Six jours après avoir été désignés par les urnes pour siéger à l’assemblée de Corse les élus nationalistes livrent, en exclusivité pour Settimana, leurs projets, leurs espoir et leurs actions à venir.
Avant sa fugue ajaccienne, nous l’avons rencontré dans son bureau au quatrième étage de la mairie de Bastia qu’il s’apprête à quitter pour ses nouvelles fonctions exécutives. Si ses nuits ont singulièrement raccourci depuis dimanche, ce n’est certainement pas pour célébrer la victoire de « Pè a Corsica » dimanche. Il enchaîne les rendez-vous et les consultations sur deux fronts qui ne sont pas tout à fait distincts : la gouvernance de la Collectivité territoriale de Corse, et la succession à la tête de la municipalité bastiaise.
Gilles Simeoni n’a même pas le temps de s’endormir sur ses lauriers… Entre nous, l’ampleur de la victoire ne vous a-t-elle pas pris de court ?
Elle ne nous a pas pris de court, elle nous a surpris. Nous avions ressenti des signes précurseurs extrêmement positifs, mais personne, je crois, ne pouvait prévoir une victoire aux allures de raz de marée. J’avoue m’être interrogé, et je pense qu’au-delà de tous les facteurs déjà évoqués, la mobilisation exceptionnelle des militants sur le terrain, l’offre politique que nous avons construite à travers la fusion de Femu a Corsica et de Corsica Libera, le soutien direct ou indirect des listes Rinnovu, Orsucci et De Gentili, il y a eu cette rencontre directe, humaine, sincère, avec les Corses pour leur demander, individuellement, de se déterminer en femmes et en hommes libres et de faire comme si leur bulletin était celui qui, à lui seul, allait décider de leur propre avenir et de l’avenir de la Corse.
Et c’est ce message-là, personnel, qui, selon vous, a pu emporter l’adhésion ?Je n’aurais pas l’arrogance de dire que les Corses ont écouté mon message, mais je pense qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes, quels que soient d’ailleurs leurs idées politiques et leur vote au premier tour, qui se sont déterminés de cette façon-là, et comme ils se sont déterminés de la même façon, ça a contribué à l’ampleur du score. Alors oui, il y a un vote d’adhésion très fort, mais également des gens qui sont venus simplement nous dire : on vous fait confiance pour porter la dynamique du changement et l’élargir à d’autres. Dans mon esprit, c’est très clair.
Est-ce que ça vous donne d’autres ambitions, pour les législatives par exemple?
Non, non, absolument pas.
Quel est le message qui vous a le plus ému ?
Il y en a beaucoup. Des messages des anciens d’abord, y compris des non nationalistes, et des messages de jeunes, de très jeunes garçons et filles, ceux de la Corse de demain, qui m’ont profondément touché par leur sincérité et leur fraîcheur.
Paul Giacobbi vous a-t-il appelé personnellement ?
Oui, il l’a fait pour renouveler ses félicitations de façon très courtoise et très républicaine. Il m’avait aussi indiqué que nous pouvions nous voir pour organiser la transition et la transmission des dossiers. Il a eu enfin des mots plus personnels et, à ce titre, je n’en parlerai évidemment pas ici.
Avez-vous eu un premier contact avec le gouvernement ?
Aucun. Je ne sais pas si c’est normal parce que je ne suis pas familier de ce genre de situation, mais ça m’étonne un peu quand même.
Sincèrement, vous ne pensiez pas prendre un risque sérieux en vous alliant à Corsica Libera à cause de la revendication d’indépendance dont vous saviez déjà qu’elle serait forcément instrumentalisée par vos adversaires ?
Dans tout choix politique, il y a une part de risque, et je sais que certains Corses campaient sur une attitude de prudence voire de réticence par rapport à Corsica Libera. Mais ces préventions étaient accessoires. Je suis certain que le choix qui a été fait était le bon, et qu’il fallait le faire non seulement par rapport à l’échéance électorale, ça c’était quelque part relatif, mais par rapport à l’histoire, à notre histoire commune, et à celle que nous devons désormais écrire ensemble.
Une alliance au troisième tour aurait-elle été plus difficile à conclure ?
Nous ne nous sommes pas posés la question, il nous est apparu impératif d’élaborer cette offre politique pour le deuxième tour, à la fois pour créer les conditions de la victoire électorale, mais surtout pour commencer à construire la démarche politique qui fait sens par rapport aux enjeux.
