Je voudrais, pour commencer cette intervention, avoir à mon tour une pensée pour Philippe Paoli. Militant exemplaire, il était aussi et surtout notre ami.
J’adresserai également un salut fraternel à nos prisonniers.
Je remercierai les délégations étrangères et corses qui ont, comme chaque année, répondu à l’appel et enrichi nos débats.
Enfin, je vous demanderai d’applaudir tous les militants ayant contribué à l’organisation des Ghjurnate.
La procédure d’Aix-en-Provence
Quelques mots pour commenter cette dérisoire procédure lancée par le parquet d’Aix-en-Provence pour une prétendue « apologie du terrorisme ». Il est vrai que ce procureur n’a pas mieux à faire, étant en charge de traiter la délinquance dans un département particulièrement paisible, celui des Bouches-du-Rhône, un département, comme chacun sait, indemne de toute forme de banditisme. C’est dans cette situation de grand désoeuvrement qu’il a décidé de commencer une collection de porte-clés… Nous voudrions quand même rappeler quelques évidences à notre procureur copocléphile. L’histoire de la langue française nous enseigne que le mot « terrorisme », que l’on utilise aujourd’hui sur l’ensemble de la planète – en français, en anglais et même en corse – est né dans l’hexagone en 1794. Il signifiait alors « doctrine des partisans de la Terreur ». Il s’agit là d’une période particulièrement sanglante d’une Révolution dont les élites françaises demeurent extrêmement fières, ce qui est au demeurant assez étrange. Par la suite, sous l’occupation allemande, les autorités françaises – notamment la magistrature – l’appliquèrent, non pas à l’armée nazie qui terrorisait littéralement leur peuple, mais à ceux qui combattaient les nazis. Allez comprendre ! Ces combattants anti-nazis récusaient évidemment le vocable de « terrorisme » et s’appliquaient plus volontiers celui de « maquisard ». Ici encore l’étymologie est intéressante : le « Grand Robert » nous apprend que le mot français « maquis » vient du corse « machja », y compris bien sûr dans son acception de « refuge de partisan » et, par extension, d’« organisation de résistance armée ».
Conclusion : laissons à la France la paternité du mot « terrorisme » et de la pratique terroriste, è noi, tenimu ci u nostru machjaghjolu chì ùn hè micca, è ùn serà mai, un terruristu !
Mais il s’agit là de « l’écume des choses ». Intéressons-nous plutôt à la situation morale et politique de la nation.
Il y a un an ici même, nous évoquions la nécessité de transformer le succès électoral de mars 2010 en victoire politique. À l’époque, suite au changement intervenu à la CTC, un certain nombre de frémissements laissaient penser que des avancées pourraient peut-être intervenir concernant les questions essentielles : prisonniers politiques, foncier, langue corse…
Un an plus tard, il nous faut prendre acte de ces avancées qui, bien qu’insuffisantes, constituent néanmoins quelques raisons d’espérer…
LA SITUATION POLITIQUE CORSE : LES GRANDES QUESTIONS EN DEBAT
Les prisonniers
Avec l’adoption d’une motion unanime en faveur du rapprochement et deux visites au ministère français de la justice, les élus de l’Assemblée on enfin, cette année, commencé à prendre leurs responsabilités. Devant ce début de démarche commune et déterminée, Paris a dû procéder à quelques transfèrements significatifs. Nous sommes cependant loin de l’aboutissement de la démarche qui n’interviendra qu’avec la libération de tous les prisonniers et l’arrêt de toute poursuite.
La question foncière
Corsica Libera, nous le soulignions l’an dernier aux Ghjurnate, avait obtenu l’organisation des Assises du foncier. Non sans mal et non sans polémiques, après un an de travaux, l’Assemblée a voté à une majorité de 35 voix sur 51 pour l’approfondissement de la notion de résidence-citoyenneté, que notre mouvement a porté seul jusqu’à il y a seulement quelques mois. Observons qu’à ce sujet, la majorité aux affaires s’est divisée, ce qui démontre l’importance de ce dossier. Il conviendra de suivre avec attention la suite des opérations.
La langue corse
Il y a quelques jours, l’Assemblée de Corse a adopté une motion de Corsica Libera favorable à l’officialisation de la langue corse, par 36 voix sur 51. Souvenez-vous qu’il y a seulement deux ans, la même motion avait été largement rejetée. Ici encore, la majorité s’est divisée, laissant de côté les éléments les plus hostiles au changement. Pour notre part, bien que le vote constitue une victoire, nous ne nous satisfaisons pas de voir les élus corses se diviser sur une question qui devrait être consensuelle, la langue corse étant celle de l’ensemble de notre peuple. Nous allons donc poursuivre notre travail pédagogique auprès de tous les élus et veiller à ce que le contenu soit suffisant pour faire face aux enjeux.
