4e Rencontres territoriales des Antilles et de la Guyane organisées par le CNFPT,1er octobre 2014
Intervention de Paul Giacobbi, député, président de la Collectivité territoriale de Corse.
La Corse est malheureusement la victime des exactions de la criminalité organisée, elle semble perpétuellement agitée par ce fameux débat institutionnel dont l’écho lointain et souvent mal interprété, exaspère parfois l’opinion publique nationale qui semble ne pas comprendre qu’une population puisse revendiquer une reconnaissance officielle de la langue qu’elle parle tous les jours ou qu’elle puisse s’inquiéter de voir la quasi-totalité de sa propriété foncière passer aux mains de personnes non résidentes.
Pourtant, la Corse est aussi un territoire de la République où l’on peut relever des indices très positifs comme le renoncement unilatéral et définitif à la violence par des organisations « politiques » qui l’ont utilisée pendant des décennies ou comme une forte attractivité démographique dont témoigne une croissance migratoire soutenue.
C’est aussi un territoire de la République où :
– Des concepts institutionnels, juridiques et fiscaux ont déjà été expérimentés sur de longues périodes et pourraient servir d’exemple quand ils n’ont pas encore été déjà étendus à d’autres parties du territoire national (I).
– Le débat « institutionnel » se développe depuis quatre ans dans un cadre démocratique et largement consensuel mais réunissant de très larges majorités au sein de notre assemblée régionale en s’appuyant notamment sur une expertise académique de premier plan, ce qui pourrait parfois inspirer d’autres territoires de la République subissant des problèmes comparables et se trouvant à la recherche de solutions analogues (II).
I. De l’expérimentation à l’exemplarité
La Corse a vu son assemblée régionale élue au suffrage universel directe en 1982, avant que cette innovation audacieuse pour l’époque ne soit étendue, dès 1986, à la France entière.
Le schéma de répartition des compétences entre l’Etat, les régions et les départements a largement, en Corse, anticipé ce qui est aujourd’hui envisagé partout ailleurs ou qui a été déjà mis en œuvre partiellement : transfert des routes national à la Collectivité territoriale de Corse depuis 1991, compétence pour les collèges exercée directement par la CTC, compétence culturelle transférée à la CTC par l’Etat, etc…
L’organisation interne de la CTC repose sur des éléments originaux comme par exemple le fait que l’Assemblée régionale désigne distinctement un président pour présider à ses débats et un conseil exécutif de huit membres qui constitue, avec son président différent de celui de l’assemblée, l’exécutif régional .
Ce conseil exécutif et son président ne peuvent être révoqués que si la majorité de l’assemblée s’accorde sur une équipe alternative choisie en son sein, par un mécanisme de « défiance constructive » calquée sur la Constitution allemande.
Une zone franche fiscale a permis pendant quelques années sinon de relancer l’économie, du moins d’éviter nombre de défaillances à une époque difficile .
Nous mettons en ce moment la dernière main à un plan d’urbanisme et de développement à l’échelle de la Corse qui, de par la loi, s’imposera directement aux autorisations d’urbanisme en cas d’absence de PLU .
Les forêts domaniales de la Corse représentant environ 50 000 hectares sont la propriété de la CTC qui en organise la gestion depuis 2002.
L’ensemble des transports maritimes, aériens et ferroviaires sont, en Corse, de la compétence de la CTC qui, de surcroît, possède une SEM de transports aériens qui assure l’essentiel des transports réguliers entre la Corse et le continent, ainsi qu’une SEM ferroviaire.
Lors des débats internes de l’Association des Régions de France, chaque fois que l’on évoque un transfert de compétences au profit des régions, je suis amené à dire que nous en bénéficions, parfois depuis vingt ans ou plus.
II. Les points forts du débat démocratique et l’expertise académique
La question foncière en Corse a soulevé au plan national une vaine polémique qui justifie que j’en évoque brièvement les termes.
Le changement de main de la propriété foncière au profit des non-résidents entraine trois conséquences dommageables :
– Un coût prohibitif du logement pour les résidents
– Une concurrence déloyale des locations estivales souvent clandestines au détriment de l’activité touristique professionnelle
– Un sentiment de dépossession du résident permanent qui a le sentiment de voir la terre et le patrimoine bâti échapper à ceux qui l’habitent.
Nous avons développé tous les outils possibles pour pallier cette évolution funeste : doublement des mises en chantier d’HLM, aide aux primo-accédants, subventionnement des politiques communales de rénovation immobilière, mise en place d’un office foncier pour gérer les préemptions etc… Ces politiques ne suffisent pas, essentiellement pour des raisons financières : nos ressources budgétaires ne font pas le poids face aux capacités financières des acheteurs de résidences secondaires.
Beaucoup de biens immobiliers en Corse s’échangent en millions voir dizaines de millions d’euros par unité d’habitation, bien au-delà des capacités d’intervention financière de notre Collectivité territoriale de Corse.
Les outils fiscaux potentiels ont été étudiés, notamment par le professeur Bernard Castagnède qui a mis en évidence l’écueil du principe d’égalité devant l’impôt . Nous connaissons les limites du droit de l’urbanisme qui peut imposer la spécialisation d’un bien immobilier à une fonction donnée, par exemple celle de l’habitation ou celle de l’activité professionnelle, mais qui peut difficilement discriminer entre la résidence principale et la résidence secondaire.
C’est la raison pour laquelle nous avons mis à l’étude la possibilité de réserver l’acquisition d’un bien immobilier aux résidents principaux depuis cinq ans, lesquels bénéficient déjà dans le droit français, par rapport aux résidents secondaires, de bien des avantages fiscaux ou mieux encore électoraux.
Ceci se heurte à des difficultés considérables, tant constitutionnelles qu’européennes, et vous trouverez dans les documents que je mets à votre disposition les analyses menées par l’équipe de professeurs de droit conduite par le regretté Guy Carcassonne( )( ).
Nous avons également étudié le meilleur moyen d’organiser de manière plus économe, par le biais d’une profonde simplification, un territoire qui ne compte que 300 000 habitants mais qui est aujourd’hui géré à travers une région, deux départements et 360 communes !
Nous avons enfin réclamé la reconnaissance officielle de notre identité linguistique, au-delà même des perspectives d’une ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
En réalité, les questions dont nous débattons en Corse ne sont pas propres à notre territoire.
L’Alsace voudrait bien simplifier sans tomber dans l’uniformité, les habitants permanents de l’Ile de Ré n’ont plus les moyens de s’y loger parce que les résidences secondaires font monter les enchères à des niveaux inaccessibles, l’ensemble du territoire national connaît le débat de l’articulation entre le département et la région avec, de la part du gouvernement, des réponses variables dans le temps et l’espace.
Il se trouve que nous débattons ou que nous expérimentons sur ces questions depuis de longues années et qu’à notre demande les meilleurs juristes nationaux ont contribué à éclairer notre lanterne. C’est en cela qu’il me paraît utile de vous communiquer un certain nombre d’éléments qui pourraient contribuer à vos réflexions.
Suite sur le blog de PAUL GIACOBBI