Si on vous dit qu’en déposant les armes, le FLNC a quand même contribué à déblayer le terrain de cette victoire, vous êtes d’accord ?
La décision, courageuse, prise par le FLNC de renoncer à l’action clandestine a constitué une contribution majeure, non seulement à la paix, mais aussi au renforcement de nos idées et à leur diffusion beaucoup plus large au sein de l’opinion publique corse en général. Elle aura également contribué à permettre une recomposition d’ensemble du champ politique insulaire. Et enfin, elle a privé d’un de leurs derniers arguments le camp des conservateurs.
Lorsqu’on regarde ce qu’est devenue l’évolution chaotique de l’union à Bastia, qui dit que celle-ci va tenir durablement au territoire ?
L’union à Bastia, je suis fier et heureux de l’avoir réalisée, même si j’aurais souhaité qu’elle soit, à l’époque, élargie y compris aux autres nationalistes. Cela n’a pas été possible pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir. La démarche avait contribué, là encore, à démontrer que d’autres perspectives politiques pouvaient être ouvertes, notamment par la convergence de forces différentes mais qui parviennent à s’entendre sur un contrat de mandature, en l’occurrence à l’échelle municipale. Et cette union, elle continue à fonctionner. Les partenaires principaux, la gauche, la droite et les nationalistes, y sont. François Tatti s’en est écarté, c’est un choix qui lui appartient mais qui demeure tout à fait marginal.
Puisque vous parlez de lui, pensez-vous qu’il doit démissionner, compte tenu des résultats défavorables enregistrés, notamment dans les communes de l’agglomération ?
La démission de François Tatti s’imposait déjà à l’époque et elle s’impose, en effet, encore plus aujourd’hui.
Une mandature de deux ans, ce n’est pas un pari dangereux car c’est finalement très peu pour faire ses preuves…
Il est bien évident que ce n’est pas la configuration la plus aisée, celle que nous aurions préférée, car ce qui s’est passé, c’est une véritable révolution copernicienne. Nous allons découvrir une institution dans ses moindres rouages internes de fonctionnement, et essayer de poser d’emblée les jalons d’une démarche politique fondamentalement nouvelle aussi bien sur la méthode, sur la forme que sur le fond. Et donc, effectivement, se retrouver enserré dans un délai aussi court que deux ans, avec énormément d’urgences à gérer en même temps, ce n’est pas le contexte idéal, il y a plus facile, je dois bien l’admettre.
Justement, quels seront les premiers dossiers, les premières urgences, qui seront traités ?
Je l’ai dit et répété. Il y a tellement d’urgences qu’en citer quelques-unes pourrait donner le sentiment qu’on oublie toutes les autres. Déjà, nous devons nous donner rapidement les moyens d’une action publique efficace. C’est l’équipe, bien sûr, les personnels de la Collectivité territoriale qu’il faut rencontrer, qu’il faut associer au projet et aux actions qui vont être mises en oeuvre. Et puis, c’est tout ce que vous connaissez déjà, à la fois le chantier institutionnel avec la collectivité unique, les dossiers particulièrement brûlants comme le transfert de fiscalité, les arrêtés Miot happés par un compte à rebours, les transports, les déchets, les priorités économiques et sociales…
Vous évoquez les transports. La création de la compagnie maritime régionale, ça fait aussi partie des priorités ?
C’est de facto une priorité. Maintenant, nous n’avons pas eu accès à l’intégralité du dossier maritime. Il nous faudra prendre connaissance des positions précises des uns et des autres et, là aussi, tracer rapidement un cap, ce qui est normal s’agissant du domaine maritime…
Restons-y encore un instant. Il y a un point de divergence potentiel avec Corsica Libera, le projet de Grand Port à la Carbonite. Vous en avez parlé avec Jean-Guy Talamoni ?
Nous avons eu l’occasion d’échanger sur le sujet, y compris publiquement. Je vous rappelle que lors de la précédente mandature, notre groupe a obtenu un certain nombre d’études dont les conclusions seront décisives, y compris sur la question de la faisabilité, même si je n’ai jamais eu accès à l’élaboration de ces études et si j’ignore la façon dont les appels d’offres et les cahiers des charges ont été rédigés. On va tous se plonger avec l’esprit ouvert et de façon déterminée dans ce dossier qui me tient particulièrement à coeur puisque je suis toujours, au moment où je vous parle, maire de Bastia. À partir du moment où je considère ce sujet essentiel pour la ville et pour la Corse, il fera l’objet d’une attention toute particulière.