L’agenda 21
Il y a quelques semaines, le Conseil exécutif annonçait qu’il engageait un processus visant à doter la Corse d’un « Agenda 21 », programme ayant pour objet de garantir un développement durable, environnemental et social. Lors de la campagne électorale de 2010, Corsica Libera avait été la seule formation à le proposer. Observons au passage que le Conseil exécutif a repris jusqu’à l’intitulé de notre projet « Corsica 21 ». Nous n’en demandions pas tant !
Tout ceci, aux dires de certains observateurs, devrait nous satisfaire. Il nous semble pour notre part que nous aurions tort de relâcher notre vigilance et notre présence politique : rien n’est aujourd’hui acquis, même si les militants de Corsica Libera peuvent être légitimement fiers du travail qu’ils ont accompli.
LA SITUATION MORALE DE L’ILE : LA VIOLENCE
Nous avons, depuis plusieurs mois, participé aux travaux de la Commission Bucchini sur la violence. On se souvient que cette commission avait été créée suite aux nombreux assassinats ayant endeuillé l’île ces dernières années, et qui se sont d’ailleurs poursuivis depuis. Cette commission a rapidement montré ses limites, notamment quand certains participants ont cru devoir mêler aux vrais problèmes un certain nombre de considérations tenant davantage de propos de café du commerce que de l’analyse politique. Comment ne pas sourire amèrement quand un élu vient exposer que le stationnement gênant constitue une violence insupportable ? Pourtant, cette commission a le mérite d’exister et de montrer que les représentants légitimes de l’île ne se désintéressent pas d’un fléau s’étant abattu sur l’île avec la force d’un cataclysme. Alors, nous y avons siégé et analysé soigneusement les éléments mis à notre disposition dans le cadre de ses travaux. Nous adresserons dès la rentrée un document au Président Bucchini faisant part de nos propres conclusions, afin qu’elles soient soumises au débat et que les différents courants politiques se prononcent sur leur validité. Mais comme ce débat doit être mené de façon publique et dans la plus grande transparence, nous vous en donnons ici les grandes lignes.
D’abord, il convient de rappeler que les institutions corses ne disposent pas des pouvoirs de police et de justice et qu’à cet égard, les autorités françaises ont failli, laissant se développer le banditisme pour se consacrer exclusivement à la poursuite des militants politiques.
Comme indépendantistes, nous sommes évidemment favorables à ce que les autorités publiques corses acquièrent au plus vite ces compétences policières et judiciaires, même si nous craignons que ce ne soit pas pour demain. Toutefois, sachant que la Mafia ce n’est pas seulement la grande délinquance mais le lien entre banditisme, économie et politique, nous demandons aux institutions politiques corses de faire toute la transparence sur leurs activités à travers la création d’un organisme territorial de contrôle des fonds publics et d’évaluation des politiques publiques.
Ceci étant dit, sur un plan plus général et compte tenu des compétences actuelles de la CTC, il nous paraît évident que le levier essentiel dont dispose l’Assemblée de Corse pour entraver les activités mafieuses, c’est le choix du mode de développement économique.
À cet égard, il suffit de superposer la carte des assassinats de ces dernières années et la carte de la spéculation immobilière pour se rendre compte que les deux phénomènes sont intimement liés. Sur une terre aux atouts naturels indéniables et encore préservés, la seule en méditerranée, les perspectives de profit pour les spéculateurs sont incommensurables. Je ne voudrais pas accabler certains politiciens encore hier aux affaires et qui ont depuis largement perdu leur capacité de nuisance, mais quand même : grande est la responsabilité de ceux qui ont parlé de « désanctuariser la Corse ». Ce fut un signal qui a aiguisé tous les appétits et déchaîné les entreprises spéculatives avec toutes les conséquences que nous constatons aujourd’hui, y compris sur le plan du nombre des assassinats enregistrés. Les autorités judiciaires françaises sont d’ailleurs aujourd’hui contraintes de rompre avec leur analyse habituelle qui réduisait ce phénomène de violence à une « recomposition du milieu ». Elles reconnaissent à présent le lien entre ces actes de violence et la spéculation immobilière.
