Jean-Charles Orsucci est le Président du groupe majoritaire à l’Assemblée de Corse. Responsable du Parti Socialiste Français en Corse, il est un homme clé de la famille politique dirigée par Paul Giacobbi. Avant même le dernier communiqué du FLNC, il avait publiquement déclaré que Corsica Libera devait être associée à la construction politique à venir. Il y a peu à l’Assemblée de Corse, il a tenu devant la ministre Marylise Lebranchu des propos d’une grande fermeté, rendant hommage aux clandestins pour leur initiative et demandant à Paris d’en tirer les conséquences.
U Ribombu Internaziunale : Votre interpellation de Marilyse Lebranchu, lors de sa visite en Corse, a été remarquée. Quel est votre regard, à la fois en tant qu’élu corse et que responsable du parti socialiste français ?
JC Orsucci : Effectivement j’ai été surpris des réactions positives provenant dans mon entourage de tous bords politiques. Cependant, je suis avant tout un élu local qui sait entendre et veut faire entendre la voix de la Corse, dussé-je dénoncer les travers des plus hautes instances de mon pays. Je refuse de me présenter le doigt sur la couture face aux élites parisiennes. Je réaffirme mon appartenance au parti socialiste, dont je soutiens l’action au niveau national sans état d’âme, sans pour autant obéir aveuglément quand je constate que le dossier Corse est à mon sens, mal géré.
U Ribombu Internaziunale : Vous avez évoqué le récent communiqué du FLNC. En quoi change-t-il selon vous, la situation politique corse ?
JC Orsucci : Sans être un génie de la politique, ni même un devin, j’avais dès le mois de janvier, pressenti une initiative du mouvement clandestin espérant qu’elle répondrait à la main tendue du gouvernement. J’ai commis une erreur, la main tendue est venue des clandestins ! Jusqu’à présent, toute discussion concernant notre Ile, ne pouvait s’envisager sans poser en préalable la fin de la violence clandestine. Certains en avaient fait leur raison d’être, voire leur fonds de commerce … ce communiqué a mis fin à cette situation. A titre personnel, j’ai toujours pensé que la violence ne pouvait être un mode de résolution des problèmes politiques. Quand elle a été pratiquée, je l’ai condamnée, mais je ne me suis jamais trompé entre causes et conséquences … Aujourd’hui, à la suite de ce communiqué, je ne vois plus aucune raison de refuser de s’asseoir autour d’une table de discussion pour tous les progressistes de cette ile.
U Ribombu Internaziunale : Avant même ce communiqué de l’organisation clandestine, vous avez déclaré publiquement que Corsica Libera devait être associée à la prochaine construction politique. Pouvez-vous préciser votre pensée ?
JC Orsucci : Au regard du projet politique de Corsica Libera (Corsica 21), et des positions qui ont été les siennes à l’Assemblée de Corse, sur des dossiers importants que l’on peut clairement positionner à gauche tels le PADDUC, l’aide aux primo-accédant, la politique énergétique et la majeure partie des propositions de la majorité dont nul ne peut ignorer l’ancrage politique, pourquoi ne serions-nous pas associés ? Si j’y ajoute, l’attitude responsable et cohérente de l’abstention de ce mouvement lors du vote des différents budgets, je me demande si Paul Giaccobbi n’a pas autant bénéficié du soutien de Corsica Libera que de celui du Front de Gauche. Dans la perceptive des échéances électorales de 2015, je pense que les corses auront le choix entre deux visions de la société. Il leur faudra choisir entre celle d’un PADDUC ancienne mouture, ultralibérale, consommateur d’espaces et peu enclin à la solidarité et une société où l’on prône l’identité, la solidarité et la protection de l’environnement. Pour ces raisons, je suis convaincu que nous pouvons faire le chemin ensemble. Je réaffirme toutefois, si besoin était, que je n’adhère pas à l’idée d’indépendance. Certains auraient vite fait de se méprendre !