Dans le programme de votre allié, la création d’un organisme de contrôle et d’évaluation des fonds publics. Vous y êtes favorable ?
Sur le principe, je ne peux être que favorable à tout ce qui est susceptible de renforcer la transparence. Et c’est d’ailleurs un des engagements forts de notre contrat de mandature de faire passer un souffle démocratique, de transparence et d’équité dans tous les actes de la vie publique. Ceci étant, dans le bref laps de temps qui nous est imparti, vous le faisiez vous même remarquer tout à l’heure, je pense que nous n’aurons pas le temps de mettre en place cet organisme, en tout cas ça me paraît difficile.
Vous allez conduire la délégation pour discuter avec le gouvernement. Allez-vous poser la loi d’amnistie comme préalable ?
Lorsqu’on s’engage dans une négociation, par principe, on n’y va pas avec des préalables. Il y a des sujets qui sont mis sur la table, et les parties prenantes du dialogue doivent aborder tous ces sujets. Celui que vous évoquez sera bien évidemment placé au sommet de la pile, dans la mesure où la question des prisonniers politiques est une question centrale, aussi bien en terme politique qu’en terme humain.
Elle symbolise en même temps pour vous la reconnaissance de quarante années de lutte, vous êtes très bien placé pour le savoir…
La démarche de « Pè a Corsica » s’inscrit clairement dans une logique irréversible de paix et d’apaisement, et de sortie d’un conflit de près d’un demi-siècle par le haut à travers une solution politique. Et quand on tourne la page d’un conflit, on solde les éléments, y compris les plus douloureux, qui l’ont nourri. Il y aura donc nécessairement, comme cela a été le cas partout ailleurs dans le monde dans des situations identiques, la question de l’aministie incluse dans ce champ-là. Je tiens encore à préciser pour dépassionner ce débat que, souvent, lorsque l’on parle de l’amnistie, les positions de blocage se manifestent par rapport à l’affaire Erignac. Je rappelle quand même que les personnes qui ont été condamnées définitivement ont purgé la quasi totalité de leur peine.
Vous serez intransigeant dans les négociations sur la chambre des territoires, la prorogation de l’arrêté Miot que vous évoquiez, l’inscription de la Corse dans la Constitution ?
Vous parlez là de sujets primordiaux qui sont dans le débat public, qui ont été entérinés par des délibérations, tantôt unanimes tantôt très largement majoritaires, de l’Assemblée de Corse, et que nous avons repris dans notre contrat de mandature validé par le suffrage universel. Aussi, je ne comprendrais pas, je ne peux même pas imaginer, que le gouvernement ne nous entende pas sur ces questions fondamentales et ne consente pas à faire des gestes forts et significatifs très rapidement.
Et s’il s’y refuse malgré tout, est-ce qu’il y a un risque que la collectivité unique ne voit pas le jour ou bien plus tard ?
C’est une éventualité que je ne préfère pas envisager. Tout le monde s’accorde à reconnaître que ce qui s’est passé dimanche dernier est un événement historique, et donc il est impensable que le gouvernement et l’Etat ne reprennent pas cette analyse en considération et n’en tirent pas les conséquences.
Au fait, ça se passe comment avec Jean-Guy Talamoni, vos relations vont-elles au delà du pacte politique ?
Déjà, le contrat de mandature, préparé par des discussions préalables, est l’aboutissement d’un processus qui s’est fait de façon claire, rapide, déterminée et transparente mais aussi avec enthousiasme de la part des deux parties. Mais au-delà du caractère rationnel, c’est un moment partagé avec émotion par des milliers de femmes et d’hommes. Bien sûr, le chantier reste à parfaire et à élargir encore. On a vocation à s’inscrire dans la durée, nous l’avons écrit, c’est un accord de portée stratégique avec une vision commune sur ce qu’il faut faire sur le long terme. Nous continuerons aussi à discuter avec les autres nationalistes, notamment le Rinnovu. Maintenant, pour répondre plus directement à votre question, avec Jean-Guy Talamoni, on se connaît depuis très longtemps, en tant que Bastiais, en tant qu’avocats et en tant que militants. Il y a eu parfois des moments de tension liés à la politique, mais l’estime réciproque a toujours été très forte.
