Cette stèle commémorative sera inaugurée ce vendredi sur le site d’Aleria. Trente-neuf ans après les événements sanglants du mois d’août 1975, Edmond Simeoni appelle au rassemblement. Interview
L’homme des événements d’Aleria vient de fêter ses 80 ans. L’esprit toujours aussi vif, le ton ferme, Edmond Simeoni soutient le regard avec une assurance tranquille. Le temps ne semble pas avoir d’emprise sur lui. Pourtant, que de chemin parcouru depuis ce 22 août 1975 où, à la tête d’un commando de douze hommes armés de fusils de chasse, le fondateur de l’ARC occupa une cave viticole d’Aleria appartenant à un chef d’entreprise d’origine pied-noir. Son but était de protester contre une escroquerie qui pouvait ruiner des centaines de petits viticulteurs corses. Bilan : deux gendarmes morts et un blessé grave. Ce sera la première action violente et spectaculaire de la mouvance nationaliste.
Trente-neuf ans après les faits, celui qui est devenu une légende du nationalisme reprend son bâton de pèlerin pour prêcher la démocratie. Il appelle au rassemblement populaire demain sur les lieux du drame où sera inaugurée une stèle à 18 h 30.
Beaucoup de temps s’est écoulé pour inscrire ce lieu dans la mémoire de la Corse. Les choses se précipitent pour le 39e anniversaire. Pourquoi ne pas avoir attendu un an supplémentaire pour célébrer la quatrième décennie ?
Depuis Aleria, le 22 août 1975, il s’est écoulé trente-neuf ans. Depuis dix ans déjà, nous étions un groupe important d’acteurs qui voulions inscrire cette date dans le calendrier de l’émancipation de la Corse.
Il ne nous a pas été possible ni de sauver les vestiges de l’ancienne cave, – lieu du drame -, ni d’avancer l’inauguration de la stèle. Aujourd’hui, le temps de l’apaisement et du recul est venu, tout simplement.
Cette stèle est initiée par l’acteur essentiel de l’événement, en l’occurrence vous. Le but serait-il de glorifier votre action et la situation ?
La manifestation est atypique car le temps qui a passé, l’histoire qui a poursuivi son cours, ont fait disparaître nombre de protagonistes et ont recomposé la mouvance nationaliste.
Il s’agit non pas d’une autocélébration mais de l’exposé bref de l’événement, de l’analyse de ses suites et de ses conséquences. Enfin, cette opération est nécessaire, par devoir, et utile pour rendre compte des engagements pris à l’époque, faire le point actuel, ouvrir des perspectives.
Ne craignez-vous pas que cette stèle serve à commémorer la violence ?
Je penserais plutôt qu’elle contribuera à exorciser la violence et à démontrer à tous les protagonistes de la « question corse » qu’il n’existe pas d’alternative à la démocratie et au dialogue.
A mon sens, ici, la France est concernée au premier chef puisqu’elle porte l’entière responsabilité de la situation dégradée dans l’île ; une île qu’elle dirige sans partage depuis deux cents ans.
Vous appelez à un vaste rassemblement populaire. Quel message souhaitez-vous porter ?
Nous souhaitons un important rassemblement populaire qui rapproche les Corses de l’île et de la diaspora, les Corses d’origine et les Corses d’adoption qui ont en commun l’attachement au peuple corse, à la démocratie, ainsi que la volonté de contribuer à rechercher et à mettre en place une solution pérenne, respectueuse de l’intérêt des parties.
Cette démarche est antinomique de tout processus partisan, par sa nature, ses objectifs. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large – la Méditerranée, l’Europe et au-delà – qui puise aux sources et aux valeurs de l’humanisme. Elle repose sur la paix, la solidarité et le développement partagé.
Aleria a aussi engendré le FLNC, des décennies de violence, puis d’affrontements fratricides. Aujourd’hui rien n’est résolu et le FLNC annonce le dépôt des armes. La lutte armée a-t-elle été un échec ?
La lecture mécanique et superficielle des dates des événements pourrait conduire à cette interprétation totalement erronée des faits.
La protestation d’Aleria était justifiée – la colonisation agricole et les malfaçons du vin – mais illégale. Paris pouvait aisément sortir de ce guêpier en équilibrant sa politique agricole, en réprimant les fraudeurs et en sanctionnant, dans le cadre des lois existantes, l’occupation illégale d’un bien privé.
