Dans l’Histoire récente de la Corse, 2003 restera l’année négative, celle qui a dit non par référendum à la suppression des départements par une très courte majorité remportée par un « non » arc-bouté au statu quo. Douze ans plus tard, on en est encore à courir après une « Collectivité Unique » pour 2017, et à subir une année 2015 qui a vu des élections départementales conforter nos adversaires tant en Haute Corse qu’en Corse du Sud. Le Padduc subirait-t-il le même sort, en étant pris dans l’étau de la conjonction de ceux qui s’opposent à toutes les protections qu’il contient, et d’autres qui trouvent qu’il n’y en a pas assez ?
Le débat sur le Padduc est d’une apparence bien complexe, mais il porte en fait sur des axes fort simples : l’avenir de la terre corse et de ses usages, et par quelle entité humaine ? Trois enjeux sont essentiels : le littoral face à la spéculation foncière touristique, les terres agricoles dans les zones à forte pression urbanistique, particulièrement aux périphéries des agglomérations, et la « destination » du territoire au profit du peuple corse, « communauté de destin ».
L’Etat a fait part, par préfet interposé, de son rejet des dispositions qui affirment la primauté du peuple corse sur la Terre de Corse. C’est « anti-contitutionnel » ! Il va ferrailler pour faire annuler tout ce qui consacre la recoonaissance du peuple corse, et il faut s’attendre à des rapports de forces tendus avec les élus de la Corse soudés par les délibérations qu’ils ont prises et que le peuple corse dans sa très grande majorité soutient. L’intérêt de l’Etat est d’éviter ce rapport de forces qu’il sait aborder en position de faiblesse. Aussi, à Paris comme au Palais Lantivy, on espère secrétement que le Padduc échouera dans sa phase finale : ce sera autant de soucis en moins !
Les intérêts liés à la spéculation touristique ont ferraillé durant toute la phase d’élaboration pour dégager tout l’espace possible à leurs projets réels ou supposés qui ont besoin de dévorer l’espace littoral et les ZNIEFF pour y multiplier les marinas rutilantes. Chacun sait pourtant que c’est le plus sûr moyen de « tuer la poule aux oeufs d’or ». Leurs soutiens politiques traditionnels -la droite- sont obligés de l’admettre, mais ils veulent quand même faire passer un maximum de projets, sur leur propre commune par exemple, entre les mailles du filet réglementaire que le Padduc met en place. Ils étaient à la manoeuvre lors de l’élaboration du précédent Padduc aux visées « résidentielles », et, pour eux, l’objectif est d’élargir toujours plus les mailles du filet. La droite unanime l’a proclamé, de José Rossi à Jean Jacques Panunzi, en passant par Camille de Rocca Serra et Marcel Francisci. L’élection municipale de Portivechju s’est jouée sur ce terrain hautement démagogique et la future élection territoriale en sera elle aussi impactée. Ne pas promulguer le Padduc avant, et les délais sont courts pour y parvenir, c’est donner à la droite qui se voit déjà triompher en décembre prochain les mains libres pour « détricoter » à sa main un document qui, pour l’heure, est protecteur du littoral et des espaces remarquables.
L’enjeu soumis aujourd’hui aux plus vives critiques est celui des espaces agricoles à garantir aux générations futures. Un accord est fait sur un objectif, 105.000 hectares de terres à fort potentiel agricole qu’il faut protéger de la « bétonnisation », que ce soit par des lotissements péri-urbains, par des « zones d’activités » et autres grandes surfaces qui se multiplient aux abords des agglomérations grandes et moyennes. Le chantier est difficile et les intérêts les plus contradictoires peuvent se trouver interpellés. La matière est complexe et mérite d’être travaillée, ce qui avait été fait lors d’un premier vote qui avait imaginé des « espaces mutables » aux contours réglementaires bien incertains. Après consultation il est proposé une nouvelle approche dite « de compensation », par lequel la soustraction d’espace agricole pour de l’extension urbaine ne sera possible que si une « compensation » équivalente au profit de l’espace agricole est opérée sur le territoire de la même commune. Elle aussi est discutable, elle doit être entourée d’un maximum de garde-fous pour arriver à l’essentiel : préserver pour le long terme l’espace agricole insulaire. La plus grande vigilance est nécessaire, et elle le sera PLU après PLU, tout au long des années qui viennent. Elle doit bien sûr commencer par s’exercer lors des débats de l’Assemblée de Corse qui auront lieu prochainement.
Mais une chose est certaine : il faut arriver à ce que le Padduc soit voté par la plus large des majorités, pour s’imposer à l’Etat, et promulgué avant décembre, pour contraindre la future majorité de l’Assemblée de Corse. Sa mise en échec au bout de cinq années de travail ferait avant tout les affaires de l’Etat et de ceux qui, au sein de l’Assemblée de Corse, actuelle ou future, veulent relancer leurs projets de « désanctuarisation » de la Corse.