Devant une telle situation, l’Assemblée de Corse doit prendre ses responsabilités : à travers une stratégie de développement bien affirmée, un nouveau PADDUC rompant avec la logique de l’économie résidentielle et un statut de citoyenneté corse, il convient de faire baisser les enjeux économiques liés à la construction immobilière.
Entendons nous bien, il ne s’agit pas pour nous d’entrer dans une logique malthusienne et d’interdire tout développement et tout enrichissement en matière immobilière. Simplement, ce développement doit être maîtrisé et les perspectives de gains financiers redevenir raisonnables. Aujourd’hui, les profits attendus des opérations spéculatives échappent à toute logique et nous sommes entrés dans une spirale infernale favorable à toutes les dérives financières et mafieuses.
Nous plaidons donc, en ce qui nous concerne, pour une certaine « resanctuarisation » de la terre de Corse, ce qui signifie que le nécessaire développement de l’île doit se faire au profit du peuple qui l’habite et la fait vivre depuis le fond des âges. Nous savons que ce que nous disons ne va pas plaire à tout le monde, mais il n’existe pas d’autre solution sérieuse que de s’engager résolument dans cette voie, pour préserver l’accès des Corses à l’immobilier, mais également pour voir une certaine sérénité revenir sur l’île.
LES PERSPECTIVES POLITIQUES
L’élection de 2010 a prouvé la représentativité du mouvement national, mais également la pertinence de la stratégie adoptée à travers la formulation de deux offres politiques distinctes au sein de ce mouvement. Depuis, les deux courants se sont exprimés de façon claire et sont parfaitement identifiés par les Corses, dans leurs accords mais également dans leurs différences. Il reste à présent, tout en gardant à l’esprit les enseignements des expériences passées, à nous mettre en ordre de bataille pour les échéances futures, en recherchant une cohésion d’ensemble qui ne nuise en rien à la nécessaire diversité, à la pluralité de la famille nationaliste. Ce mouvement national pluriel doit devenir l’alternative politique. Nos débats ont montré que la chose était possible. Il reste à en faire la réalité de demain.
Les mois à venir vont être déterminants pour notre pays : pour la première fois depuis le processus de Matignon de Lionel Jospin, une forte majorité de l’Assemblée de Corse a décidé de prendre en compte nos propositions. Mais depuis le processus que nous évoquions à l’instant, dix années se sont écoulées et la situation corse s’est encore dégradée. C’est dire qu’en cas d’échec, il n’y aura peut-être pas de nouvelle chance de sauver un peuple voué par Paris à une disparition certaine.
Le peuple corse, nous en sommes convaincus, est conscient aujourd’hui, tant de la réalité des problèmes que nous soulevons que de l’intérêt de nos propositions pour les traiter. Et c’est bien pour cela que la majorité de l’Assemblée de Corse a fait un pas vers nous. En fait, en termes de prise de conscience, les Corses sont en avance sur leur Assemblée, et c’est ce qui a été démontré à travers le référendum de Siscu. À l’occasion de cette consultation, les électeurs ont été plus clairs dans leur vote que les Conseillers territoriaux dans leurs interventions : 94% des votants se sont prononcés pour une citoyenneté fondée sur dix ans de résidence à titre permanent. Il sera donc indispensable, dans les mois et les années à venir, de continuer à construire de nouveaux rapports de forces politiques, et de le faire dans la cohésion du mouvement national.
Nous sommes donc dans cette situation instable et indécise, mais recélant quand même quelques motifs d’espérance : jamais notre peuple n’a été autant menacé, mais jamais la prise de conscience des Corses n’a été aussi élevée.
Simu à l’orlu di l’infernu, eppuru u paradisu hè à purtata di manu.
Oghje, ci tocca à fà e scelte maiò per l’avvene di a nostra terra.
Ci tocca à fà e scelte chì anu da fà a Corsica di dumane, quella di i nostri figlioli :
Una Corsica in manu à i speculatori, induve u populu corsu serà smaritu,
O una Corsica Libera, nazione fatta, avanzendu versu a so supranità, versu a so indipendenza ?
Aiò ch’hè l’ora di fà a sola scelta degna, quella di stà arritti è di luttà per u so paese,
Aiò ch’è l’ora di fà triunfà e forze di a vita nantu à sta terra sacra,
Aiò ch’hè l’ora, torna un sforzu,
Aiò ch’avemu da vince, chì a vulintà d’un populu ùn si pò parà !
Aiò ch’è l’ora !
Evviva a Lotta di Liberazione Naziunale !
Evviva a Corsica !
Evviva a Nazione !
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