(article hebdomadaire #FilRougeDeLaRédaction) Extrait du livre « FLNC années 1970 » de Petru Poggioli
6 janvier 1980 « Entre temps, la Corse a élu… quatre Députés R.P.R. aux élections législatives de mars 1978 : Jean-Paul de Rocca-Serra, Pierre Giacomi, Pierre Pasquini et Jean Bozzi. Ils sont tous très anti-nationalistes et partisans d’une position répressive.
Fin juin, Edmond Simeoni a été reçu par le Premier Ministre, Jacques Chirac, à sa demande. En septembre, l’U.P.C. a adressé une lettre aux quatre Députés de Droite pour dénoncer les activités des « barbouzes » qu’elles connaissent, et pour cause, car la plupart sont des militants « gaullistes ». Ces « barbouzes » ont plastiqué en juin la voiture du frère de Marcel Lorenzoni alors qu’il circulait à Ajaccio, sans dommages heureusement pour lui. En août, à la suite d’une visite de sa maison de Vero par des personnes non identifiées, Pierre Bertolini, dont le nom circule avec insistance comme étant l’un des responsables des officines parallèles, réagira mal et, croyant qu’il savait quelque chose, « embarque » manu militari un jeune mineur du village pour lui faire peur. Les « barbouzes » séviront encore en septembre en s’attaquant au siège de l’U.P.C. à Bastia et en plastiquant le domicile de Vincent Stagnara que les services officiels considèrent comme un théoricien du F.L.N.C. depuis la création de « Fronte Corsu » et sa participation en tant qu’avocat de la défense de certains militants arrêtés en juin à Bastia.
À l’époque, les « barbouzes » avaient décidé de passer à la vitesse supérieure comme l’a révélé, dans un ouvrage paru en avril 2006 – « Le Commissaire et l’indic« , Éditions Plon -, l’ancien patron de l’O.C.R.B., Aimé Blanc. Cinq militants devaient être abattus : Alain Orsoni, Yves Stella, Léo Battesti, Vincent Stagnara et moi-même. Ce n’étaient pas les « barbouzes » insulaires qui avaient programmé cette opération mais celles de Paris. Le Q.G. était… la Préfecture de Police de cette ville !
Les hommes de main étaient par ailleurs des truands, notamment Mayone-Libaude… Ils seront tous liquidés par la suite, de façon bien mystérieuse d’ailleurs.
D’après Aimé Blanc, le Ministère de l’Intérieur était au fait – à l’origine sans doute même ! -de l’opération qui, à n’en pas douter, aurait été attribuée aux « barbouzes » locaux connus et en première ligne. Cela aurait certainement fait bel et bien dégénérer la situation déjà explosive en Corse. C’est peut-être pour cela que l’Élysée a finalement arrêté l’engrenage mortel. Pour un temps seulement. Selon Aimé Blanc, l’affaire de la disparition tragique de Guy Orsoni est une réactivation de cette opération. Cette thèse politique est, pour la première fois, reconnue officiellement par un haut responsable policier. Ignorant à l’époque que nous sommes en danger de mort, nous tentons d’organiser au mieux notre cavale. Depuis le début du mois de septembre, nous avons loué grâce à des militants, sous leurs vrais noms, un appartement en ville pour un an. Nous l’utilisons comme quartier général tout en faisant des séjours de quelques jours dans d’autres planques que nous trouvent les militants.
Alors que nous sommes, Alain et moi, dans un appartement laissé à notre disposition par l’amie d’une militante, elle nous fait part de son désir de nous faire connaître son fiancé. Celui-ci veut à tout prix rejoindre le « Front ». Nous nous renseignons sur lui. Il s’agit d’une personne se présentant comme un Corse de la diaspora qui veut renouer avec ses origines. Il effectue des séjours réguliers à l’étranger en s’occupant de l’installation de pylônes électriques pour le compte d’une société internationale. Il vit avec notre contact depuis trois ans. Après réflexion, considérant qu’il pouvait nous être utile dans ses déplacements et qu’un refus aurait pu également « vexer » notre contact qui se porte garante de lui, nous décidons de le rencontrer. D’entrée, nous le trouvons motivé mais nous décidons d’être prudents. Nous le reverrons une autre fois avant de lui proposer de participer à des actions. C’est ainsi que Yannick Léonelli devient militant du F.L.N.C. Nous le laissons toutefois en retrait, le mobilisant ponctuellement seulement sur deux ou trois attentats après lui avoir donné les adresses et le matériel. Il part ensuite travailler en Algérie et ne revient que quelques mois après.
