuel Valls voudrait tant contrebattre.
En fait, le nouveau rapport de forces doit désormais se construire aussi au sein de l’opinion publique française. C’est un terrain nouveau, où il faut manœuvrer avec finesse. Une stratégie de communication doit être réfléchie, et relayée en Europe pour qu’elle rebondisse au plan international. Car c’est là que sont les arguments les plus convaincants.
Comment comprendre en effet qu’un Etat européen comme la Grande Bretagne décide de la co-officialité de la langue galloise dès l’instant que les élus du Pays de Galles en ont ainsi délibéré, et qu’un gouvernement français explique au peuple corse que c’est impossible ?
Comment admettre qu’il existe, en tant qu’acquis historique, un concordat en Alsace et qu’il soit interdit d’envisager de prolonger les Arrêtés Miot, en vigueur en Corse depuis plus de deux siècles, par une fiscalité spécifique des successions pour combattre la spéculation immobilière ?
Comment justifier le refus d’inscrire la spécificité corse dans la Constitution française, afin d’ouvrir la porte à un statut d’autonomie, alors que l’ilot inhabité de Clipperton y a pris place et que l’autonomie est la règle pour les îles en Europe ?
Voilà les questions concrètes qui doivent être portées dans le débat public français. La médiatisation de l’heure, dans la suite de l’élection de décembre dernier, permet de les mettre sur le devant de la scène. Mais, dans quelques semaines, la décrue médiatique surviendra inévitablement, et il faudra alors de nouveaux ressorts pour porter le débat, pour le faire entendre durant l’élection présidentielle, et pour l’imposer à la nouvelle majorité qui prendra les rênes du gouvernement français. Car le temps de Manuel Valls est compté. D’ici six mois, ce gouvernement ne fera plus que gérer les affaires courantes.