» J’avais trop longtemps attendu de pouvoir pénétrer un jour dans un monde jusque-là interdit, pour ne pas accueillir avec une émotion profonde l’occasion de pouvoir en franchir enfin les limites. »
Théodore Monod – Le Désert Blanc
De l’interview de Georges Mela
Le samedi 30 mai, « Corse Matin » a publié un intéressant interview de Georges Mela, maire de Portivecchju. L’homme semble s’affranchir du périmètre propre à sa mouvance politique, tout comme il parait balayer la notion d’étiquette. La situation actuelle du mouvement libéral en Corse, et particulièrement en Corse du Sud, après les déchirures consécutives à l’élection du président du conseil départemental, y semble pour beaucoup. Pour autant, tant sur sa vision communale, que pour la Corse, ses projections restent imprécises, donnant l’impression d’une alternance sans visée ni fond, au seul profit des mécanismes actuels en vigueur.
La résidence secondaire : Encore et toujours…
Il aura été quand même on ne peut plus clair. Je le cite : » Porto Vecchio s’est développé avec de la résidence secondaire ». Celui qui avait déjà dit « on ne va pas laisser à nos enfants que du maquis » explicite beaucoup mieux ses propos, et son penchant pour un modeèe économique axé sur le « résidentiel ». La marchandisation des terres, la financiarisation des ventes, ont déjà fait le lit de cette opulence extérieure qui n’a que faire de Portivechju et de ses habitants. Ce système fonctionne d’ailleurs très bien – au regard de l’actualité – puisque récemment on apprenait par « la vieImmo.com » que les acquéreurs les plus friands de l’île de beauté – dans la gamme luxe – demeurent les français ( 80 % sont des parisiens) et s2vissent dans les secteurs littoraux attractifs comme ceux de notre commune… De facto nous sommes aux antipodes de ce qu’avait pu dire notre maire lors de la dernière campagne municipale : » Les Porto vecchiais ne laisseront pas Porto Vecchio aux appétits sans vergogne »…
Quels autres facteurs de développement ?
Ce choix d’une économie résidentielle résonne encore plus fort quand Georges Mela s’interroge publiquement sur le devenir des hameaux de la commune – non pour ce qu’ils portent d’un point de vue culturel, familial et social – mais parce que « cernés par des espaces agricoles »… Il s’interroge alors sur « l’état de la filière agricole avant d’en créer d’autres et de scléroser le développement d’une commune comme est en train de le faire le « Padduc » ! M. Mela avait tout loisir de projeter – avec les acteurs et les organismes concernés – un schéma agricole et d’élevage à même de maintenir dans un dessein d’avenir productif les hameaux plutôt que de les laisser s’eteindre dans des logiques de dortoirs, où là aussi l’immobilier fait rage avec son lot de dépossession foncière, de speculation, et d’inavouée substitution de population…
Je peux faire mien son souci – affiché – de la traverse de « U Spidali » et de la traverse de « I Pianedda », et au – delà inscrire ces mêmes hameaux, avec tous les autres dans une projection d’authenticité avec leurs richesses inhérentes à leur histoire. Pour sclérosés que cela paraisse à ses yeux, je partage les points suivants qui ont été déclinés dans le « Padduc »: ils orientent ainsi mon appréciation des hameaux :
* Limiter les facteurs de dépendance du territoire (vis-à-vis de l’extérieur)
* Gérer durablement les ressources naturelles du territoire
* Mettre les ressources culturelles, identitaires et patrimoniales au service du projet de développement
* Renforcer les solidarités sociales et territoriales
* Encourager linitiative privée et les activités productives pour développer lemploi en mobilisant les ressources humaines du territoire.
Je rappellerai également les propositions – concrètes – de U Riacquistu di Portivechju. A savoir la mise en place par la municipalité d’un Plan d’Occupation Pastorale et la mise en place d’un Office Municipal du Foncier.