Au cours des premières rencontres, il nous a déjà parlé des connaissances qu’il a nouées à Ajaccio. L’une d’entre elles est un armurier chez lequel, étant amateur d’armes, il se sert. Nous connaissons celui-ci comme étant membre du S.A.C. et « barbouze ». Mais il nous en parle en toute franchise jurant n’avoir avec lui que des discussions sur les armes. Je lui demande de continuer à le voir tout en étant prudent avec lui dans les discussions.
1980 : l’affaire « Bastelica-Fesch »
C’est entre la Noël et le jour de l’An que Léonelli demande à me revoir. Il m’annonce alors qu’Olliel lui a proposé de s’associer à eux pour une opération de représailles contre Marcel ! Le projet consiste à monter sur Bastelica pour l’enlever, le tuer et jeter son corps à la mer. La date est même fixée : le dimanche 6 janvier dans la matinée. Il me dit qu’il ne peut plus refuser sinon il serait « grillé » ; il ne pourrait plus alors poursuivre son infiltration et serait en danger. Il me demande de faire en sorte que l’expédition revienne bredouille de Bastelica le dimanche ; cela permettrait de gagner du temps et de poursuivre l’infiltration.
Après une longue discussion, nous tombons d’accord pour faire en sorte que Marcel et ses frères ne soient pas présents au village ce jour-là. Je suis toujours méfiant et je souhaite que nous réfléchissions bien aux suites à donner à cette affaire. L’infiltration de Léonelli au sein de « Francia » et du S.A.C. – dont Olliel fait partie – peut être intéressante pour la lutte. Nous connaissons pratiquement tous les membres de « Francia », leurs commanditaires au sein de la Préfecture, mais nous savons aussi que les anti-nationalistes ne sont pas d’accord entre eux et que les « barbouzes » forment une nébuleuse complexe. Nous avons aussi vent de manœuvres directement inspirées par certains services parisiens qui veulent aussi utiliser « Francia » en lui faisant « assumer » des opérations plus radicales contre les nationalistes ; en témoigne, l’opération de liquidation qui me visait en 1978, avec quatre autres militants, et qui a été révélée par que le patron à l’époque de l’Office Central de Répression du Banditisme – O.C.R.B. -, Aimé Blanc. De telles provocations permettraient à certains services de l’État de faire monter la tension et d’utiliser la situation politique de l’île pour des objectifs électoraux « franco-français ».
La priorité est, dans l’immédiat, de ne pas donner l’occasion à Pierre Bertolini d’accomplir ses funestes desseins. Je prends immédiatement contact avec le regretté Marcel Lorenzoni. Je l’ai déjà rencontré au maquis. Nous nous retrouvons le soir-même dans l’appartement d’une militante. Je suis accompagné de B.J., responsable du « Front » d’Ajaccio, un peu en retrait mais présent dans les situations difficiles. J’explique la situation à Marcel et lui fait part de la nécessité pour lui et ses frères, dans un premier temps, de ne pas être à Bastelica lorsque Pierre Bertolini et ses complices se rendront au village. Il me remercie mais refuse de quitter le village ce jour-là. Il veut, au contraire, accueillir les « barbouzes » comme il se doit. J’essaie de lui expliquer notre analyse et le besoin de gagner du temps. La discussion est âpre mais, finalement, il se range à mon avis. Je pense qu’il ne faut pas agir à la légère et qu’il nous faut réfléchir sérieusement à cette nouvelle situation pour décider ensemble des suites à donner. Nous convenons de nous revoir rapidement car il faudra réagir très vite pour éviter de redonner aux « barbouzes » l’occasion de s’attaquer à lui ou à ses frères.
