Le mouvement indépendantiste corse nourrit depuis longtemps un intérêt profond pour les luttes internationales. Il entretient également d’étroites relations avec ses homologues européens. Le référendum pour l’indépendance de l’Ecosse fut l’occasion pour les militants insulaires de se familiariser à la lutte de ce peuple qui marche de manière inexorable vers sa liberté. Enseignements d’une semaine d’immersion des indépendantistes corses en Ecosse.
Les nouvelles écossaises n’ont jamais été aussi suivies en Corse qu’au cours des dernières semaines. En effet, la perspective d’un vote historique a fait prendre conscience aux insulaires de l’importance du moment. De Ruglianu à Bunifaziu, on a observé avec attention le déroulement de cette campagne et de ce scrutin qui constituait une première en Europe et un précédent porteur d’espoir pour toutes les nations sans Etat. La présence d’une délégation indépendantiste corse au pays du kilt était logique : les représentants de tous les peuples en lutte pour leur liberté étaient à Edimbourg pour suivre le scrutin et apporter leur soutien à la nation écossaise.
Les Catalans s’étaient déplacés en masse, eux qui auront peut-être la chance de pouvoir décider à leur tour de leur avenir le 9 novembre prochain. On notait aussi la présence de nombreux Basques, de Québécois, de Sardes ou encore des voisins Irlandais. Présente dans la capitale écossaise du 16 au 20 septembre, la délégation « nustrale » composée de militants Corsica Libera et Ghjuventù Indipendentista a porté la voix des indépendantistes Corses auprès des descendants de William Wallace.
Les projets de ce contingent de militants étaient multiples : signifier tout d’abord, le soutien des Corses et a fortiori des nationalistes envers la cause du « Yes ». Populariser notre lutte à l’international. Comprendre la problématique écossaise de l’intérieur. Vivre en direct un scrutin d’indépendance et en tirer des leçons pour l’avenir. Et enfin, mettre la vague d’indépendance européenne sous les projecteurs, afin qu’elle résonne sur l’île et éveille les consciences.
Interviews, allocutions, rencontres
Les Ecossais se sont montrés curieux quant à la présence du drapeau à la tête de Maure. Nombre d’entre eux n’étaient pas familiers de ce symbole et posaient des questions quant à sa signification, son origine, ce qu’il représentait. Lorsqu’ils comprenaient qu’il s’agissait de la bannière d’une nation amie, venue porter son soutien à l’indépendance, leur accueil se montrait très chaleureux.
Les médias nationaux et internationaux, en revanche, comprenaient très bien de quoi il s’agissait. Les sollicitations ont été incessantes : Canadiens, Italiens, Norvégiens, Tchèques, Allemands, Israéliens, Coréens, Anglais et bien évidemment Ecossais : toutes les télévisions, radios et journaux qui ont croisé la route de la délégation indépendantiste ont voulu recueillir son avis et réclamé des interviews.
Le fait qu’une « région de France » puisse, elle aussi, militer pour son indépendance a fortement intéressé la presse du monde entier. Cet intérêt poussé pour la revendication de la délégation corse fut une belle opportunité pour les indépendantistes de populariser ce combat. Fait notable cependant : la presse française, omniprésente en Ecosse et qui voyait flotter les drapeaux corses à quelques mètres d’elle pendant tout le séjour, n’a jamais montré le moindre intérêt à l’égard de la délégation.
Au contraire, on a noté dans les médias hexagonaux un refus de communiquer sur cette présence : Libération par exemple mentionnait les délégations basques, sardes et catalanes, mais omettait de parler de la Corse. L’objectivité à la française, certainement. Cela n’a pas empêché la médiatisation internationale de la présence insulaire à Edimbourg.
L’apogée de celle-ci fut sans conteste la prise de parole de Sébastien Quenot, au nom de Corsica Libera, lors de la manifestation organisée par les partisans du « Yes » à Meadows Park. Devant des milliers de manifestants, en anglais dans le texte et sous l’oeil des caméras du monde entier, le représentant du mouvement a provoqué les hourras de la foule, évoquant la bataille de Stirling, William Wallace, la riche histoire et l’avenir radieux de la nation écossaise.
Du oui dans la rue, du non dans les urnes
Comment le « oui » à l’indépendance peut-il être minoritaire, comme l’annoncent (presque) tous les sondages ? C’est la question qui revient sans cesse lorsque l’on se trouve dans les rues d’Edimbourg, quelques jours avant le scrutin. Il faut dire qu’un seul mot s’affiche en boucle et on ne peut en faire abstraction : le « Yes », accompagné de son code couleur bleu et blanc. Il est omniprésent. Accroché aux fenêtres, écrit à la craie sur les murs et sur le sol, accompagné de slogans poétiques, épinglé aux vestons de milliers de passants qui l’arborent avec fierté. Durant cette semaine passée en Ecosse, la présence rouge du « No (Thanks) » était plus qu’anecdotique.