U Ribombu Internaziunale : Le projet de réforme élaboré par les élus de Corse vous paraît-il devoir être appréhendé d’une façon différente par Paris ?
JC Orsucci : Ce que je crois, c’est qu’il est logique que des élus locaux défendent ce qu’ils croient être souhaitables et juste pour leur territoire. Ce que je peux comprendre, c’est qu’un pouvoir central ne puisse pas donner entièrement satisfaction à toutes les revendications des diverses assemblées régionales. Cependant, il existe une spécificité Corse que nul ne peut contester : l’insularité qui a certes ses avantages, mais aussi de nombreux inconvénients. A ce seul titre, je revendique un droit à la différence. Ce qui est choquant aujourd’hui, notamment après la visite de Bernard Cazeneuve, c’est qu’on nous explique que notre diagnostic est bon, mais que nos propositions sont toutes à rejeter. Mais pire encore, nos interlocuteurs ne formulent aucune contre propositions. Des outils existent, certes, mais cela fait 40 ans que nous les utilisons sans résultat probant. Une seule réponse me paraît appropriée, c’est celle que préconisait mon Professeur de Sciences Politiques, Claude Olivesi : l’autonomie de gestion au sein de la République.
U Ribombu Internaziunale : Vous pensez qu’il y a aujourd’hui une chance historique à saisir pour la Corse et pour les relations futures entre l’ile et Paris ?
JC Orsucci : Jamais la situation politique depuis 40 ans n’a été aussi facile à gérer pour le pouvoir central : large consensus au sein de l’assemblée territoriale, concomitance politique des exécutifs territoriaux et nationaux, fin de la violence politique. Comment la gauche héritière de Mitterrand, Rocard, Joxe, Jospin, au niveau national, Carlotti, Croce, Luciani et Santoni, au niveau local, pourrait elle rester sourde à ces justes revendications ? Inscrire la Corse dans la Constitution, sauver notre langue, protéger notre terre de tous prédateurs, comment ceci pourrait il remettre en cause l’indivisibilité et l’unité de la France et nuire aux intérêts de ce pays ?
U Ribombu Internaziunale : Comment expliquez-vous que le gouvernement français actuel n’ait pas vraiment pris en compte les nouveaux développements de la situation Corse ?
JC Orsucci : Cette surdité est pour moi incompréhensible et elle est d’autant plus que si le gouvernement actuel persiste à ne pas écouter d’avantage Marilyse Lebranchu, en 2015, je suis convaincu que nous renvoyons la Corse pour 30 ans vers le conservatisme. Pour revenir à votre question : La gauche française est encore tiraillée entre jacobinistes et girondins ! Mon intime conviction est que l’élément bloquant actuel est tout simplement le chef de l’état. De façon régulière, revient cette idée totalement farfelue que la Corse aurait provoqué l’échec de Lionel Jospin en 2002 et traumatisé le chef de l’Etat. Par conséquent, il faut éviter de traiter le dossier Corse. Je peux vous affirmer que d’autres personnalités de l’état et du parti socialiste sont loin de partager cette idée.
U Ribombu Internaziunale : Que faire à votre avis pour ne pas laisser passer une telle occasion ?
JC Orsucci : Il faut renforcer ce consensus local, et faire qu’il perdure, que des personnes comme Emmanuelle de Gentili, membre du bureau national du parti socialiste et première adjointe de la capitale économique de la Corse soient entendues par Paris. Je souhaite ardemment que le premier ministre puisse convaincre le chef de l’état, fort de ses convictions rocardiennes et en sa qualité de conseiller du Premier Ministre lors des accords de Matignon. Paris pourrait se méprendre en n’entendant pas les revendications légitimes d’un peuple et de sa jeunesse. Le dépôt des armes est un acte fort ; l’ignorer pourrait présager des heures sombres pour notre ile et discréditer pour longtemps les responsables d’un tel gâchis que je ne saurais cautionner