Le 6 janvier vers 13 heures, j’apprends que des « barbouzes » ont été interceptés à Bastelica et que les forces de police en nombre commencent à bloquer toutes les voies menant à Bastelica. J’imagine que Marcel a vraisemblablement discuté avec les militants de l’U.P.C. avant de prendre sa décision. Soit, il n’a pas tenu sa promesse, soit ses amis n’ont vraisemblablement rien voulu entendre, préférant intercepter le commando pour dénoncer publiquement les « barbouzes ». Edmond, lui-même, ne sera finalement prévenu qu’après l’interception.
Les trois personnes interceptées ont été conduites manu militari dans une bergerie où elles sont questionnées. Puis, elles sont amenées à la Mairie du village ; les autorités sont alors prévenues. En présence du Capitaine Alain Trévisiol, Commandant du Groupement de Gendarmerie, qui aura un comportement responsable car il croit en un règlement amiable, les interceptés sont à nouveau questionnés. Le Substitut de la République est dépêché sur place en compagnie de Dominique Renucci, Directeur de cabinet du Préfet Claude Vieillecazes. À l’annonce de l’événement, les nationalistes affluent vers Bastelica. Les forces de police sont acheminées, elles aussi, en nombre vers Bastelica. Elles bloquent les voies d’accès et dressent un barrage à Cauro, situé à quelques kilomètres de Bastelica.
Le « Collectif nationaliste de Bastelica », regroupant les nationalistes locaux, reçoit les journalistes qui ont pu, malgré les barrages, rejoindre les lieux et les laisse questionner les trois interceptés. Alain Olliel parle, reconnaissant qu’il est membre du R.P.R. et du S.A.C. On apprendra qu’il a été condamné pour vol d’armes à la Base aéronavale d’Aspretto et condamné à deux ans de prison aux Baumettes à Marseille. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir l’autorisation d’ouvrir son armurerie à sa sortie de prison grâce à la complaisance du Président du Tribunal de Grande Instance d’Ajaccio ! Léonelli reconnaît, lui, qu’il est un infiltré. Bertolini avoue qu’il est le responsable de « Francia » et qu’il voulait se venger de Marcel Lorenzoni qu’il rend responsable de l’attentat dont il a été victime. L’implication de Dominique Renucci, Chef de cabinet du Préfet, est établie par les aveux des trois hommes qui parlent de son rôle vis-à-vis de « Francia ». Une conférence de presse plus explicite avec les déclarations des trois hommes est prévue le lendemain lundi 7 janvier à 15 heures.
Malgré le déploiement des forces de police, je contacte Stefanu Cardi. Il habite sur la route de Bastelica. Nous faisons le point et je lui demande de se rendre immédiatement sur Bastelica pour entrer en contact avec Marcel dans le but de coordonner nos interventions. J’apprendrai par la suite qu’il n’a pas pu se faire entendre de Marcel. Se méfiant des réactions du « Front » et craignant de perdre le contrôle de la situation, il l’a même placé… « sous surveillance« , le mettant en quelque sorte aux arrêts ! Ce dernier en sera profondément vexé et pour cause !
Le lundi matin, la conférence de presse est avancée à 10 heures car les forces de police, qui ont reçu des renforts, encerclent plus rigoureusement le village contraignant les gens à s’y rendre à pied à travers la campagne. Des personnes connues pour leur appartenance à « Francia », venues notamment de Corte, sont repérées aux barrages. Surveillées, elles renoncent à tenter quoi que ce soit pour venir en aide à Pierre Bertolini et préfèrent rebrousser chemin.
Le lendemain mardi, les communications avec Bastelica sont coupées. Des herses sont placées sur toutes les routes menant au village. La Préfecture arrête toute négociation. Précédées d’un avion léger et d’un hélicoptère « Alouette », les forces de police commencent à progresser vers le village avec trois engins blindés. L’après-midi, Bastelica est envahi, plusieurs maisons sont investies – dont celle de Marcel – après jets de grenades lacrymogènes et entrée en force, « P.M. » à la hanche. Une vingtaine de personnes est interpellée. Le Maire, Pierre Porri, démissionne pour protester contre l’investissement de son village. Mais les otages n’y sont plus. Pierre Bertolini a été évacué en lieu sûr en passant par le maquis. Alain Olliel est toujours aux mains d’une trentaine de nationalistes. Vers 2 heures du matin, regroupés dans sept voitures, ils foncent vers Ajaccio. Ils réussissent à franchir les barrages sous les yeux stupéfaits des gardes-mobiles et des C.R.S. dépassés par les événements et incapables d’esquisser le moindre geste pour les arrêter.
