Les changements institutionnels sont aujourd’hui indispensables à tous les niveaux : mondial, européen, français et corse. Il est absurde de prétendre les placer dans un ordre de priorité par rapport aux autres transformations nécessaires (économique, social, environnemental, culturel…), puisque la réussite dans l’un de ces domaines facilite à l’évidence les chances de succès dans tous les autres.
La situation corse en Octobre 2014
En ce qui concerne notre île, les débats ont eu le mérite de dégager un consensus au moins apparent sur le diagnostic:
– plus de démocratie, ce qui suppose, entre autres, plus de transparence ;
– plus d’efficacité, ce qui demande plus de proximité et, sans doute moins de centres de décisions qui se chevauchent ;
– réduire le clientélisme traditionnel et combattre les formes nouvelles de corruption financière et foncière.
Partir du bon sens citoyen
La Corse ne compte guère plus de 320 000 habitants, l’équivalent d’un gros arrondissement parisien… Morcelée par la géographie et difficilement unifiée par l’histoire et la culture, elle comporte aujourd’hui cinq niveaux de décision politique : les communes, les communautés de communes, les innombrables syndicats « mixtes », les départements et la collectivité territoriale.
Deux niveaux évidents.
A l’évidence, deux niveaux d’entre eux s’imposent:
* Les communes, petites et grandes, constituent depuis le Moyen âge le niveau élémentaire de la socialité. Elles assurent un rôle irremplaçable de proximité dans des conditions de quasi-bénévolat pour l’immense majorité d’entre elles . Dès lors, les quelques fusions de communes ne peuvent être que le résultat d’un consensus, fort rare, entre tous les intéressés. Il n’en reste pas moins que pour une majorité d’entre elles, leur trop petite taille (en termes de population et/ou de territoire) les oblige de plus en plus en plus à déléguer à un ensemble plus vaste l’exercice de nombre de compétences, anciennes et surtout nouvelles.
* La collectivité territoriale s’est progressivement imposée depuis trente ans comme le lieu, par excellence, de tous les grands débats insulaires. Après quelques hésitations initiales, elle a su trouver un point d’équilibre entre représentation de tous les courants politiques et stabilité de la gouvernance. Toutefois, compte tenu de la géographie et de l’histoire de l’île, elle ne peut prétendre exercer toutes les compétences qui dépassent la sphère communale. Un centralisme ajaccien n’est ni souhaitable, ni sans doute possible. C’est une des raisons pour lesquelles ce serait une grave erreur de réduire le débat sur les nouvelles institutions de l’île à la question de l’absorption des deux départements par la collectivité territoriale.
Dès lors, la question cruciale de la transformation des institutions insulaires se ramène à la seule question de savoir quel est le niveau intermédiaire le plus pertinent pour y rassembler toutes les compétences trop complexes pour les seules communes et ayant besoin de plus de proximité que les instances territoriales.
Et le troisième ?
D’autres niveaux coexistent aujourd’hui dont les défauts et qualités s’opposent : d’une part, les départements ; d’autre part, les communautés de communes.
* Les départements sont trop loin des citoyens, en particulier dans le domaine social qui est leur principale compétence, au point d’avoir essayé de mettre en place des structures déconcentrées, qui n’ont aucune légitimité. De même, en matière de cohérence territoriale, d’occupation du sol et d’urbanisme, ils sont évidemment trop vastes pour y élaborer des règles et zonages normatifs. Il en est de même, dans nombre d’autres domaines, ce qui explique la généralisation des inter-communalités et le foisonnement des syndicats mixtes. La loi du 27 janvier 2014 transforme ces derniers, pour ceux qui ne disparaîtrons pas, en « Pôles d’équilibre territoriaux et ruraux » qui remplacent les anciens Pays.
De plus, au sein des départements, la coexistence des élus urbains et ruraux est devenue une question insoluble qui a abouti à l’abolition des cantons historiques, qui faussaient manifestement le principe constitutionnel d’égale représentation de tous les citoyens. Mais le découpage binominal qui le remplace aboutit inévitablement à une sous représentation des espaces ruraux. En fait, l’impossibilité de trouver un mode électoral adéquat pour les départements témoigne de leur archaïsme irrémédiable. Les arguments historiques encore avancés pour les défendre auraient pu servir sous la Révolution à défendre les anciennes Provinces…
* Les actuelles communautés de communes sont aujourd’hui pour la plupart d’entre elles en milieu rural beaucoup trop petites, ce qui restreint leur efficacité et les place très souvent en situation conflictuelle avec des communes, soit périphériques qui préfèreraient relever d’une autre communauté, soit avec la commune centre du fait des chevauchements de compétences, qui renvoient à un dilemme, soit la ville centre régente les autres, soit ces dernières l’encerclent : le cas de l’Ile Rousse en fournit un exemple structurel, au delà des querelles de personnes. Enfin, leur nouveau mode de désignation y rend le cumul des mandats obligatoires, au moment où on s’efforce de réduire les méfaits de celui-ci et fait des élus communautaires des représentants de leurs seules communes et non pas des représentants de l’intérêt communautaire.
