Il y a quarante ans à Aleria (Haute-Corse), l’occupation par des autonomistes d’une cave viticole dont le propriétaire d’origine pied-noir était accusé de malversations financières, suivie d’un assaut meurtrier des forces de l’ordre, marque la naissance du nationalisme insulaire moderne.
Destinée à dénoncer des scandales et injustices dont étaient victimes les viticulteurs corses et, au-delà, toute l’île, l’occupation le 21 août 1975 tourna au drame le lendemain, lors de l’assaut des forces de l’ordre.
Face à la vingtaine d’hommes armés de fusils de chasse, c’est une opération militaro-policière aéro-terrestre de grande ampleur que monta Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur du gouvernement de droite de Jacques Chirac, lui-même en vacances. La France était alors présidée par Valéry Giscard d’Estaing, parti se livrer à un safari en Afrique.
Le 22 août, la cave Henri Depeille est encerclée par 1.500 gendarmes mobiles et CRS en tenue de combat et appuyés par des auto-mitrailleuses et des hélicoptères militaires.
Deux gendarmes seront tués durant l’assaut ordonné par Michel Poniatowski. Des gendarmes seront aussi blessés, de même que deux militants nationalistes dont l’un aura un pied arraché par une grenade lancée par un militaire.
Face à ce déchaînement de violence, l’initiateur de l’opération des autonomistes corses, le docteur Edmond Simeoni, ordonna rapidement la reddition, après avoir lui-même soigné un militaire blessé. Il sera arrêté et transporté à Paris.
A la tête de l’Action pour la renaissance de la Corse (ARC), Edmond Simeoni dénonçait depuis la fin des années 1960 la mainmise de groupes bancaires sur l’île en vue de sa « Baléarisation » (bétonnage et tourisme de masse), les aides financières accordées aux rapatriés d’Algérie et refusées aux agriculteurs insulaires, la chaptalisation du vin, le refus de l’Etat de lutter contre la fraude électorale et la négation de la culture corse.
Edmond Simeoni fut condamné à cinq ans de prison par la Cour de sûreté de l’Etat, juridiction d’exception dissoute depuis, chargée des affaires politiques.
La répression d’Aleria entraîna d’autres affrontements les jours suivants dans Bastia en état de siège où un CRS fut tué par balles.
Le viticulteur Depeille, décédé en 2010 en Argentine où il s’était installé, fut condamné plus tard pour banqueroute et diverses malversations financières.
Véritable électrochoc dans la société insulaire, notamment parmi la jeunesse, Aleria donna aussi une résonance internationale à la question corse.
Le gouvernement eut beau dissoudre l’ARC et réprimer sévèrement toute velléité autonomiste en s’appuyant notamment sur les clans de droite et de gauche au pouvoir dans l’île et des polices parallèles, la revendication nationaliste s’amplifia.
Huit mois après Aleria, plusieurs groupes plus radicaux fondèrent le 5 mai 1976 le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) qui a annoncé en 2014 le dépôt des armes pour permettre de réelles évolutions politiques.