À 3 heures, les « insurgés » pénètrent en force dans l’hôtel Fesch, à 100 mètres de la Préfecture, prenant sans violence les propriétaires, le personnel et les clients de l’hôtel en « otages ».
Stefanu Cardi a réussi à quitter Bastelica. Il repart sur Ajaccio où, dès les premières heures de l’aube, commencent à se rassembler des nationalistes venus de toute la Corse tandis que les forces de police encerclent l’hôtel. Par le biais de la structure du « Canal Habituel » et sur information d’Étienne, nous nous faisons remettre Léonelli par des membres du « Collectif nationaliste de Bastelica » qui l’ont fait partir du village par le maquis. Le « Front » le prend en charge et le planquera, aidé par un réseau de sympathisants, le temps que la situation se calme.
La ville est quadrillée par les forces de police dans une ambiance d’état d’urgence. Trois escadrons de 85 hommes chacun – dont un héliporté – les hommes du G.I.G.N., de l’O.C.R.B. vont renforcer le dispositif en place. Le Préfet reconnaît la présence de plus de 1.500 hommes qui vont, dans les jours qui suivent, imposer le couvre-feu à Bastia, Ajaccio et Corte.
Autour de l’hôtel, les nationalistes se regroupent pour empêcher l’assaut. Les journalistes sont convoqués pour une conférence de presse dans l’hôtel. Le journaliste de l’A.F.P., qui décrit la situation de façon partisane et peu favorable aux « insurgés« , est expulsé de l’hôtel… où il était client. La Préfecture impose un « black-out » sur les informations, suscitant une vive réaction des syndicats de journalistes qui dénoncent les atteintes à la liberté de la presse.
À l’intérieur, les « insurgés » laissent les clients libres de circuler, insistant sur le fait qu’ils ne sont pas des « preneurs d’otages« . Ils réaffirment leurs revendications, récusant Dominique Renucci comme intermédiaire avec la Préfecture pour ses responsabilités à « Francia ». Ils demandent la diffusion de leur conférence de presse dans les médias en réclamant la venue d’un Juge d’Instruction et du Procureur de la République. Le Préfet, Claude Vieillecazes, se préoccupant surtout du sort des « barbouzes », répond qu’il ne négocie pas avec des « racketteurs et preneurs d’otages« .
Mercredi, vers 13 heures, les barrages sont renforcés et des incidents se produisent avec les personnes venues soutenir les « insurgés« . Les grenades au chlore répondent aux bousculades suivies de jets de pierres, de bouteilles ou de bombes artisanales. Les deux Présidents de la F.D.S.E.A. servent d’interlocuteurs avec le commando de Bastelica. Un drapeau corse flotte à une fenêtre de l’hôtel dont toutes les issues sont fermées.
À 15 heures, une délégation de cinq personnes – Albert Ferracci du P.C.F., Edmond Simeoni, Ange Pantaloni du P.S., Dominique Alfonsi du F.P.C. et Antoine Buresi de l’Association des Médecins – veut rentrer dans l’hôtel. Le Préfet récuse Edmond. La délégation est bloquée au second barrage ; elle refuse alors de rentrer sans Edmond. L’Évêque de Corse réussira, lui, à pénétrer à l’intérieur ; il veut croire en une issue favorable. Le Maire d’Ajaccio, Charles Ornano, et son adjoint Marc Marcangeli, pénètrent à leur tour dans l’hôtel, suscitant une poussée de fièvre des autorités qui craignent que les « insurgés » ne refusent de les laisser ressortir au vu de leur engagement anti-nationaliste. Mais c’est mal connaître la mentalité corse, ils ne risquent rien dès lors qu’ils tentent de régler la situation au mieux.
