Suite à de (trop) longs mois de silence, il est temps de reprendre la parole en cette nouvelle année. Certains propos tenus ces derniers temps nous obligent à faire une mise au point afin de continuer de contribuer au débat politique corse et plus particulièrement à celui animant le mouvement national.
Plus ou moins sournoisement, plus ou moins affirmée, se répand l’idée que la bonne grille de lecture de la vie politique corse ne serait plus la traditionnelle séparation entre les forces de gauche et celles de droite, mais un nouveau clivage autour de la question de l’évolution institutionnelle. Cela a été réaffirmé dernièrement par Paul Leonetti, candidat Corsica Libera aux élections municipales d’Aiacciu de dimanche prochain. Ainsi, la ligne de fracture en Corse laisserait d’un côté les partisans, a priori majoritaires, des derniers votes de l’Assemblée de Corse (inscription de la Corse dans la Constitution française, co-officialité de la langue corse, statut de résident, etc…), et ceux, a priori minoritaires, qui s’y opposent.
Largement diffusée par le mouvement de libération nationale, en particulier Corsica Libera, cette nouvelle façon de voir le monde politique insulaire a l’énorme avantage de placer les nationalistes dans leur ensemble du côté majoritaire et donc en position favorable à l’heure de négocier d’éventuelles alliances électorales, ou post-électorales.
Il est incontestable que l’évolution politique de ces dernières années, avec notamment le ralliement opportuniste d’une partie du Parti Radical de Gauche menée par Paul Giacobbi, du Parti Socialiste (version Emmanuelle de Gentili), de Corse Social-Démocrate ou même, sur quelques points, de l’ancien enfant chéri du « républicanisme » François Tatti, marque une certaine rupture par rapport à la situation des années 1970/1980 où le mouvement national était en opposition franche et claire à la totalité des autres forces politiques.
Il n’est donc pas question de nier ce changement, ni même d’en minimiser l’importance. Bien au contraire, il faut l’appréhender dans toute ses dimensions, en prenant aussi bien en compte la part d’opportunisme électoral devant les 36 % des listes nationalistes aux élections territoriales de 2010 que la réelle évolution idéologique et programmatique de plusieurs personnalités, dont certaines ont clairement reconnu leurs erreurs d’analyse.
Oui, un clivage évolutionniste/conservateur, le premier camp dépassant largement les limites du mouvement national, est né ces dernières années. Oui, il s’agit d’un paramètre dont la prise en compte est obligatoire à l’heure des choix.
Pour autant, il serait tout à fait dangereux de vouloir le substituer au clivage gauche/droite. Il est bien plus juste d’y voir la superposition de plusieurs grilles de lecture, même si celles-ci laissent apparaître des incohérences certaines. La politique n’est pas une science simple, et toute tentative de simplification signifierait une révision à la baisse de nos ambitions de compréhension politique. Et donc d’action politique. En l’occurrence, une évolution institutionnelle, même ambitieuse, ne suffit pas à définir une action politique, en particulier en matière de modèle économique, social et culturel.
Substituer l’une à l’autre, c’est nier la lutte des classe. Malheureusement, nous savons que le mouvement national corse a abandonné depuis trop longtemps cette analyse, y compris son syndicat qui se montre bien frileux pour employer ces termes malgré son inscription dans ses statuts, en particulier de la part de la ligne majoritaire issue du dernier congrès. Pourtant, à l’heure où les écarts de richesse grandissent, démontrant une concentration toujours plus importante des revenus entre les mains de celles et ceux qui profitent de la manne immobilière et touristique, il serait temps d’affirmer clairement qu’il ne peut y avoir de libération nationale sans libération sociale. En inondant les discours de campagne comme les projets politiques plus larges de l’expression creuse « justice sociale », le mouvement national ne peut gagner les classes populaires que d’un point de vue électoraliste et ne peut, en tous cas, contribuer à l’avènement d’une autre société.
Sans vouloir se lancer dans des comparaisons hasardeuses, il faut tout de même s’interroger sur les ressorts intellectuels, stratégiques et idéologiques utilisés pour aboutir à ce type de discours. Il y a quelques jours, Marine Le Pen a annoncé vouloir la victoire de Syriza, coalition électorale grecque équivalente au Front de gauche français. Elle justifiait ce choix, malgré des divergences programmatiques évidentes, par la fin supposée du clivage gauche/droite au niveau européen, remplacé par un affrontement entre les forces pro-UE et celles s’opposant à la construction européenne actuelle, peu importe que les modèles européens promus soient aux antipodes.
Encore une fois, il ne s’agit pas de comparer la liste Aiacciu Cità Corsa à l’extrême-droite française, cela serait absurde et faux à plus d’un titre. Mais il faut tout de même se méfier de la compréhension, par le peuple corse, d’un discours politique prenant des raccourcis aussi simplistes en espérant en retirer des bénéfices électoraux factices.
Parler de lutte des classes comme d’une réalité universelle ne signifie pas que ses caractéristiques sont les mêmes dans chaque pays du monde. Il ne faut jamais oublier que le mouvement révolutionnaire est intrinsèquement internationaliste et nécessairement respectueux des réalités locales. Il existe donc une lutte des classes spécifiquement corse, comme l’avait théorisé en son temps le FLNC en affirmant vouloir mettre en place un « socialisme original ».
Ce n’est pas tout de vouloir défendre les intérêts du peuple corse, encore faut-il définir quels sont ces intérêts. Or, les intérêts d’un promoteur immobilier vendant des résidences secondaires « les pieds dans l’eau » ne peuvent être identiques à ceux d’un éleveur en recherches de terres. Si cela peut sembler évident à la lecture, il est nécessaire de le réaffirmer.
Cette question est loin d’être anecdotique. Il s’agit bien de définir le projet politique du mouvement national. Veut-il être une force électorale, prenant la tête ou participant, en fonction des territoires, à des coalitions de gestion ? Ou veut-il être une force révolutionnaire, se proposant de refonder la société corse selon des valeurs diamétralement opposées à celles l’ayant conduit à sa situation actuelle ?
C’est à cette alternative que le mouvement national dans son ensemble est confronté. La réponse qui sera apporté par chacune de ses composantes seront essentielles pour l’avenir de notre pays. Les patriotes de gauche doivent porter leur contribution décisive en réaffirmant la lutte des classes comme centrale dans le processus de libération nationale.