2016 s’annonce difficile pour le dossier des transports maritimes. Le jugement du tribunal de Marseille attribuant la SNCM au groupe Rocca n’a pas mis un terme à l’incertitude qui règne.
Les candidats évincés, Baja Ferries et Corsica Marìttima, désormais alliés, ont décidé de mettre sur pied une compagnie concurrente, et, en réponse immédiate, les marins de la SNCM/Rocca et de la CMN seront en grève dès le 5 janvier prochain : la situation va vite devenir critique.
Actuellement la CMN, co-attributaire avec la SNCM de la Délégation de Service Public entre Marseille et la Corse, s’est substituée à la SNCM au plan juridique, puis sous-traite aux bateaux de l’ex-compagnie publique leur part de desserte. Si bien que bateaux et marins ont continué leurs rotations, hier sous pavillon SNCM, et, dès le premier janvier, sous le pavillon du repreneur, filiale de l’entreprise Rocca. Le plan social validé par le tribunal a soulagé la masse salariale de l’entreprise pour qu’elle ait une chance de trouver son équilibre autour de l’activité fret assuré par des cargos mixtes capables d’embarquer également une fraction du trafic passagers, surtout hors saison. Mais tous les calculs économiques se font à périmètre constant : nombre de remorques transportées, de marins affectés et taux de remplissage des bateaux. Seule concurrence en place : la Corsica Ferries, mais au départ de Toulon alors que Marseille est la plaque tournante du trafic de marchandises pour la Corse, et en trafic marginal sur des paquebots dévolus au trafic passagers.
Qu’un nouveau bateau consacré au transport de fret s’ajoute au départ de Marseille, avec sa clientèle attitrée car ceux qui l’affrètent sont les concurrents insulaires de la holding d’entreprises Rocca, et le trafic sera inférieur aux prévisions, amenant à court terme à un risque de déséquilibre économique de la société maritime tout juste remise sur pied. Et cela annonce aussi une concurrence qui sera rude en octobre prochain, quand seront débattues les nouvelles délégations de service public.
En fait la bataille n’est pas navale mais terrestre, sur le terrain de l’économie insulaire dans ses secteurs clefs : transports, particulièrement ceux liés aux importations, et grande distribution. Le groupe Rocca est un « géant économique » à l’échelle de la Corse, avec une position ultra-dominante dans les transports, plus de 50% de part de marché, une activité immobilière intense, particulièrement en région ajaccienne, une position dominante dans le secteur des déchets, et la maîtrise de plusieurs enseignes de grande distribution comme Décathlon, Conforama, et bientôt Auchan qui installe à Mezavìa un nouveau géant insulaire de la grande distribution. Sa croissance s’est faite au détriment des autres acteurs économiques qui analysent que sa position désormais confortée par la prise de contrôle du transport maritime entre Corse et continent les obligent à réagir. Et ils le font là où il est le plus faible, car la nouvelle compagnie créée sur les cendres de la SNCM est, pour l’instant, davantage un compromis social et politique qu’une construction économique robuste.
La grève décidée par les marins de la nouvelle compagnie et ceux de la CMN vise à instaurer un blocus pour le fret à destination de la Corse, qui oblige les responsables politiques à s’impliquer pour préserver le modèle économique sur la base duquel les emplois peuvent être sauvegardés. Mais, ce qui était un sujet récurrent de toutes les mandatures depuis 1982, change de nature : ce n’est plus face à des compagnies extérieures et à des intérêts essentiellement marseillais qu’il faudra s’affronter, mais à des acteurs économiques corses, et à des situations de monopoles locaux qu’aucune loi ne permet d’encadrer car en Corse seules valent les lois générales françaises sur les trusts, tout à fait hors de proportion avec les réalités d’une économie de 320.000 habitants.
La nouvelle majorité en fera rapidement le constat : sans une autonomie législative et réglementaire, la Corse ne peut pas trouver une solution durable, qui, tout à la fois, permette la concurrence, interdise le dumping social et limite structurellement les situations de monopole préjudiciables à l’économie insulaire.