Les incidents vont se multiplier après le départ des délégations et, très vite, conduire au drame. Les affrontements se succèdent autour de l’hôtel et dans le centre-ville. Des gens sont sauvagement pris à partie. Plusieurs manifestants, dont Jean-Claude Lucchini – fils du résistant « Ribellu » – sont matraqués et interpellés. Stefanu Cardi, en première ligne, se fait rouer de coups par les C.R.S. Il n’est pas arrêté mais il portera toutefois durant plusieurs jours les séquelles des coups reçus et ne pourra plus, pendant quelques temps, nous servir de relais auprès des groupes dont il a le contact.
Devant la tournure des événements et face aux charges répétées des forces de l’ordre, un homme sort son arme et tire. Un C.R.S. est tué et deux sont blessés. C’est la panique parmi les forces de l’ordre qui se contredisent entre elles. À minuit et demi, les policiers de l’O.C.R.B. mitraillent une voiture près de la place du Diamant, tuant la conductrice – Michèle Lenck – et blessant grièvement ses deux passagères. À 2 heures, aux Salines, les gardes mobiles tirent sur une autre voiture, tuant le jeune conducteur – Pierre Marangoni -. Une altercation éclate entre les gardes mobiles et la police urbaine composée d’une majorité de Corses qui supportent mal le comportement des forces de l’ordre qui ont débarqué.
La nuit se termine dans la tragédie et la ville se réveille dans l’odeur de poudre et de sang. La colère gronde dans la population. Le couvre-feu est décrété sur Bastia, Ajaccio et Corte par le Ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet. De nombreuses personnes sont passées à tabac sans ménagements. À Bastia, Alain Piazza, porteur d’une arme, est interpellé. À Ajaccio, Thierry Clérigues est intercepté avec une « 22 Long Rifle » dans sa voiture. Ils seront condamnés à des peines de prison de plusieurs mois.
Le G.I.G.N., sous la houlette du Commandant Prouteau, est dépêché sur place. Le lendemain, durant toute la journée, les manifestants stationnent dans le centre-ville et devant la Préfecture. Des Maires, qui veulent être reçus par le Préfet, sont pris à partie par des policiers. La nuit tombée, on craint que la scénario de la veille ne se reproduise.
Le « Collectif des 44 », qui regroupe spontanément organisations politiques, socioprofessionnelles, syndicales et associatives et qui siège cours Napoléon, appelle à une grève générale pour le vendredi.
Claude Vieillecazes, recevant la presse, ne répond pas aux questions précises sur les drames. Il demeure évasif en disant que le dossier est géré par Paris. Il est surtout préoccupé par le sort de Pierre Bertolini et d’Alain Olliel qui n’ont pas été retrouvés malgré les nombreux ratissages dans le maquis. Il traite de nouveau les nationalistes de « racketteurs et de preneurs d’otages« , les appelant à « se rendre sans conditions« . À 15 heures, il refuse toute médiation. Quelques clients de l’hôtel sont progressivement relâchés ; les occupants insistent sur le fait qu’ils ne sont pas des preneurs d’otages et que ces derniers sont très bien traités. Cela est confirmé aux autorités et à la presse par les personnes relâchées.
Les occupants sont sous le choc des événements dramatiques de la nuit. Les discussions s’amorcent d’une part entre Christian Lorenzoni – un des frères de Marcel – et le Capitaine Barril devant l’hôtel et, d’autre part, entre le Commandant Prouteau qui, avec ses hommes progresse sur les toits vers l’hôtel, et Marcel Lorenzoni. Les hommes du G.I.G.N. interpellent François Buteau, du groupe culturel « Canta u Populu Corsu« , qui tente de rejoindre l’hôtel par les toits. Il sera libéré une semaine plus tard.
Le Commandant Prouteau et Marcel – tous deux anciens Parachutistes – réussissent vers 11 heures à se mettre d’accord. La reddition est acquise malgré quelques résistances au sein des « insurgés« , au nombre de 38, qui sortent accompagnés des dix « otages » restants. Alain Olliel est avec eux. Ils remontent jusqu’au commissariat, encadrés par le G.I.G.N., drapeaux en tête et chantant « Diu vi salvi Regina« .
