L’onde de choc du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo a soulevé une vague de protestation populaire jamais vue en France. La nouvelle édition du journal s’est arrachée dans les kiosques avec une frénésie imprévisible. Puis une petite musique s’est fait entendre : à trop vouloir sacraliser l’humour décapant, n’ouvre-t-on pas la porte à des situations ingérables ?
Cette petite musique discordante est d’abord venue de l’intérieur, quand Delfeil de Ton, chroniqueur historique de l’école Hara Kiri, a rendu son billet hebdomadaire à l’Obs dans lequel il rappelait un propos, tenu après un précédent attentat contre Charlie, par Wolinski, lui aussi tué dans l’attaque terroriste du 7 janvier : « je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C’est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire ». Delfeil de Ton enchaîne : « il fallait pas le faire, mais Charb l’a refait ».
Ce papier a fait polémique au milieu de l’unanimisme anti-terroriste de Paris. L’avocat de Charlie, Michel Malka, s’est adressé à Mathieu Pigasse, nouveau propriétaire de l’Obs, pour dénoncer la publication de ce papier. Ce à quoi il lui a été répondu par le rédacteur en chef, Mathieu Croissandeau : « dans un numéro sur la liberté d’expression, il m’aurait semblé gênant de censurer une voix, quand bien même elle serait discordante. D’autant qu’il s’agit de la voix d’un des pionniers de cette bande ».
Jusqu’où aller trop loin ? C’est la question posée par ce papier et la polémique qui l’a entouré. C’est aussi la question posée par le pape François, alors qu’il était à Manille : la liberté d’expression qui est un droit fondamental autorise-t-elle à moquer et insulter sans mesure la foi d’autrui ?
En fait le pape des chrétiens ne fait qu’un constat : à l’heure où le dialogue avec les leaders religieux de l’islam est un impératif pour enrayer la spirale de violence qui embrase le monde, de l’Afrique sub-saharienne au Moyen Orient, en passant par le Pakistan, alors que cette violence menace d’extermination des populations entières de chrétiens en Afrique, en Syrie ou en Egypte, à quoi sert de multiplier les outrages, et surtout de ne rien entendre des réactions qu’ils provoquent ?
Une image a été remarquée ce week-end quand une collaboratrice de Charlie, interrogée par une chaîne américaine, a voulu passer outre l’interdiction qui lui était faite de brandir la une de Charlie et la caricature de Mahomet qui l’illustre. La journaliste qui l’interviewait a fait couper les images et le son et expliqué la décision que la rédaction avait prise de renoncer à toute provocation de ce type. Chaque fois que ces images ont été montrées sur les télés françaises, c’était pour les dénoncer, jamais pour en débattre. Pourtant ne méritent-elles pas qu’on en débatte ? Car cela se passe aux Etats Unis, où la presse est libre, et où les attentats du 11 septembre 2001 ont été encore plus terribles que ceux de Paris le 7 janvier dernier. s que ces caricatures poussent dans les bras des plus intégristes. Elles sont au Niger, au Pakistan et en Irak, mais elles résonnent aussi en Europe. D’aucuns s’interrogent : pourquoi cette absence remarquée des « banlieues » dans les cortèges du 11 janvier ? Faut-il alors en rajouter ?
Il y a dans l’intelligentsia française certains comportements autistes qui sont très préoccupants. Nous sommes mieux placés que d’autres en Corse pour les ressentir quand un Laurent Ruquier rajoute un énième « trait d’humour » à sa longue litanie d’avanies lancées contre nous. La banderole, fort pertinente au demeurant, déployée dans le stade de Bastia sur le Qatar qui « finance le PSG .. et le terrorisme », l’amène à dire que « les extrémistes corses n’ont rien à envier aux terroristes islamistes ». Ne cherchez pas à comprendre, il n’y a rien à comprendre, si ce n’est que tout comme Charb était obsessionnellement anti-islamiste, Ruquier est lui obsessionnellement anti-corse, ce qui est nettement moins risqué. Mais il serait bon quand même qu’un « Delfeil de Ton » pose enfin la question, à son propos aussi, du « jusqu’où ne pas aller trop loin ». Les Corses apprécieraient.
François Alfonsi
Président de l’ALE (Alliance Libre Européenne) en anglais EFA
Ancien député européen, membre du PNC, Maire d’Osani.
Membre du Parti de la Nation Corse