Aucun regret d’avoir choisi l’Exécutif et de quitter votre fauteuil de maire ?Ce choix, il avait été annoncé en amont. Si les Corses décidaient de nous faire confiance, et c’est une confiance massive qui s’est exprimée, il fallait tirer les conséquences de la volonté historique du peuple. Et donc, il faut y aller et y aller à fond. Ceci étant, ce qui est bon aujourd’hui pour la Corse l’est également pour Bastia, a fortiori dans le contexte de construction de la collectivité unique. Que le maire de Bastia accède à des responsabilités exécutives est à elle seule une garantie pour assurer la logique d’équité territoriale, notamment entre Ajaccio et Bastia. Je veux le dire ici avec force. Par ailleurs, la loi m’impose d’occuper une seule fonction exécutive et ce sera donc l’Exécutif de Corse.
Qui avez-vous pressenti pour vous succéder à la mairie de Bastia ?
Pierre Savelli et Michel Castellani sont les noms qui reviennent le plus régulièrement…
Le choix n’est pas fait, il est en train de se discuter de façon apaisée et sereine, particulièrement avec les principaux intéressés, en associant les membres de ma majorité. J’ai vu qu’on évoquait la date du 22 décembre mais rien n’est encore arrêté, ce sera peut-être un peu avant ou un peu après. Quoiqu’il en soit, on fera un choix et on s’accordera en même temps sur une façon de fonctionner qui me permettra d’être très présent et très attentif, mais aussi pour faire en sorte que la dynamique mise en oeuvre pour Bastia et sa population se poursuive et s’amplifie.
Le nationalisme est-il la première force politique corse ?
Clairement. C’est surtout la seule force qui puisse rassembler une part très importante du peuple corse. Si l’on avait été dans une configuration différente avec des partenaires non-nationalistes, ce qui a été envisagé, à ce moment-là, on aurait pu discuter sur la nature du vote. Mais cette fois, seuls les deux courants du nationalisme étaient présents, le peuple s’est prononcé en faveur du nationalisme. Cela va bien plus loin que la seule élection d’élus à l’assemblée de Corse. Ils ont affirmé la vocation nationale de la Corse.
Avec toujours cette question qui fait débat : l’indépendance…
En ce qui concerne cette question, nous avons répondu à un certain nombre d’attaques de mauvaise foi, en particulier de la part de José Rossi. En réalité, il n’y avait rien de particulier à dire sur ce point dans la mesure où le contrat de mandature signé entre Femu a Corsica et Corsica Libera ne concernait pas cette question. Même sans cette union, Corsica Libera n’aurait pas déposé de motion relative à l’indépendance de la Corse dans les mois qui viennent. C’était un faux problème ! L’indépendance, c’est le coup d’après. Ça se discutera après la réforme, comme cela s’est fait en Ecosse ou en Catalogne. Celle-ci a voté pour une large réforme en 2006 et moins de dix ans plus tard, elle s’est prononcée en faveur de l’indépendance. De la même manière, l’Ecosse a obtenu un nouveau statut en 1997 et un référendum, certes perdu par les indépendantistes, a eu lieu l’an passé.
Deux régions qui disposent d’un fort pouvoir économique, ce qui est loin d’être le cas de la Corse. Comment prenez-vous en compte cette réalité ?
Nous sommes persuadés que dans cette phase transitoire qui s’ouvre, nous devrons mettre en place de nouvelles institutions mais traiter le problème économique et social de la Corse, dont la situation est préoccupante à cet égard. On voit bien qu’en Catalogne et en Ecosse, le débat sur l’indépendance n’a été rendu possible que grâce à une situation matérielle confortable, ce qui n’est pas ressenti comme tel par les Corses.
Ils ont raison ! Nous ne disposons ni des champs pétrolifères sous-marins de la mer du Nord, ni de l’industrie catalane…
Oui mais nous avons de potentialités très fortes, une terre bénie des dieux, de l’eau en abondance et nous pouvons développer un tourisme organisé et non plus un tourisme de cueillette. Dans cette perspective, les deux courants nationalistes ont fait des propositions convergentes pour enrichir la Corse sur le plan matériel. Cette phase est, pour nous indépendantistes, un passage obligé car les peuples ne se prononcent massivement pour l’indépendance que lorsqu’ils bénéficient de conditions matérielles satisfaisantes.
