Interview Edmond Simeoni/Corse-Matin

Dans son édition du Lundi 4 Avril 2011, Jean Marc Raffaelli, journaliste à Corse-Matin a réalisé une longue interview qui m’a permis de faire le point de la situation actuelle et de proposer une esquisse de méthode de sortie de la crise historique que traverse la Corse. J’ai pensé qu’il était utile de la reproduire, à l’intention de nos compatriotes qui n’en auraient pas eu connaissance.

Interview Edmond Simeoni/Corse-Matin

Les engagements concrets pris par le garde des Sceaux sur le rapprochement des détenus ont dû vous soulager… L’État, en décidant enfin de ne plus exclure les prisonniers politiques du droit au rapprochement, s’est enfin conformé à sa propre loi. Obtenue grâce à une mobilisation exemplaire, l’avancée est importante et constitue un signal positif. Naturellement, ce processus doit aller à son terme rapidement. De même, nous serons attentifs à ce qu’Yvan Colonna bénéficie enfin d’un procès équitable.

C’est un signe encourageant sur le chemin d’une solution politique enfin durable ?

Oui. Mais tout reste à faire. Combien de drames, combien de temps perdu, combien de postures stériles, alors que tout le monde sait, à Paris et en Corse, que le moment viendra, inéluctablement, où il faudra se mettre autour d’une table. Le problème corse touche à l’identité collective, à l’exigence démocratique, à la crainte d’une communauté humaine de disparaître et à son corollaire : l’aspiration à être rassurée sur sa pérennité. A ces données structurelles, s’ajoutent des facteurs aggravants : une situation économique et sociale dégradée, -chômage, pouvoir d’achat et salaires faibles, crise du logement, vie chère, précarité en progression-, des secteurs en crise profonde, des déséquilibres territoriaux et démographiques de plus en plus marqués, et un pessimisme qui tend à se généraliser : l’exil des jeunes qui reprend, leur mal-être multiforme en sont des expressions frappantes. La Corse a besoin d’une perspective politique forte, qui mobilise et fédère les forces vives de l’île. L’Etat doit accompagner cette dynamique, plutôt que de s’en tenir à une politique faite d’une alternance entre calculs et répression.

Dans quels domaines, selon vous, faut-il concentrer prioritairement les efforts ?

Nous avons des problèmes majeurs et cumulatifs dans de nombreux domaines. Ces problèmes sont connus de tous : agriculture en survie, tourisme mal maîtrisé, commerce à la peine, industries et technologies de pointe marginales. Facteur aggravant, la Corse maîtrise peu, et souvent mal, ses secteurs stratégiques, censés induire et encadrer le développement. Le secteur du transport avec l’avenir incertain du chemin de fer de la Corse et l’abcès, jamais résolu, de la desserte maritime. Une dépendance énergétique, qui exprime le décalage entre les discours et les choix effectifs : alors que Paris prétend ériger la Corse en pôle d’excellence environnemental, le fioul lourd est privilégié à Lucciana, tandis que les énergies renouvelables sont en panne : photovoltaïque mal conduit, éolien mal en point, biomasse en jachère. Nos principales richesses restent le soleil, la terre et l’eau : ces dernières sont convoitées, et le seront plus encore eu égard à l’évolution du contexte économique européen et mondial. Il faudrait aussi évoquer les difficultés d’accès à la santé publique et les retards parfois abyssaux en matière d’infrastructures, (routes, assainissement, déchets, équipements sportifs, culturels et sociaux); enfin, la régression accélérée des éléments constitutifs de notre identité collective, au premier rang desquels la langue, accroit le sentiment de dépossession.

L’élaboration d’un nouveau Padduc et les Assises du Foncier vont quand même dans le sens que vous souhaitez…

Oui mais nous restons très vigilants. La méthode (consultation plus large, implication de tous les élus territoriaux et locaux et de la société civile) tranche avec les errements du passé. Il faut maintenant agir selon un calendrier resserré. Et j’espère que les décisions prises seront à la hauteur des enjeux, et des attentes : définir et mettre en oeuvre les mesures qui permettront de maintenir le lien multiséculaire entre le peuple corse et sa terre. Nous touchons ici au noyau dur de l’angoisse collective des Corses. Apporter des réponses fortes sur ce plan, c’est préserver l’avenir et apaiser définitivement le présent.

Quel regard portez-vous sur la violence ?

