Le tribunal de commerce de Marseille a reculé au 22 avril l’audience au cours de laquelle devrait être retenu le repreneur de la SNCM. Dans ce contexte d’incertitude voulu, les manœuvres hostiles à la compagnie et au service public se poursuivent et s’accentuent.
Il en est ainsi de la lettre du président du Conseil Exécutif de Corse adressée le 5 mars aux administrateurs judiciaires dans laquelle Paul Giacobbi menace de suspendre le 31 mars le versement de la compensation financière due à la SNCM au titre de l’exécution de la délégation de service publique (DSP). De son côté le président de l’Office de transports présentera le 2 avril un budget ou figure en produits exceptionnels les 170 M€ d’amende anstiservice public réclamée par la Commission européenne et 30 M€ de pénalités toujours contre la SNCM.
Pour justifier de leur hostilité grandissante à l’égard de la compagnie, l’un et l’autre évoque la supériorité du droit européen et l’obligation de recouvrer la dite amende alors que l’Etat lui-même s’est abstenu jusqu’a présent d’émettre le titre concernant l’autre amende de 220 M€ portant sur les sommes versées à la compagnie au moment de sa privatisation scandaleuse. Les administrateurs judiciaires n’ont pas manqué de rappeler que la période de redressement judiciaire rendait impossible le recouvrement de l’amende concernant le service complémentaire au demeurant effectué par la SNCM à la demande de la Collectivité territoriale dans le cadre d’une convention engageant les cocontractants. Mais peu importe il fallait à la veille de l’audience du tribunal administratif de Bastia sur deux recours importants, l’un concernant le paiement de la surcharge combustible et l’autre la mise en cause de la nouvelle DSP, donner un coup supplémentaire toujours pour nourrir l’objectif de la liquidation.
Les dirigeants de Corsica Ferries France (CFF) n’en attendaient pas tant de la CTC qui, au lieu de défendre ses choix en appel pour résister à leur acharnement procédurier contraire à l’intérêt général, anticipe les évolutions de la réglementation européenne dans le sens du low cost et de la concurrence débridée. Le comble du cynisme est atteint dans une note émanant de l’OTC et expliquant que l’affrètement du navire Pélican, outre l’arrêt technique de 3 navires de la CMN, devait palier au risque d’un mouvement de grève « rendu probable » après le dépôt de bilan de la SNCM le 28 novembre 2014. Deux jours auparavant le président de l’OTC avait émis le titre de recouvrement pour l’amende antiservice public de 170 M€. Que les salariés de la SNCM perdent leur emploi importe peu pourvu qu’ils l’acceptent en silence.
La gabegie commencée en 2002 avec l’aide sociale se poursuit donc avec l’affrètement de ce navire pour la bagatelle de 1.8 M€. Le président de l’Exécutif et celui de l’OTC jouent ainsi à qui perd gagne sur le dos de centaines de travailleurs qui n’ont que leurs emplois pour vivre et des usagers du service public qui devraient se contenter, dans ce schéma, d’un service public au rabais écrasé par la domination low cost. C’est pourquoi ils ont fait croire avec le gouvernement que le passage au tribunal de commerce était indispensable. A l’époque il s’agissait d’une opération « technique » pour lever l’hypothèque des amendes et permettre la transmissibilité de la DSP sans que la Commission européenne ne s’y oppose. Tout cela n’a pas résisté à l’épreuve des faits. Les personnels de la SNCM ont eu raison de combattre ce scénario dit de « discontinuité » parce que c’est pour eux celui du chômage assuré.
Le tribunal de commerce de Marseille a ainsi fixé au 22 avril l’audience ultime, dite attributive, au cours de laquelle sera fait le choix du repreneur de la SNCM ou de la liquidation. Les trois repreneurs en lice Berrebi, Rocca et Garin, ont jusqu’au 17 avril pour finaliser leurs offres sans clause suspensive. De son côté, le tribunal administratif de Bastia aura rendu le 1er avril ses conclusions sur la demande en annulation de la DSP par les dirigeants de CFF qui ont contesté la rédaction de l’appel d’offres. Le 19 mars le commissaire du gouvernement avait demandé la résiliation du contrat et le rejet du versement d’une indemnité prévue en cas de surcouts de combustible. Dans les deux cas on ne peut que constater la faiblesse des arguments développés aussi bien par les avocats de la CTC que par ceux de la SNCM. Pour ce qui est des avocats de la CTC, à aucun moment il n’a été question de l’offre inconsistante faite par CFF obligeant à ce qu’elle soit écartée de l’appel d’offres, quant à ceux de la SNCM ils n’ont même pas pensé que le non respect de la clause combustible générait un déficit d’exploitation non conforme à la convention.
Face à ces tirs croisés émanant du gouvernement, de la CTC, de la Commission européenne des juridictions administratives et commerciales, des dirigeants de Veolia, de la Caisse des dépôts, de CFF, les salariés restent mobilisés. Jean-François Simmarano, de la CGT livre cette analyse « C’est une exécution à deux lames, une tranche dans les effectifs, l’autre dans la DSP pour la réduire en la morcelant ligne par ligne ». La résiliation de la DSP serait par conséquent une aubaine pour tous les adversaires de la SNCM et du service public. Après tant d’années de gabegie, ils masqueront leurs responsabilités dans la situation catastrophique liée à la concurrence déloyale mais néanmoins subventionnée des low cost pour un montant de 180 M€, au gel de l’enveloppe de continuité territoriale pour un montant de 23 M€, au vol de la taxe de transport pour un montant de 5 M€, au rachat scandaleux des actions de Buttler pour un montant de 60 M€. Grace à ces bons gestionnaires des deniers publics, la Corse pourrait demain se réveiller groggy. Pour empêcher le désastre économique et social il faut, comme le préconisent les salariés, revenir au point de départ en un mot : à la continuité de la SNCM.
Michel Stefani