Ils sont ensuite tous transférés sur Paris et écroués dans diverses prisons. Plusieurs centaines de manifestants stationnent pendant ce temps devant la Préfecture. Quelques incidents se produisent mais les forces de l’ordre ont vraisemblablement reçu l’ordre de ne pas bouger pour ne pas ajouter à la tension.
Après ces événements dramatiques, la Corse est sous le choc. Les lycéens se mettent en grève et organisent un « sit-in » devant la Préfecture. La Corse est totalement paralysée par une opération « Isula morta« . Le « Collectif des 44 » demande le retrait de toutes les forces de police, la libération des emprisonnés et que la lumière soit faite sur les circonstances des drames de la nuit précédente. Le samedi, deux manifestations sont organisées à Bastia et Ajaccio. Elles rassemblent à elles deux près de 10.000 personnes. Le P.C.F. a appelé la population à rester chez elle pour qu’il n’y ait pas de débordements. Le P.S. n’a pas appelé à manifester. Mais le nombre de manifestants, parmi lesquels des militants du P.C.F. et du P.S. qui n’ont pas accepté leurs consignes, va inciter ces partis à réfléchir et à se rallier aux autres mobilisations d’autant qu’aucun incident ne s’est produit conformément aux appels des organisateurs. Dans la foule, plusieurs drapeaux rouges à « Tête de Maure » portés par des militants d’une organisation maoïste font sensation. Les femmes vont s’organiser en collectifs et « Donni Corsi » sera créée dans la foulée par Danièle Maoudj, très émue par l’incarcération de ma future épouse – qui est son amie – et de Laetitia Gaspari – épouse de Maurice Lorenzoni – toutes deux présentes à l’intérieur de l’ »Hôtel Fesch » .
Dans la nuit de samedi à dimanche, Pierre Bertolini est retrouvé devant la Mairie d’Olmeto par le Maire, averti par téléphone. Il a été bien traité dans les deux endroits différents où il a été retenu par des militants nationalistes. Le Procureur de la République vient le récupérer à 3 heures du matin. Il l’inculpe de « transport d’armes et de munitions » tout comme Alain Olliel. Les journalistes remarquent que le Procureur, parlant de Bertolini, l’appelle avec familiarité « Berto » ! On apprend qu’un stagiaire de l’O.C.R.B. – Olivier Larcher – inculpé dans la mort de Michèle Lenck pour « homicide involontaire » a été laissé en liberté.
Le dimanche, des manifestants se heurtent aux C.R.S. et bloquent le port d’Ajaccio en empêchant le débarquement de matériel militaire acheminé dans l’île en renfort. Plusieurs personnalités de l’île et de la diaspora publieront une lettre s’insurgeant contre le traitement fait à la Corse. Parmi elles, le Professeur François Mattei, père d’un futur Ministre de Droite dans les années 2000, qui, lui, n’aura pas la même relation avec la Corse.
Le lundi, les lycéens sont à nouveau en grève. Le mardi, ils occupent les locaux de F.R.3, dénonçant la manipulation des informations sur la situation dans l’île. Les agriculteurs menacent d’occuper tous les centres des Impôts et de barrer les routes. Ils attendent le résultat d’une rencontre sur le sort de leurs pairs emprisonnés à Paris organisée entre les responsables de la F.N.S.E.A. et le Ministre de l’Intérieur – Christian Bonnet – qui gère la crise avec Jean Paolini – ancien Préfet de police et Directeur de son cabinet – et Jean-Etienne Riolacci – ancien Préfet de Corse et Conseiller de Valéry Giscard d’Estaing -. Le Ministre de l’Intérieur, dans une déclaration fracassante, ne manque pas d’accuser les nationalistes d’être « à la solde de l’étranger« . Cette vieille rumeur sera reprise plusieurs années plus tard par le Ministre des Armées, François Léotard.
Le mardi, un rassemblement se tient à Bastia où, le lendemain, une réunion publique est organisée. À Paris, un meeting qui réunit un millier de personnes se déroule à la Mutualité en solidarité avec les 102 prisonniers politiques corses, avec le soutien du P.C.F., du P.S. et de la L.C.R. La C.S.C. de cette ville occupe R.T.L. pour exiger la diffusion d’un communiqué en leur faveur. À Marseille, une manifestation soutenue par les mouvements d’extrême-Gauche est organisée pour réclamer leur libération.
