Lundi 2 mars – 16h40, maison d’arrêt de Fresnes – Je viens de visiter mon frère prévenu au bloc D2.. Je passe le dernier portique de sécurité, presse le pas pour sortir de l’enceinte de la prison.
Enfin dehors, je souffle de soulagement. Pérégrination en quartier sécurisé, parquée de salle en salle surpeuplée pour arriver dans un petit box exigu. La porte se ferme dans mon dos et là j’attends Felix. A peine la place pour deux vieux tabourets disposés de part et d’autre d’une murette de sécurité. Dans cette bâtisse de 1898, la politique pénitentiaire n’est ni à la sociabilisation ni à la communication et le contact direct dans les parloirs est évité.
Felix apparaît avec un sourire et son habituel – » Davia ! « . Le voila rayonnant et chaleureux comme s’il me recevait dans une spacieuse maison de village près d’un feu de cheminée, me faisant oublier la sordidité du lieu. Dans l’entre bâillement de la porte se refermant, je croise furtivement les visages blafards d’autres prisonniers d’origines diverses, passant pour rejoindre leur parloir familial.
Je pense alors que j’ai bien de la chance de visiter ce frère au regard toujours malin auquel je voudrais apporter un moment d’ouverture sur l’extérieur. Nous parlons comme toujours, un grand frère et sa petite sœur, des échanges directs et sincères où nous apprécions l’instant de chaque minute écoulée. 45 minutes – » fin de parloir » entend-on hurler à l’autre bout. La porte s’ouvre, il m’embrasse et me glisse un dernier – » basgi à mamma per mè » puis il disparait. Je reste seule en attendant qu’on me libère à mon tour, gardant l’empreinte de cette entrevue. Les murs peu à peu se ternissent à nouveau et perdent l’aura qu’il y avait installée. Les voilà réapparaitre lugubres et sales. On m’arrache mon frère une fois de plus et j’en ressens la frustration…
L’idée de mon vol d’avion du soir pour partir en vacances me réconforte. Alors que je m’impatiente de fuir cet endroit et que je commence à ressentir la contrainte de l’enfermement, je me demande à quel point son sentiment d’emprisonnement en remontant en cellule peut être fort. Il n’en laissait cependant rien paraître. Quelle doit être sa frustration de ne pas pouvoir voir ni appeler ses enfants ? Il ne le montrait pourtant pas alors qu’il attend depuis 2 ans, dans une prison française, la fermeture d’une enquête qui reste délibérément ouverte pour le maintenir en détention loin de sa terre et des siens… La porte s’ouvre. Je pars enfin et en traversant les longs corridors vers la sortie, de nouvelles interrogations se soulèvent en moi.
Quel est le but de cet exil et cette interminable détention sinon de vouloir casser la volonté d’un homme aux idéaux nationalistes corses ? Deux ans d’instruction pour un cas de correctionnelle ! Pour détention d’armes et une enquête qui reste au même point ! Madame le juge d’instruction, quelle est donc la satisfaction de votre métier ? Quel est donc cet exercice pervers du pouvoir ? Rendez nous notre frère, rendez leurs leur père, rendez leurs leur fils.
Rendez Felix à sa vie, à son amie. Rendez lui justice. Laissez le œuvrer sur sa terre, auprès de sa famille et non s’occuper à résister au conditionnement carcéral en observant de nombreux cas pathologiques de cette maison d’arrêt afin de ne pas sombrer dans l’ennui ni se résigner comme nombre de détenus de Fresnes.
I corsi in terra corsa. Libertà !
(A lire aussi sur le Blog de Pierre Guerrini)