(Unità Naziunale Publié le 24 juin 2018 à 15h01) Jean-Guy Talamoni a été invité par le Premier ministre à Matignon le 2 juillet prochain. Ce courrier a été rendu public dimanche 24 juin. Dans une lettre de trois pages, le Président de l’Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni acte une rupture définitive du dialogue avec Paris.
Revue de presse
(Corse Matin) (France 3 Corse) (Corse Net Infos) (Alta Frequenza)
Le courrier :
Monsieur le Premier ministre,
J’ai bien reçu votre invitation à vous rencontrer à Paris le 2 juillet prochain, avec le Président du Conseil exécutif.
Vous n’êtes pas sans connaître l’appréciation extrêmement négative de notre majorité s’agissant du résultat des réunions organisées depuis le début de l’année entre votre gouvernement et les élus corses. Notre profonde conviction est que nos différentes demandes ont été traitées par le mépris et que Paris a fait ce qu’il avait déjà décidé de faire avant même l’ouverture des débats.
C’est la raison pour laquelle j’ai estimé ne pas devoir rencontrer différents ministres en visite dans l’île ces dernières semaines, ne voulant pas tromper l’opinion corse en lui donnant l’impression qu’un véritable dialogue était en cours, alors que ces visites sans contenu avaient un caractère purement protocolaire, pour ne pas dire fictif.
Je me suis cependant rendu il y a quelques jours à une réunion entre votre ministre de l’économie et des finances, les présidents des chambres consulaires et les responsables de la Collectivité. En effet, ayant travaillé une année entière avec les syndicats et les socioprofessionnels sur un « Statut fiscal et social », j’ai voulu savoir si une porte était loyalement ouverte à cet égard par votre gouvernement.
A cette occasion, j’ai demandé à Monsieur Le Maire s’il était prêt à s’engager publiquement sur la notion de statut spécifique, ce qui relève de la simple application des engagements internationaux de la France, notamment de l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne. Devant sa réponse négative, j’ai dû me rendre à l’évidence : cette énième visite relevait comme les précédentes de la pure communication.
Ces derniers mois ont été l’occasion d’un terrible gâchis et d’un véritable déni de démocratie.
Gâchis car tous les éléments étaient réunis dans l’île pour un règlement définitif de la question corse, avec notamment, en juin 2014, la décision du FLNC de sortie de la clandestinité.
https://www.corsicainfurmazione.org/673815/corse-il-y-a-4-ans-le-flnc-uc-annoncait-la-fin-de-la-lutte-armee/2018/
Déni de démocratie car les électeurs ont exprimé en décembre dernier une volonté politique claire. Ils l’ont fait en donnant une majorité absolue à une liste se réclamant du mouvement national corse.
De cette volonté exprimée à travers le suffrage universel, Paris n’a voulu tenir aucun compte, se plaçant plus volontiers dans les pas de Choiseul que dans ceux de Michel Rocard.
Dès réception de votre courrier m’invitant à la rencontre du 2 juillet, j’ai fait demander par mon cabinet quel serait l’ordre du jour, afin de vérifier une fois de plus si une porte pouvait s’entrouvrir vers un véritable dialogue. Il me fut répondu en quelques mots qu’il s’agissait de conclure le cycle de rencontres de ces derniers mois.
J’en déduis que l’on me demande d’avaliser par ma présence le résultat d’un faux dialogue et de consentir à voir mépriser les institutions légitimes des Corses.
Je ne le ferai pas.
À défaut d’un signal fort, public – peu probable en l’état –, indiquant que Paris entend rompre avec cette politique méprisante pour négocier loyalement avec la Corse, je ne me rendrai pas à la rencontre du 2 juillet.
Etant l’un des responsables d’un petit pays autrefois annexé par les armes et soumis jusqu’à aujourd’hui au dédain et à l’arbitraire, je n’ai que peu de moyens pour combattre l’injustice qui continue à être faite à mon peuple.
Je n’ai pas les moyens de réparer les malheurs qui ont été causés aux miens depuis 1769.
Je n’ai pas les moyens de vous contraindre à respecter le fait démocratique s’étant exprimé en Corse en ce début de XXIe siècle.
Je ne peux vous imposer de libérer mes frères que vous tenez encore dans vos prisons.
Je ne peux vous interdire d’y envoyer à nouveau de jeunes Corses, comme vous l’avez fait il y a seulement quelques heures.
Je ne peux vous empêcher de considérer mon pays comme un territoire soumis à votre bon vouloir.
Mais j’ai encore un pouvoir : celui de dire non.
Celui de ne pas aller à Canossa.
Celui de ne pas déférer à vos convocations.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, à l’assurance de ma haute considération pour votre personne et pour le peuple que vous représentez.
Non pour la politique que vous mettez en oeuvre.