Quand en 1975, nous avons pris les armes, symboliquement, mais publiquement et avec force, c’était pour montrer que la politique coloniale devait cesser, pour affirmer que notre peuple était vivant et avait droit, comme tous les peuples, à la vie et à la maîtrise de son destin. Vous avez aujourd’hui la réponse et, ce premier acte fondateur de la révolte corse contemporaine, a précédé la naissance du FLNC en Mai 1976 puis un renforcement et une diversification, un enracinement de toutes les luttes, économiques, sociales, culturelles qui durent encore aujourd’hui.
Quarante ans marquent un temps suffisant pour évaluer les résultats, réfléchir et chercher les voies et moyens, avec d’autres, d’ouvrir les pistes de l’avenir.
Le colonialisme français a-t-il modifié sa politique ? Assis sur le système claniste, il a corrompu, réprimé, louvoyé, ridiculisé la démocratie par les fraudes et le clientélisme, mais il n’a jamais cédé sur l’essentiel, « sa souveraineté et son unité qu’il veut immuables » puisque ceci est inscrit dans sa Constitution.
Il a la conviction que le temps joue contre nous ; tant la démographie, que la propriété du sol et des maisons, et enfin l’exil de la jeunesse. IL joue la montre et gagne du temps ; c’est clair, irréfutable. Comment peut-on interpréter autrement la répétition de quatre Statuts en quarante ans ? Frileux, insuffisants, inefficaces, des hochets au rythme d’une réforme tous les dix ans, pour amuser la galerie et faire croire à sa bonne foi. Une seule véritable réforme d’Autonomie Interne aurait suffi….
Mais le masque est tombé aujourd’hui car l’Assemblée de Corse a formulé majoritairement des exigences, importantes mais non déterminantes pour notre avenir collectif. La réponse a été ferme, brutale, négative. L’hypothétique « Collectivité unique » en 2018 est da dernière trouvaille de Paris. Sans vergogne, avec cynisme, assurés qu’ils sont qu’elle ne résoudra rien. Et que le temps aura scellé notre pierre tombale.
Peut-on croire un instant que Charlemagne, Louis XIV , Napoléon premier soient des accidents d’une histoire qui a fait de la grandeur et de la domination de la France le socle permanent de son existence collective ? L’esclavage, le colonialisme ne sont pas fortuits ; ils s’inscrivent dans la démarche constante d’hégémonie, de supériorité qui est masquée, mais ne trompe personne dans le monde, sous couvert d’humanisme, du respect des Droits de l’homme, de démocratie, de paix. La France et le Royaume Uni notamment, hyper nationalistes, allergiques à la moindre concession sur leur souveraineté, pensnet être les meilleures garanties que l’Europe politique, fédérale, des peuples -la seule solution raisonnable- ne se fera pas.
J’ai eu la conviction que la France ne croyait qu’à la primauté de la force lors d’une rencontre, très révélatrice, avec François Mitterrand à Paris, en 1982, ; il m’a demandé si je pensais que le FLNC pouvait l’emporter militairement contre la France. Je lui ai répondu qu’il me créditait d’un quotient intellectuel assez bas car, je ne voyais pas comment la quatrième puissance du monde, dotée de l’arme nucléaire, armée du droit de veto, pouvait être mise échec par un modeste mouvement clandestin corse. Ses yeux souriaient, savouraient avec cynisme mais cela devait changer rapidement quand, je lui ai demandé avec beaucoup de déférence, si,alors qu’il était Ministre de l’Intérieur du gouvernement de Guy Mollet , il avait fait guillotiner, en 1957, le militant communiste Yveton, partisan du FLN algérien. Et pourquoi ? Il a acquiescé et invoqué « la raison d’état ». J’ai fait remarquer à Mr Mitterrand que la France avait gagné militairement en Algérie après les opérations Challe mais qu’elle avait quand même perdu la guerre car elle était adossée à une cause injuste et que la force, seule, n’était pas une garantie de victoire politique. J’ai terminé mon intervention, en lui disant que si je pensais que le FLNC pouvait gagner militairement, je serais depuis longtemps, un de leurs responsables. « Pourquoi m’a-t-il demandé » ? « Parce que la politique française dans l’ile poussait à la révolte et à la rupture, comme en Indochine et en Algérie ».
Aujourd’hui, la donne est claire ; malgré les luttes inégales, les sacrifices, les avancées ponctuelles sur certains dossiers, la question du droit à l’existence, et à la reconnaissance, à la maîtrise du peuple corse sur sa terre n’est pas résolue. Pire, elle est niée, refusée.
Pire, les politiques impulsées et appliquées par la France échouent dans d’innombrables domaines ; économie, social, culture, transports, société, violences etc ; Paris a dit « Non » aux propositions de l’Assemblée de Corse. Feindre de croire à une possible évolution positive de son attitude retarde la prise de conscience, freine la mobilisation. Nous sommes confrontés au défi le plus important de notre vie, depuis Pasquale Paoli : la survie du peuple et de la nation.
Nous avons les ressources – humaines ici et dans la diaspora, d’épargne, naturelles, techniques- pour arracher notre droit imprescriptible à vivre, en vertu de l’Histoire, du droit international ; et ensuite pour construire un Pays moderne, ouvert sur l’Europe et le monde, mieux développé, plus juste, dans le cadre d’un nouveau contrat avec la France, l’Europe, respectueux des intérêts légitimes des parties. Le combat doit prendre appui sur le dialogue, le débat, les luttes démocratiques et non-violentes pour bâtir un avenir de paix, de fraternité, de solidarité et de prospérité, non pas égoïste mais ouvert aux autres peuples.
Niolu le 13 Août 2015
Dr Edimondu Simeoni