Au delà d’un programme médiatique…
Georges Mela affirme vouloir « répondre aux attentes de notre région ». Et de prendre ses distances avec un programme qualifié de « médiatique » et basé sur le tryptique « langue, résident, institution ». Certes ces dernières modalités ne peuvent prétendre résoudre la question du développement économique, de ses orientations stratégiques, de ses retombées en matière de création d’emplois et de richesse. Mais ils auront la performance – en tant qu’éléments d’étape – de remettre au coeur du projet, en tant qu’acteurs et bénéficiaires les corses. Pas plus qu’on ne peut prendre le risque d’une dépendance économique – le tout tourisme – on ne peut également écarter des retombées et d’une équitable répartition des richesses, les corses eux mêmes. Georges Mela affirme clairement que son ambition » est de servir l’intérêt commun ». Il sait très bien tout comme moi que cette dimension commune ne passe certainement pas par l’addition d’intérêts privés mais répond à une aspiration du plus grand nombre, et notamment les plus défavorisés.
Et la plate – forme extra – municipale ?
J’ouvre cette parenthèse que constitue la plate – forme extra – municipale. U Riacquistu di Portivecchju l’a proposée pour permettre d’aborder les débats autant spécifiques à la communauté porto vecchiaise qu’à la Corse. Ces débats concernent notre devenir, notre langue, nos institutions. Il est plus que regrettable qu’à ce jour aucune mesure concrète ne soit venue satisfaire cette demande. Regrettable d’autant plus que dans son interview, le maire affirme » qu’il est grand temps de se mettre d’accord sur un modèle de développement ». Certes, cette commission n’est pas la panacée. Elle a au moins le mérite – dans le cadre d’une gestion politique et administrative de la cité – d’élargir les débats sur des points essentiels concernant la maitrise de notre avenir. U Riacquistu di Portivecchju a expliqué son opportunité : « Lélection de Georges Mela, les conditions dans lesquelles elle est intervenue, ne doivent pas faire omettre ces principes essentiels que sont laction quotidienne de la démocratie et lassociation des Porto -Vecchiais aux débats et enjeux qui engagent lavenir de la commune et de la Corse.
La démocratie suppose une traduction quotidienne et une participation du plus grand nombre.
Le dessein que nous défendons pour notre ville, pour notre commune sinspirent dun tout autre projet de développement culturel, social et économique qui inscrit les corses comme acteurs et bénéficiaires au coeur même de ce projet.
« Il n’y a qune seule communauté de droit : cest le PEUPLE CORSE »
La situation politique actuelle peut permettre cette nature d’échange et de confrontation de projets et d’idées. Il sait très bien – il en fait le constat – que l’orientation prise depuis plusieurs décennies sur l’évolution de la ville a ses limites. Il sait tout autant que les nationaux que nous sommes ne derogerons pas au constat déjà fait de la société porto vecchiaise : » Le tissu sociétal porto vecchiais est confronté à une gestion communale quasiment « dépolitisée », par le primat dune financiarisation de léconomie ou le bien public succombe aux exactions doutrancières privatisations qui font le lit de la dépossession. » La question est de savoir si il est prêt à franchir un pas – qualitatif – dans l’exercice de la démocratie du quotidien pour entendre la voix de celles et ceux qui parlent d’une toute autre façon de Portivecchju ?
Entre developpement urbain et respect de l’environnement
Est il aujourd’hui à même d’écouter, de partager et de débattre pour mieux comprendre ? Notre homme parle constamment de développement. Au point même que dans l’interview – sur la vision de désenclavement du port de commerce – il s’en prend indirectement à la Zone Naturelle d’intérêt Faunistique et Floristique du Stabiacciu ( elle constitue un atout pour l’image de la cité du sel) comme il s’attaque directement à l’incivisme de ses administrés qui transforment certaines zones en dépotoirs après des nettoyages. L’exemple de la Z.A.C. du Murtoni l’atteste. Sauf qu’à vouloir se servir de cet incivisme – contre lequel le maire a lautorité de lutter – pour mieux faire passer la pillule de s’attaquer aux espaces naturels sensibles relève encore une fois de l ‘ inconséquence politique… Sil veut s’affranchir de bien des carcans, qu’il commence par se départir de cet « esprit beton » qui ne l’habite que trop… Il serait selon moi plus pertinent stratégiquement de promouvoir un développement urbain et ses infrastructures dans une logique de complémentarité avec notre environnement, un des constituants de notre tissu social.