La violence de droit commun est lourde et génératrice de drames humains insupportables pour une petite société comme la nôtre. On le constate malheureusement tous les jours dans vos colonnes. Cette violence prospère sur le terrain du mal-développement, du culte des armes, de l’argent facile et du rapport de force. Il y a là incontestablement la matrice d’un système mafieux ou pré-mafieux. L’antidote le plus sûr à ces dérives se situe dans le fonctionnement démocratique de notre société. La démocratie non pas comme un argument d’estrade, mais comme une pratique quotidienne et généralisée.

Le débat à l’Assemblée de Corse a été inutile ?

Absolument pas. Réapprendre à se parler, et à s’écouter, poser lucidement et sans tabou les problèmes, c’est déjà faire un pas vers leur solution.

Et la violence politique, quelle justification peut-on encore lui accorder ?

Cette violence est née de la politique de l’Etat en Corse. Elle est en nette décrue. Je suis certain qu’elle cessera totalement dès que le problème politique sera entré en voie de solution.

Comment jugez-vous le premier bilan annuel de L’Exécutif Territorial ?

Il y a certes des éléments positifs : par exemple les Assises du foncier ou la volonté affichée d’engager des efforts significatifs en matière de bilinguisme. Mais globalement, la majorité actuelle paie cher son choix de l’année dernière. Au lendemain des élections territoriales de mars 2010, les Corses espéraient une nouvelle donne, la recherche d’une sortie de crise par le haut. Il aurait fallu élargir la perspective, proposer une plate-forme autour des problèmes essentiels, rechercher une majorité élargie incluant notamment l’ensemble des nationalistes, impliquer l’Etat dans le jeu. Au lieu de cela, la gauche unie a joué une partition partisane : une majorité relative et au forceps, la recherche du verrouillage de l’institution à travers la transposition du système rodé au Conseil Général de Haute-Corse. Si cette configuration persiste, l’échec, rapide, est garanti, et ce quelles que soient les qualités ou les bonnes volontés individuelles. D’ailleurs, sur tous les grands dossiers structurants, la majorité territoriale n’a pu, à ce jour, fixer un cap ou prendre des décisions fortes : l’exemple des transports maritimes est significatif.

Face au constat critique que vous dressez, quelle solution préconisez-vous ?

Il existe, malgré les difficultés, de nombreux signes positifs. La vie politique corse est incontestablement traversée par une aspiration profonde au dialogue. Les antagonismes sont moins tranchés, chacun fait un pas vers l’autre. Les exemples sont multiples et à tous les niveaux. Au plan local, comment ne pas citer le village de Cuttuli; exemple de gouvernance concertée entre deux bords hier opposés, qui travaillent à la réconciliation et à la prospérité d’une communauté villageoise longtemps déchirée. Et à l’Assemblée de Corse, comment ne pas se rendre compte que les débats et le travail en commission permettent souvent de dégager des consensus sur les analyses et les solutions ? Notamment à la Commission législative et réglementaire, présidée par Pierre Chaubon. Dernier exemple : celui des élections cantonales. Au delà des résultats du second tour (victoire historique de Jean-Cristophe Angelini Porti-Vechju, scores de Jean Baptiste Arena et Antoine Versini), et de la progression d’ensemble confirmée des nationalistes, il faut aussi noter l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes engagés en politique: de droite, de gauche, nationalistes, ils se connaissent, s’apprécient, ont souvent fait leurs études ensemble, au lycée, à l’Université… Après des décennies de conflits, au sein de la société corse d’abord, entre la Corse et Paris ensuite, les conditions d’un dialogue vrai, et de la définition d’un schéma de sortie de crise, n’ont sans doute jamais été aussi favorables.

Qui doit prendre l’initiative et quand ?

La question est plutôt : qui va enfin prendre l’initiative, et surtout quand ? à mon sens, le plus tôt serait le mieux.

L’Assemblée de Corse ne doit-elle pas mettre à profit la Réforme des Collectivités pour faire des propositions qui vont dans le sens de la solution politique que vous espérez ?

La question institutionnelle n’est qu’un des aspects de la problématique. Mais il est certain que plus les élus de la CTC vont avancer sur le chemin de l’identification des problèmes et des solutions, plus la nécessité d’ajustements législatifs et réglementaires importants va se faire sentir : c’est vrai en matière de foncier, en matière de fiscalité (et notamment la question du maintien du régime issu des arrêtés Miot), en matière de langue, en matière de maîtrise des transports, etc..!! Nous aurions sans doute intérêt à profiter de la réforme des collectivités, si elle est maintenue, pour réfléchir à l’adaptation de nos institutions.