Il a, au contraire, choisi l’impunité pour les fraudeurs, une riposte militaire, violente et disproportionnée dont les effets se sont avérés calamiteux.
Cette attitude a conduit à la naissance d’un mouvement clandestin, le FLNC en mai 1976.
Celui-ci a décidé d’abandonner récemment le choix des armes ; c’est une décision politique courageuse, difficile qui n’a été possible que parce que la Corse est désormais irrémédiablement entrée dans la voie de l’émancipation.
Quel regard portez-vous sur les militants du FLNC ?
Partisan d’un statut d’autonomie interne dans le cadre de l’Union européenne, ayant fait le choix exclusif de l’action publique, je suis à l’aise pour dire que les militants du FLNC ont agi par patriotisme, que les sacrifices consentis ont été majeurs et ont contribué à limiter la spéculation, l’aliénation des terres et à faciliter la progression des idées nouvelles.
En outre, les prisonniers politiques font partie de la « question corse ». Ils feront nécessairement partie de la solution.
Le débat démocratique s’est aujourd’hui approfondi à l’assemblée de Corse. Ce sont les nationalistes qui ont fait évoluer les idées ?
L’évolution des idées portées par le mouvement national a été en progression constante depuis la création de l’Arc en 1967. On sait que les thèmes qu’il affiche – identité et culture, terre, écologie, démocratie, une véritable solution politique – ont pénétré la communauté corse, la société civile, convaincu nombre d’élus et d’autres décideurs.
A telle enseigne, que ces mêmes thèmes se retrouvent dans les revendications et les programmes de nombreux partis politiques, de syndicats, d’institutions. Et que, aujourd’hui de larges majorités se construisent dans les communes, à l’assemblée de Corse autour de ces mêmes idées…
Cependant, le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir aux revendications nationalistes notamment sur le statut de résident et la coofficialité. La commémoration du 22 août pourrait être le point de départ d’un nouveau rapport de force avec l’État ?
L’année 2010, lors des élections territoriales, la famille nationaliste a atteint le score remarquable de 36 % dont 26 % pour la famille modérée. L’État, depuis la conquête militaire en 1769, a toujours imposé à la Corse sa domination totale.
Aujourd’hui même, le président de République et le Premier ministre, opposent un non dur et méprisant aux revendications démocratiques de l’assemblée de Corse. C’est un déni de justice et de démocratie. L’alternative est claire : la soumission ou le renoncement de la Corse à ses revendications fondamentales.
Comme c’est exclu, nous prenons acte que la France veut nous imposer un rapport de force. Nous allons, avec la Corse, répondre à ce défi arbitraire.
Vous voyez des similitudes entre le contexte actuel et celui de 1975. L’histoire peut-elle se répéter ?
Non, car les situations sont totalement différentes sur le terrain. Seule persiste la réponse négative, institutionnalisée de Paris, aux exigences insulaires légitimes.
A un an des territoriales, la situation politique semble bloquée. Que préconisez-vous pour sortir de l’impasse ?
Paris a choisi le refus et la contrainte, au lieu du dialogue. Les Corses ont le devoir impérieux de trouver la solution, à l’exclusion de la violence, notamment par une large concertation et la mobilisation ; par les moyens de la lutte publique et de la non-violence qui peut aider à rassembler, construire la démocratie et le développement ; mais aussi avec le recours à l’internationalisation de l’information.
La France est à contre-courant total de l’Europe, de la coofficialité de la langue, des statuts politiques.
Elle y sera mise en accusation, sans outrance mais avec fermeté. La Corse est adossée au Droit et à l’Histoire. Tous les peuples du monde aspirent à la liberté et nul n’a la possibilité de les contraindre à y renoncer. Les territoriales de 2015 ont l’impératif de dégager une majorité puis une majorité de gouvernement local. J’ai toujours eu confiance dans la capacité de notre peuple à faire face aux difficultés et à construire une Corse émancipée.
A Manca Naziunale ne participera pas à ce rassemblement. Elle dénonce une « manipulation de la bourgeoisie régionaliste corse qui fait feu de tout bois ». Les nationalistes seraient-ils encore en train de se déchirer ?
En démocratie, chacun s’exprime librement. Je ne partage pas le point de vue de A Manca mais je me battrai, le cas échéant, pour qu’elle puisse bénéficier de la liberté de la presse, comme toutes les autres opinions.
L’ACTU
FIN ACTU
ALERIA 75
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CorsicaInfurmazione.org by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]