Au delà de l’étiquette…
Il est un tout autre contexte où notre maire semble s’affranchir d’un certain périmètre, c’est celui de sa mouvance libérale. Il ne cache pas qu’aujourd’hui, pour lui, « l’étiquette n’a plus de sens ». Rejoignant en cela Jean Martin Mondoloni qui lui, avait déjà pris quelques distances avec « ses instances parisiennes ». A l’évidence, malgré les derniers succès électoraux engrangés par la Droite, particulièrement dans le Sud – notamment dans le « grand Sud » – la réalité interne de cette dernière a révélé en plein jour les déchirures dont l’élection du président du conseil départemental fut l’une des dernières matérialisations. Au demeurant, même Camille de Rocca Serra – dont Georges Mela revendique la proximité – est au coeur de la tourmente, quelque peu « lâché » par Nicolas Sarkozy. Les derniers échanges – par médias interposés – entre José Rossi (pressenti pour conduire la liste libérale aux futures territoriales) et Camille de Rocca Serra (qui defend aujourd’hui l’inscription de la Corse dans la constitution française ) paraissent confirmer un certain schisme qui devrait se traduire par la présentation de deux listes au moins pour les élections territoriales de décembre prochain. Georges Mela a quand même pris ses premières distances puisqu’il déclare : « notre famille politique doit se passer d’une investiture ou des ordres venus de Paris ». Reste à savoir si cette « régionalisation » des propos tient plus d’un contexte interne que d’une approche de projet dont le maire de la troisième ville de Corse défend le principe selon un programme d’alternance dont nous ne connaissons pas encore les grands traits. A l’évidence Georges Mela semble prêt à prendre le chemin de ces territoriales, démentant quelque peu au passage ses précédents propos sur ce « mandat de terrain qui est celui du maire » et auquel il entendait exclusivement se consacrer…
En conclusion…
Georges Mela entend vouloir « impulser une nouvelle dynamique ». Tout en étant conscient de certaines limites force est de constater que cette mandature territoriale a eu – au moins – le merite de poser et prospecter des pistes exploratoires pour un développement endogène et durable, au même titre qu’elle a permis l’amorce de débats pour une solution et un apaisement politique, même si des efforts restent encore à faire. Demeure l’inconnue des intentions de ces « droites traditionnelles » pour savoir si la « nouvelle dynamique » n’est qu’un succédané – ou pas – du précédent « Padduc » qui consacrait la « résidentialisation » de l’île…
Dans l’attente il est toutefois une demande publiquement formulée par l’organisation de défense des prisonniers politiques corses, « Sulidarità » et la démarche municipale patriotique « U Riacquistu di Portivecchju ». Elle concerne le sujet de l’amnistie.
Je rappelle que la nouvelle mandature municipale de Portivecchju s’est aussi ouverte avec un vote pour le rapprochement des prisonniers corses. Nous en avions alors pris acte. Dans le prolongement arrive la question de l’amnistie, également adoptée par un certain nombre de communes.
Georges Mela, son conseil municipal, ont toute latitude pour adopter ce principe. Cela participera au choix – déterminé – de s’inscrire résolument dans une toute autre vision pour la Corse, avec à la clé une solution politique pérenne. Une amnistie, non pas pour que tout recommence comme avant, comme l’évoquent quelques uns de ses détracteurs, mais bel et bien pour construire de meilleurs lendemains dont la Corse a tant besoin.
Ulivieru Sauli.