Votre accord avec Femu a Corsica a pris de court les observateurs en raison de sa rapidité. Existait-il un plan secret entre les deux courants du nationalisme ?Certainement pas. Nos contacts ont eu lieu au vu et au su des observateurs, notamment en invitant nos partenaires aux Ghjurnate internaziunale. Sur le plan tactique, les discussions de l’entre-deux tours se sont passées très rapidement pour plusieurs raisons. D’abord, tout le monde avait le sentiment que le moment était venu, et pas seulement au sein des appareils politiques mais aussi au sein de la base militante et même, au-delà, de gens qui ne sont pas nécessairement nationalistes. Ensuite parce que cette volonté d’union très forte existait entre nous. En clair, c’était le moment favorable de « faire l’union », le kaïros des Grecs.
Les espoirs de concorde nationaliste se fracassent souvent sur le principe de réalité. En 2010, l’union n’avait pas été possible ; en 2004, elle avait peu duré ; en 1992, elle avait volé en éclats très rapidement. Les bonnes intentions du camp nationaliste ne durent pas longtemps, de ce point de vue. La version 2015 : quelle espérance de vie ?
Nous sommes sur une démarche de fond…
Blablabla…
Ecoutez, même ceux qui ne m’aiment pas savent que je ne suis pas un menteur. Moi, je considère que cette union est extrêmement solide et qu’elle a été consolidée par une adhésion massive des militants, des sympathisants, des électeurs et même – je le répète – de Corses qui ne partagent pas nos convictions ! Ce qui n’empêche pas chaque courant de conserver ses propres particularités. Oui, nous sommes indépendantistes et nous avons toujours soutenu le FLNC comme nous le faisons encore aujourd’hui depuis sa courageuse décision de déposer les armes. Pour le reste, évidemment que des différences demeurent, c’est la raison pour laquelle il existe deux courants et pas un seul… Mais ce qui nous rapproche est bien plus important que nos différences. Notre union a été scellée dans le ciment d’un enthousiasme qui concerne à la fois les responsables des mouvements et leurs bases…
Cette courte mandature sera marquée par des des dossiers importants. Les deux années qui viennent ne seront-elles pas casse-gueule pour des nationalistes qui accèdent aux responsabilités sans grande expérience de la gestion ?
C’est une mandature très importante avec de nombreuses difficultés dont nous avons pleinement conscience. Nous allons devoir négocier avec Paris un nouveau statut qui comportera tout ce que nous avons voté à de très fortes majorités au cours des cinq dernières années en matière de langue corse, de statut de résident, de foncier, d’institutions, d’amnistie. Comme nous sommes nationalistes, nous devons aller plus loin que ce qu’a voté une majorité qui ne l’était pas.
Par exemple ?
Mettre davantage de moyens matériels humains pour favoriser le développement de l’assemblée de Corse. En ce qui concerne le statut de résident, le délai minimum de cinq ans acté par l’assemblée de Corse est-il suffisant ? Je n’ai pas de réponses toutes faites mais sur ce point, je rappelle que la proposition initiale des nationalistes était de cinq ans.
Dans ces conditions, ne craignez-vous pas que des forces politiques, à gauche notamment, avec lesquelles vous avez étroitement travaillé au cours de la précédente mandature, n’opèrent un repli stratégique face à des exigences désormais formulées a maxima ?
Il n’y a pas de raison. Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes pas obligés de nous en tenir à ce que nous avons déjà voté. De toutes façons, nous devrons en discuter entre nous, nationalistes, et avec les autres forces politiques.
Compte tenu de la tâche qui vous attend, ne craignez-vous pas de, forcément, décevoir les attentes ?
Les responsabilités sont énormes, autant que les attentes. Nous n’avons absolument pas le droit de décevoir. Mais ne nous mentons pas : nous n’avons pas non plus de baguette magique et ça, nous devons le dire aussi. Ce qui est en notre pouvoir, c’est de travailler d’arrache-pied, de nous montrer loyaux, de respecter nos engagements pris pendant la campagne et travailler au quotidien pour l’ensemble des Corses, pas seulement des nationalistes.