Au Parlement européen, 21 députés radicaux italiens et d’extrême-Gauche demandent un débat sur « l’état d’urgence en Corse« . Le débat est refusé sur la pression du Gouvernement français. Une Députée française de Droite – Christine Scrivener – déclare « la France n’a pas de leçons à recevoir en matière de politique intérieure« . En juin, les députés de Droite, dont Simone Veil, et le Gouvernement français, tenteront d’empêcher Edmond Simeoni de tenir une conférence de presse sur les « barbouzes » au Parlement européen à l’initiative de certains Députés flamands parmi lesquels Coppetiers. Edmond pourra néanmoins arriver à ses fins, même si la conférence de presse sera en partie occultée par nombre de journalistes par les pressions qu’ils subissent.
En attendant, la mobilisation se développe en Corse. Les groupes culturels occupent la S.A.C.E.M. à Ajaccio. Le 19 janvier, les agriculteurs et les transporteurs dressent une vingtaine de barrages routiers dans toute l’île. Le 24 janvier, les agriculteurs occupent trois domaines Margnat à Aléria, Sartène et Porto-Vecchio pour protester contre les abus en matière de cumuls et en solidarité avec les emprisonnés – Margnat devra finalement vendre ses domaines coloniaux à la S.A.F.E.R. Corse pour qu’elle les redistribue à des agriculteurs corses -. Les organisations syndicales agricoles se sabordent pour dénoncer le sort réservé à une quinzaine de leurs adhérents emprisonnés.
Entre temps, dès le lendemain de la nuit dramatique du 9 janvier, j’ai rencontré J.B. pour faire le point et surtout discuter de la suite à donner à la cavale d’un jeune agriculteur soupçonné par la police d’être l’auteur des coups de feu mortels contre le C.R.S.
Le jeudi, des inspecteurs de l’O.C.R.B., tentent de l’interpeller dans son village de la vallée de la Gravona. Il réussit à s’enfuir sous les tirs des policiers qui, heureusement, ne l’atteignent pas. Des renforts en C.R.S., avec hélicoptère et chiens, fouillent le maquis mais il connaît les lieux comme sa poche et ils ne le retrouvent pas. Les policiers embarquent sa compagne pour faire pression sur lui et l’amener à se rendre. Celle-ci devra être hospitalisée lors de sa garde à vue. Le Maire de la commune, un radical de Gauche, s’insurge contre les méthodes des forces répressives et menace de mobiliser ses administrés si les policiers ne le quittent pas.
À Aléria, un commando de militants du « Front », dont le responsable de la région Cervione, enlève le propriétaire-rapatrié d’un domaine agricole, Jean-Robert Dumont. Client de l’hôtel, Gérard Vincenti l’a quitté en accord avec les « insurgés« . Partant d’un sentiment de solidarité louable, il a organisé dans la précipitation cette action en soutien afin d’empêcher l’assaut.
Nous aurions aimé que les autres régions réagissent pour desserrer l’étau sur Ajaccio. Ce sont les instructions qui avaient été données en cas de répression. Le quadrillage de l’île, imposant quasiment un couvre-feu, ainsi que les ratissages policiers durant ces jours d’extrême tension, constituaient une telle agression contre les Corses qu’une réaction contre les forces de répression aurait été logique et aurait reçu l’assentiment de nombreux insulaires. L’opération Dumont va mal se terminer pour ses auteurs. Cette improvisation permettra aux policiers, sur la foi de renseignements donnés par le rapatrié une fois relâché sain et sauf le 11 janvier, de remonter jusqu’à eux et de les interpeller. Huit militants de la région Aléria-Cervione sont ainsi écroués à Paris dans les jours qui suivent.
