Le théâtre politique corse commence à s’animer- proximité de l’élection territoriale oblige – ; les tout premiers couteaux entrent en scène. Deux ténors de la pulitichella locale sont abondamment intervenus dans la presse ; l’un pour glorifier son bilan et affirmer sa certitude de la victoire au premier tour, second tour et troisième tour ! Cibba ! l’autre pour se justifier laborieusement de créer une autre liste de droite, concurrente de l’officielle.
Ils ont en commun d’avoir une intelligence certaine, une très longue expérience, éprouvée, de la vie publique, une immodestie plus ou moins masquée ; Camille est un Corse matois, mâtiné de parisianisme tandis que Paul, rond, livre avec componction, des constats pour le moins contestables, avec une agressivité sous-jacente difficilement contenue. Ils ont en commun aussi la certitude d’être bien-nés, de sous-estimer les autres, d’êtres issus de deux dynasties, clanistes, rigides, – utilisant les mêmes moyens anti-démocratiques, concurrentes dans la compétition politique mais convergentes et complices de l’Etat- qui se sont partagées la Corse depuis des décennies, avec le bilan brillant que chacun constate.
Paul Giacobbi s’est présenté avec Maria Giudicelli récemment à Venacu – clin d’œil aux racines et à l’histoire de la saga familiale- pour annoncer, sans surprise leur tandem, à gauche, aux prochaines élections territoriales de décembre 2015. De sa communication actuelle, émergent des points notables :
C’est la dénégation : dénégation « il n’ y a pas de système Giacobbi» ; « le succès repose uniquement sur le travail, le respect, l’humilité » ; l’Etat remplit bien son rôle dans la lutte contre la Xyllella Fastidiosa ; « je n’ai aucun ennui judiciaire » ; il est, dit-il, victime de calomnies et d‘une certaine presse ; la situation de la CTC est , selon lui, globalement satisfaisante.
Prétendre que Paul Giacobbi n’a rien fait, dans sa mandature, serait une contre-vérité : implication dans le problème du logement, création de l’Agence foncière etc, notamment, prouvent le contraire ; mais la liste des projets en souffrance est édifiante : Padduc, Miot, SNCM, déchets, énergie, revendications institutionnelles en panne ; idem pour la situation dont une partie non-négligeable est imputable à des facteurs extérieurs à l’île : économie en berne- chômage, précarité -, finances en berne. Mais, surtout, nier que cette mandature est celle du clientélisme arrogant, relève de l’inconscience ou du cynisme !!! Le grand dessein serait la Collectivité unique en 2018 !! Avec, outre les aléas d’une telle entreprise, le résultat incertain de l’élection présidentielle en 2017 et le handicap de ses rapports exécrables avec Hollande et Valls qui ne l’aident pas !!
Camille de Rocca Serra remplit correctement son travail de député, par son assiduité, ses interventions sur la Corse ; par contre, après l’échec de 2010, il a totalement disparu de la scène régionale et l’absence quasi-totale de son groupe à la CTC, – en dehors de quelques sujets brûlants- depuis cinq ans, est scandaleux, inadmissible. Comment une force politique majeure de l’île peut-elle justifier l’inacceptable ? que pensent ses électeurs de ce mépris de la démocratie ? Les divisions internes peuvent-elles justifier de déserter la participation impérieuse et le devoir ? Il revient, revigoré par la prochaine échéance territoriale ; il veut axer sa campagne sur les « valeurs » ? Lesquelles, celles qu’il a foulées aux pieds, en Corse, avec la dynastie ? Celles de l’humanisme, de la démocratie ou du clientélisme ? Il dit notamment vouloir « Rassembler, aller vers une jeunesse corse qui a du mal à se trouver car il y a absence d’offre… Université, formation, économie numérique, agriculture raisonnée, la jeunesse veut s’investir et il faut l’aider » (fin de citation à Corse Net Infos). Surréaliste. Il s’adresse à une jeunesse qui connait le bilan calamiteux de clans, de l’Etat – tous gouvernements de gauche et de droite confondus- et sur lequel, il va bien falloir s’expliquer pendant la prochaine campagne ; une jeunesse qui sait que toutes les avancées majeures sont dûes au mouvement national et aux progressistes, contre les clans.
Nous approchons de l’épilogue : la Corse joue sa survie. L’île ainsi que le peuple corse de l’ile et de la diaspora ont des atouts majeurs ; la gauche, la droite, les nationalistes ont suffisamment de militants, d’électeurs, de compétences, pour construire, dans le dialogue, une plate-forme d’émancipation, un programme pour éliminer le clanisme – y compris dans ses ramifications moins visibles- et constituer, après les élections et dans la transparence, un gouvernement d’union sur des bases claires, avec un contrat, des priorités, des échéances, un calendrier, dans le cadre euro-méditerranéen.
Ce qui frappe chez les chefs de clans, c’est le discours d’un autre âge, le refus de la réforme, le choix d’arguments dépassés, l’absence de stratégie, de vision pour la Corse et un ensemble disparate de propositions, initiatives, qui ne sauraient constituer un projet.
Tous ensemble, nous devons déraciner le système claniste qui ne peut plus et ne peut pas, ne doit pas trouver des cautions de véritables citoyens, attachés à la démocratie et à l’éthique car lui aussi est à l’origine de tous nos maux ; il n’est pas soluble dans la démocratie ; il nous faut contraindre l’Etat au dialogue. Alors viendront la liberté, le développement partagé, la justice sociale et la paix.
Dr Edmond Simeoni
Aiacciu u 5 d’Aostu 2015