Ce qui a eu lieu dimanche, c’est que les Corses ne se sont pas contentés de partager nos idées sur des sujets qui, de toute façon, font pratiquement consensus au sein de la société. Nous sommes passés du stade de l’adhésion aux idées à celui du mandat donné au mouvement national. Ils sont allés plus loin et nous on dit : « Allez-y, gouvernez ! ».
Justement, les relations entre les deux courants n’ont pas toujours été marquées par une entente cordiale. L’épisode des municipales de 2014 à Bastia, lorsque Gilles Simeoni a préféré s’allier à la gauche et la droite plutôt qu’avec vous, a été digéré ?
Effectivement, nous ne partagions pas cette stratégie… Pour nous, c’étaient les nationalistes d’abord et l’ouverture ensuite. Nous sommes aujourd’hui confiants sur notre capacité à gouverner la Corse. Nous l’avions dit dès avant le premier tour.
Avez-vous eu des contacts avec le gouvernement ?
Pas à l’heure où nous parlons, en tout cas [mardi 15 décembre].
Qu’attendez-vous de Paris ? Autre chose que le silence radio qui a accueilli certains récents votes ou le dépôt des armes par le FLNC ?
Quand on prétend occuper le magistère des droits de l’Homme et donner des leçons de démocratie au monde entier, peut-on rester insensible à un vote aussi majoritaire ? Il faut admettre cette réalité : les Corses viennent de dire : « la Corse est une nation, pas une simple circonscription administrative ».
Vous allez un peu vite : les Corses ont surtout voté pour une liste avec un programme, désormais investie d’un pouvoir politique régional…
Oui : ils ont voté pour une liste qui dit « la Corse est une nation ».
Si la défaite est orpheline, la victoire a cent pères : quel regard portez-vous sur la vague de fraîches conversions à vos idées ? Pour un militant chevronné comme vous, cela doit vous faire sourire ?
Pas du tout. Je mesure surtout la sincérité de la lame de fond de ces dernières heures. Il y a bien entendu des nationalistes de toujours et puis il y en a de plus récentes.
De très récents, même ! Y compris de dimanche soir !
J’irai plus loin : il y en aura même dans les jours à venir ! Parce que nous allons leur faire comprendre que nous oeuvrons au bénéfice de tous les Corses. Une adhésion à une idée, même très récente, peut être très sincère et je crois que c’est le cas. Depuis les réseaux sociaux jusqu’aux propos de l’homme de la rue, on sent ce mouvement de fond. Nous avons assisté à un vote d’adhésion, pas un vote rejet, ni de peur comme cela se passe sur le Continent. Quelqu’un qui adhère à nos idées aujourd’hui est aussi sincère que nous le sommes.
Quels seront vos dossiers prioritaires ?
La question des prisonniers et de l’amnistie doit être mise en route dans les jours à venir, c’est une priorité absolue, un élément essentiel de négociations avec Paris qui doit montrer à cet égard sa bonne volonté à travers un geste : d’abord le rapprochement immédiat des prisonniers politiques et ensuite, une négociation en vue de l’amnistie pour rétablir un début de confiance. Après, viendront les négociations sur la question de la réforme et toutes les questions qui nécessitent une réforme constitutionnelle comme la langue ou la fiscalité du patrimoine. Mais en tout état de cause, nous n’avons pas seulement l’intention de monter à Paris pour discuter des aspects techniques de la réforme. En ce qui concerne l’amnistie, elle n’a pas besoin de révision constitutionnelle, une loi simple suffit.
Un dernier mot : quel regard portez-vous sur l’homme Gilles Simeoni ?
Je connais bien davantage son père avec lequel j’ai travaillé longtemps, même sur je suis plus proche par l’âge de Gilles. Sa famille est une famille de patriotes et c’est un garçon qui a un talent considérable. Ce talent est dorénavant mis désormais – avec d’autres compétences -, au service des intérêts du peuple corse.
Mais humainement : il vous inspire confiance ?
Oui. Nous devons simplement apprendre à mieux nous connaître et travailler ensemble. Les journées que nous venons de vivre sont très intéressantes de ce point de vue, elles ont été très fraternelles et ce n’est pas un simple mot.
Propos recueillis par Jean-Marc Raffaelli
et Antoine Albertini