Au vu du quadrillage policier, il m’est très difficile et, pour le moins, risqué de circuler. Nous sommes de plus confrontés au problème de l’agriculteur désormais recherché par toutes les forces de police et à celui de Yannick Léonelli sur lequel circulent toutes sortes de bruits. Nous l’avons récupéré et il faut le mettre dans un endroit sûr. Stefanu Cardi étant immobilisé depuis que les forces de l’ordre l’ont sauvagement matraqué, nous nous répartissons comme nous pouvons le travail. J.B. s’occupe de régler la situation de l’agriculteur qui doit se soustraire aux recherches policières. Je m’occupe, avec le « Canal Habituel », de mettre Léonelli en lieu sûr.
Nous le mettons à l’abri durant une quinzaine de jours en Corse ainsi que sa compagne – D.C. – que les policiers veulent interroger et chez laquelle ils ont perquisitionné. Au bout de quelques jours, nous les réunirons puis, une fois l’étau desserré, nous leur ferons quitter l’île début mars pour le Sud de la France où Léonelli peut compter sur des connaissances pour assurer leur cavale. Pour couper court aux différentes rumeurs le concernant, il transmet une lettre aux médias, écrite avec le « Canal Habituel », où il expose ses motivations. Il rappelle ce qu’il a dit à Bastelica, à savoir qu’il est un militant du « Front » infiltré au sein de « Francia ». Il donnera même une interview exclusive, négociée par le « Canal Habituel » à « Paris-Match« , une ou deux photos accompagnant la missive sous forme d’interview. Par un système de boîtes aux lettres, surtout en poste restante – procédé assez sûr à l’époque – je le mettrai ensuite en relation avec les militants de Paris pour qu’il puisse travailler en coordination avec eux.
Malgré les difficultés, le « Front » doit reprendre la main. La « Ghjunta« , au fur et à mesure des discussions et des réunions et à cause aussi de plusieurs arrestations, a fini par ne plus se réunir laissant le « Cunsigliu » coordonner les différentes régions. Les contacts sont rétablis. Nous publions d’abord deux communiqués dans lesquels nous apportons notre total soutien aux nationalistes de Bastelica, dénonçant les activités des « barbouzes » reliés directement aux services de la Préfecture et nous réservant le droit d’intervenir par des actions de riposte. Nous insistons sur le fait que nous n’avons ni voulu profiter de la situation, ni mettre en danger les nationalistes de l’hôtel Fesch. Nous rappelons que, déjà, en mars 1979, à la suite de la série d’attentats perpétrés par « Francia » en riposte à notre « nuit bleue » de la veille, nous avions insisté sur leur rôle et réaffirmé notre refus de l’affrontement entre Corses.
Durant les jours qui suivent, l’organisation va réaliser plusieurs attentats : la caserne Sainte- Ursule de Bastia, la Légion à Asco, la D.D.E. de Furiani, la Sous-Préfecture de Sartène, la gendarmerie de Peri sont plastiquées ou mitraillées. Le 12 janvier, 12 actions simultanées visent les banques à Ajaccio ; le lendemain, huit banques sont visées à Bastia. La station d’aquaculture à Pinia est plastiquée par un commando venu par la mer. Le barrage de Corscia est visé.
Après nos actions, trois personnes sont interpellées à Ajaccio et deux à Bastia. Ces dernières ont le seul tort d’avoir un ou deux de nos tracts en leur possession.
Le « Collectif des 44″, quant à lui, prépare sa manifestation du samedi 24 à Ajaccio. Ce sera la plus importante manifestation dans l’île depuis la Libération en 1943. Les nationalistes précisent dans un communiqué qu’ils ont dû se plier à la majorité pour accepter la présence de drapeaux français portés par des manifestants de Gauche mais que, pour eux, ce drapeau français en ces circonstances ne symbolisait que la répression et la négation des droits du peuple corse…. »
Le S.A.C. s’appelle « Francia » en Corse…
La veille de la manifestation du « Collectif des 44 », vendredi 23 janvier, le « Front » organise une conférence de presse en présence d’une quarantaine de ses militants….
A suivre dans le livre de
Pierrot Poggioli
FLNC, année 70, pages 100à 109.
Remerciement à l’auteur.
Tout Droit de publication Réservé, Source’s’ Corsicainfurmazione.org / Storiacorsa.unita-naziunale.org / Pierre Poggioli, FLNC année 70, Edition DCL