Dans la rue, de manière visuelle, le « Yes » l’emportait largement. Dans les lieux de rencontre comme les pubs, Princess Street ou le parvis du parlement, les passants et les badauds sont unanimes : l’indépendance est la seule voie à suivre. Mises à part les réactions des forces de l’ordre ayant voulu saisir le drapeau corse de la délégation à l’aéroport d’Edimbourg, ainsi que quelques réflexions ponctuelles de la part de personnes âgées, aucune forme d’hostilité à l’indépendance ne s’est fait ressentir tout au long du séjour.
Pourtant, s’ils se montraient confiants, les partisans du Oui ne cachaient pas leurs doutes quant à l’issue du scrutin. Et il s’est avéré que leurs inquiétudes étaient fondées : Edimbourg, capitale colorée de « Yes » des caniveaux jusqu’aux toits et des écoles jusqu’aux pubs, a voté « No » à 61%. Les partisans de la peur et de l’immobilisme ne s’affichaient pas mais étaient bien présents.
Une fracture identitaire et générationnelle
La question du corps électoral s’est souvent posée lors de la campagne : les Anglais habitant en Ecosse doivent-ils décider de l’avenir de ce pays qui n’est pas le leur ? Ce fut le cas, et cela peut en partie expliquer la défaite du oui. Tout comme le fait que les Ecossais de l’étranger n’aient pu se prononcer. Mais on ne peut se cacher uniquement derrière cet élément pour expliquer ce résultat à la fois décevant et porteur d’espoir.
On a beaucoup présenté ce référendum comme une question d’ordre purement économique (voir par ailleurs), avec des choix à faire concernant les grandes lignes du développement de l’Ecosse. Mais sur place, on sentait également que le facteur identitaire était primordial pour les électeurs. Et le sondage de sortie des urnes a confirmé cette impression : ce sont les jeunes, majoritairement, qui ont voté oui (plus de 70% pour les 16-18 ans !). A l’inverse, les couches les plus âgées se sont fermement opposées à l’indépendance de leur pays avec plus de 73% de « No » pour les plus de 70 ans.
L’Ecosse est coupée en deux par une fracture politique, identitaire et générationnelle. D’un côté, une jeunesse qui rêve de liberté, d’émancipation et de justice sociale. De l’autre, des retraités qui vivent encore dans le mythe du grand Royaume-Uni, puissance mondiale omnipotente porteuse de paix et de prospérité. Une situation qui, bien sûr, fait écho à celle que nous connaissons sur notre île, vis-à-vis de la France. Mais d’ici quelques années, plus rien ne rattachera le peuple écossais à l’Union Jack. Plus de guerres mondiales pour renforcer une fantomatique unité nationale, plus de désinformation ou d’ignorance avec l’avènement des nouvelles technologies, plus d’empire colonial assurant l’aura du Commonwealth, un accès décomplexé à l’histoire pour tous les citoyens : ces 45% de oui ne devraient pas tarder à faire des petits.
La marche du peuple écossais vers son indépendance est en marche et son destin est inexorable. Ce sentiment n’est pas chiffrable, mais il est palpable au contact des habitants.
Cette escapade au sud des Highlands fut riche d’enseignements. Tout d’abord, elle a permis de constater que les lignes bougent très rapidement et que les Ecossais, qui étaient à peine 20% à désirer l’indépendance il y a deux ans, sont désormais 45%. Parallèlement, l’idée d’indépendance en Corse fait également son chemin : 18% de nos concitoyens s’y déclaraient favorables lors du dernier sondage. Ils étaient 3% en 1975, 10% en 2008.
La progression exponentielle de cette volonté d’émancipation fait écho à la vague qui secoue le vieux continent actuellement et dont l’Ecosse fut l’initiatrice avec le vote du 18 septembre. Autre point notable : comme en Corse, ce sont les parties les plus rétrogrades de la population écossaise qui s’opposent à l’idée d’émancipation nationale. La fracture générationnelle est porteuse d’espoir, pour toutes les nations en route vers leur indépendance.
Les jeunes sont de moins en moins attachés à ces Etats centraux vieillissants, archaïques et vecteurs d’inégalités. La lutte écossaise est, malgré les différences démographiques et géographiques, très semblable à la nôtre. Et même si ce référendum ne fut pas le bon, en Ecosse comme ailleurs l’indépendance n’est plus qu’une question de temps.