Envisagez-vous, en votre qualité de « sage » du nationalisme, de demander à rencontrer le Président de la République pour en parler ?

Non. Les interlocuteurs naturels du Gouvernement et du Président de la République sont les élus de la Corse, les représentants de la société civile et plus généralement le peuple corse de l’île et de la diaspora. Un nouveau référendum vous paraît-il opportun ?Parler d’un éventuel referendum est tout à fait prématuré. Mais nul ne peut exclure la nécessité ultérieure d’une modification de la Constitution, concernant le futur statut de la Corse.

En tout cas, si dialogue il y a avec Paris, quel contenu les nationalistes veulent-ils mettre ?

Il leur appartiendra de faire connaître leurs propositions, même si la plupart d’entre elles sont déjà dans le domaine public. Vous savez, dans toutes les situations politiques conflictuelles, la sortie de crise s’écrit toujours de la même façon : les protagonistes se mettent autour d’une table, listent les problèmes, et se mettent d’accord sur des solutions. Ces solutions sont ensuite mises en oeuvre selon un calendrier incluant des rapports d’étape et d’évaluation. Nous insistons sur le fait que les prisonniers politiques font partie intégrante du problème, ils feront nécessairement partie de la solution.

Mais dans quel cadre pourrait s’inscrire cette solution?

Dans un nouveau cadre contractuel adapté, inspiré par les standards de l’Union européenne. Pour l’Europe et les grands Pays européens, l’histoire de la Corse, son insularité, son particularisme économique, son identité culturelle et son ancrage méditerranéen justifient largement un statut original et innovant. Outre qu’elle viendrait mettre un terme à une situation de conflit qui est un anachronisme dans une Europe qui encourage fortement les autonomies régionales, une telle option permettrait de positionner la Corse comme un acteur dynamique de l’espace méditerranéen. Dans la nouvelle donne géopolitique actuelle, la France et l’Europe ont tout à y gagner.

Vous regrettez le départ de Stéphane Bouillon ?

J’ai entretenu avec le préfet Bouillon de bons rapports. C’est un homme efficace, disponible et franc. Je pense que, au poste éminent qu’il occupe, il fournira à Paris des informations de qualité sur la situation insulaire et la nécessité de sortir de la situation actuelle de blocage. Votre sentiment sur la grève à la SNCM ?Elle a été inadmissible et gravement pénalisante pour l’économie de la Corse. Le dossier des transports maritimes est un scandale chronique, majeur, ruineux, qui dure depuis des décennies. L’inertie du Conseil Exécutif et de l’Office des transports est incompréhensible, sauf si on l’impute à la volonté de ne pas déplaire à la CGT du Port de Marseille, à qui on doit ce nouveau conflit. Le droit de grève est certes fondamental. Mais il est inacceptable que l’on organise le blocus de la Corse et de son économie pour des intérêts sectoriels. Les intérêts collectifs de la Corse priment sur les considérations corporatistes.

Une compagnie maritime régionale, c’est possible ?

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas faire l’économie de préparer l’échéance de 2013, en envisageant de façon rationnelle, argumentée, et chiffrée, toutes les possibilités : création d’une compagnie régionale, service minimum, , mais aussi la refonte totale de la desserte : séparation claire d’un service public – fiable et bénéficiant de subventions – et de services privés, sans subvention. Et la refonte, après diagnostic fiable (il n’y en jamais eu) de la continuité territoriale ; l’enveloppe doit être actualisée, fongible, au service prioritaire des intérêts économiques de la Corse. Et là encore, la méthode est fondamentale : dans une île plus qu’ailleurs, tout le monde est concerné par les transports : toutes les forces vives doivent donc être associées à la réflexion.

Un dernier mot, peut-être, sur le Japon…

Le drame suscite une immense compassion. Au delà de la solidarité internationale avec le peuple japonais, comme avec d’autres peuples-martyrs, une évidence : il faut une alternative à l’énergie nucléaire, et, plus globalement, engager la planète dans une économie-monde plus respectueuse de l’environnement et des ressources naturelles. La Corse, gravement pénalisée par Tchernobyl, doit, avec modestie certes, y prendre toute sa place.

 

Bastia le 3 Avril 2011

 

 

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