Les communautés d’agglomération et de pays
Le regroupement intermédiaire entre les communes et la collectivité territoriale doit tenir compte des nouvelles réalités qui s’imposent dans les nouvelles réalités insulaires et, d’abord, dans la distinction évidente entre les milieux urbains et ruraux :
– En milieu urbain, en Corse, comme dans le reste de la France et bien d’autres pays, s’impose de plus en plus la réalité des communautés d’agglomération, d’ailleurs encouragées par le législateur. Déjà, la CAPA (Communauté d’agglomération du pays ajaccien) concerne près de 80 000 habitants et la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia) plus de 56 000 et il est vraisemblable qu’un certain nombre de communes proches souhaiteront prochainement en faire partie. Au fond, l’élargissement de leurs compétences et leur ancrage démocratique par leur élection au suffrage universel direct s’inscrit dans la logique en cours.
– En milieu rural, les choses sont logiquement plus complexes. On notera cependant qu’il existe déjà des regroupements pertinents aussi bien en Haute Corse, celui de la communauté de communes de Marana et Golo, avec ses 21 500 habitants ou en Corse du sud, celui de la communauté de communes du Sud-Corse, avec ses 18 500 habitants. Si on souhaite que l’ensemble du monde rural ne prenne pas trop de retard, il est donc urgent que les autres territoires s’organisent de façon aussi libre que possible, en partant des dynamiques pré-existantes, qu’elles concernent des domaines particuliers (tourisme, santé, etc.), ou plus globaux, comme dans la préparation du SCOT de Balagne, qui concerne 36 communes et plus de 22 000 habitants.
Pour garder une vue d’ensemble des choses, on notera que déjà plus de la moitié de la population insulaire se trouve concernée par cette nouvelle dynamique communautaire et que la seule question est de l’étendre à 4 ou 5 « pays », pour une bonne part insatisfaits de leur morcellement communautaire actuel et qui peuvent comprendre que l’union faisant la force, ils doivent sortir de leurs querelles de clochers que par le haut, en se regroupant dans des communautés de pays, qui fusionneront les compétences actuelles des communautés de communes, des syndicats mixtes et du département. Ceci suppose, bien entendu, qu’elles atteignent une taille critique qui a été estimée au plan national à 20 000 habitants. Ce chiffre a toutes les raisons de ne pas être très différent en Corse, à la condition, comme le demande l’association des présidents de communautés de communes, de ne pas être un butoir légal, mais un ordre de grandeur à respecter en respectant la géographie et l’histoire de chaque pays.
Finalement, la Corse devrait comporter entre Collectivité Territoriale et Communes, 8 à 10 communautés d’agglomération et de pays, dont il faut définir les principes de compétence et de gouvernance, sans se perdre dans des détails, tant que ce choix institutionnel n’est pas reconnu.
Principe de compétence des communautés d’agglomération et de pays :
Le principe général doit être que toutes les compétences actuelles des départements, des syndicats mixtes et des communautés de communes leur sont dévolues.
L’exception doit concerner les seules compétences, aujourd’hui départementales, qui ne sont pas divisibles par 8 ou par 10. Pour ce seul motif, les dites compétences seraient dévolues à la Collectivité Territoriale.
Evolution possible, quand les communes estiment que des compétences anciennes ou nouvelles deviennent trop lourdes pour être exercées à leur niveau, elles peuvent demander leur transfert à la communauté d’agglomération ou de pays.
Principe de gouvernance des communautés d’agglomération et de pays :
Les conseils communautaires comportent deux sortes de membres, siégeant ensemble :
* Avec voix délibérative, des élus au suffrage direct, le même jour que les élections municipales sur des listes distinctes. Comme pour les élections de dimension supérieure (territoriale) et inférieure (municipales), ces élections se font à la proportionnelle de liste à deux tours, avec une prime majoritaire modérée (moins de 20% du total) : d’une part, ce mode de scrutin a fait la preuve qu’il alliait représentation de tous les courants d’opinion et stabilité de l’exécutif ; d’autre part, les citoyens ne comprendraient pas, qu’étant employé avec succès pour les deux autres élections les plus proches, il ne le soit pas pour les nouvelles élections communautaires.
Le nombre d’élus pourrait être d’un pour mille habitants ou tranche de mille. Il est à cet égard évident que ce chiffre est bien inférieur à celui de l’addition des conseillers généraux, membres des conseillers syndicaux et conseillers communautaires qu’ils seront amenés à remplacer.
* Avec voix consultative, tous les maires de l’agglomération ou du pays. Ainsi, ces derniers auront toute latitude pour faire valoir les intérêts de leurs communes et seront complètement informés des décisions qui les concernent.
Les moyens
Les compétences de ces conseils communautaires ne pourront être exercées efficacement que s’ils peuvent bénéficier des moyens financiers et humains correspondants.
Cela signifie qu’une partie du personnel et des ressources financières des départements actuels leur soient transférés. Il faut s’attendre à une forte résistance du personnel, essentiellement basé à Ajaccio et Bastia.
Il y aura donc un accompagnement social à mettre en oeuvre.
CONFERENCE DE PRESSE EELV/AEIV