La crise dite « des migrants » a donné lieu à une généreuse mobilisation, mais aussi à des réticences, voire à des propos difficilement acceptables. Il nous appartient, comme à tout courant politique, d’exprimer une position et de le faire clairement.
Le rôle des responsables politiques est selon nous de proposer des chemins au peuple et non de suivre une opinion publique désorientée et inquiète pour s’assurer de ses suffrages le moment venu.
Rappelons dès l’abord quelques évidences. Dans la crise qui nous occupe, l’Europe a une responsabilité écrasante puisqu’elle a directement contribué à créer le chaos existant aujourd’hui au Moyen-Orient. La Corse, nation d’Europe, n’a pas eu son mot à dire, n’étant pas pour l’heure un Etat constitué. Ainsi, ses élus légitimes n’ont pas été consultés lorsque la base de Solenzara située sur son territoire a été utilisée pour procéder à des opérations militaires hasardeuses, quand elles n’étaient pas tout simplement démentes. L’aspect géopolitique est évidemment central dans cette affaire. L’Europe politique que nous appelons de nos vœux aura des décisions à prendre dans les temps à venir pour corriger les terribles erreurs commises dans les Etats dont nous recevons aujourd’hui les ressortissants. En effet, contribuer au rétablissement de la paix dans ces pays est une nécessité absolue, sauf à considérer que cet exode est dans l’ordre des choses et qu’il doit se poursuivre.
Nous en venons à la situation d’urgence et à l’attitude à adopter. D’aucuns soulèvent les difficultés sociales de la Corse qui ne seraient pas compatibles avec l’accueil des réfugiés. Certains étayent leur analyse en faisant observer que dans l’île même les cas de précarité sont nombreux, et que ces derniers doivent être prioritaires. L’analyse peut paraître logique. Elle est pourtant spécieuse. On pourrait tout d’abord remarquer que ceux qui viennent au secours des réfugiés sont souvent les mêmes qui se sont engagés depuis des lustres au bénéfice des précaires locaux. Et qu’à l’inverse, bien souvent, ceux qui évoquent ces derniers dans leurs discours actuels s’en sont peu préoccupé jusqu’à présent…
Pour autant, les difficultés de la Corse sont réelles. Nos taux de chômage et de précarité sont extrêmement élevés. Dans le même temps, notre taux d’immigration est deux fois plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE, et quatre fois plus élevé que celui de la France… (Et oui, contrairement à une idée répandue dans l’hexagone, ce dernier est loin d’être accueillant !) Pour paraphraser Michel Rocard « La Corse ne peut accueillir toute la misère du monde mais elle doit en prendre sa part », propos que le Premier ministre appliquait quant à lui à la France, conciliant humanisme et bon sens, éthique de conviction et éthique de responsabilité. S’agissant de l’immigration économique, on peut dire que jusqu’à présent la Corse en a pris plus que sa part, ce qui est tout à son honneur mais qui pose pour l’avenir le problème du contrôle par notre peuple de ses flux migratoires, pouvoir dont disposent déjà les Catalans et que le mouvement national revendique depuis fort longtemps.
Toutefois, il ne s’agit pas ici d’un cas d’immigration économique mais de réfugiés que la guerre a jetés vers l’Europe. Que faire devant cette urgence ? Tenter de barricader ses portes en tremblant, comme certains le suggèrent? Ceux qui ont « une certaine idée de la Corse », ceux qui considèrent que nous sommes une nation, et non une population apeurée sur un morceau de territoire français, ne peuvent avoir cette attitude. En premier lieu, parce que le droit d’asile relève du jus gentium appliqué par tous les pays civilisés. En second lieu, parce que cette forme particulière d’hospitalité est chez nous essentielle, de par nos racines culturelles chrétiennes et notre propre tradition politique. À cet égard, le paolisme n’a pas fini de nous délivrer ses enseignements.
Par ailleurs, ne peut-on mettre à profit l’émotion suscitée par cet épisode dramatique pour fédérer toutes les ressources disponibles dans le sens d’une solidarité organisée face à toutes les situations de détresse ? L’Assemblée de Corse ne pourrait-elle se doter d’une entité politique en charge de la coordination de l’ensemble des administrations, des associations et des particuliers, non seulement pour participer – dans la mesure de nos modestes capacités – à la gestion de la présente situation de crise, mais à plus long terme pour venir en aide à tous ceux qui dans l’île éprouvent les plus grandes difficultés ?
Ainsi, non seulement les détresses locales ne seraient pas délaissées au profit des réfugiés mais ces derniers auraient provoqué une prise de conscience salutaire au bénéfice de tous. Car la générosité et la solidarité n’ont pas vocation à se diviser mais à s’additionner.
Lors du prochain débat à l’Assemblée de Corse, nous ferons des propositions en ce sens qui nous paraît être celui du courage, de la dignité et de la responsabilité.
JEAN GUY TALAMONI
PRESIDENT DU GROUPE CORSICA LIBERA ASSEMBLEE DE CORSE