C’est un grand classique de l’histoire récente de notre île. Depuis qu’a émergé avec perte et fracas ce que d’aucuns aiment à appeler le « problème corse », on assiste à un processus cyclique déconcertant, dont les réactions en chaîne ne deviennent que trop prévisibles.
Ce processus propre à la lutte de rue, ou lutte de masse, se retrouve dans bien d’autres contrées confrontées à des problèmes équivalents aux nôtres, ou encore au sein de mouvances militantes à l’organisation similaire. Mais restons concentrés sur notre île, par ethnocentrisme ou par désir d’analyser un vécu commun : le cycle des mobilisations, dont les maîtres mots sont « injustice », « action » et « répression ».
Tout commence donc par une injustice : qu’il s’agisse d’un déversement de boues toxiques sur nos côtes, d’un projet d’essais nucléaires près d’une plage sauvage, de l’attribution en offrande de centaines d’hectares à des étrangers, d’une barbouzerie, d’un énième bafouement de notre langue, d’une bavure policière ou encore de persécution avérée envers nos coreligionnaires : peu importe la raison. Elle est de toute façon la conséquence systématique d’un même processus initié dès la fin du dix-huitième siècle, à savoir la disparition programmée de ce poil-à-gratter qui démange la république : le peuple corse. Non, il ne s’agit pas de paranoïa ou de complotisme mais de faits historiques dont les effets sont plus que jamais palpables.
Une fois cette injustice identifiée, et si elle s’avère être assez flagrante pour mobiliser autour d’elle, un processus d’indignation plus ou moins violent s’amorce au sein du peuple. Cela commence par le bouche à oreille, ou, depuis l’avènement du monde virtuel, par un envahissement des réseaux sociaux. Puis, de l’indignation à la révolte, il n’y a qu’un pas. La jeunesse est bien souvent le déclencheur de la mobilisation de terrain. Langue corse, affaire Colonna, bavures de 2009, ou pour raviver des souvenirs que ma génération n’a pas connus, création de l’université, conflits entre CFR et nationalistes… La jeunesse a toujours été au centre et à l’initiative des revendications d’ampleur du post-riacquistu avec comme moyen d’action privilégié, la rue.
Suite à quoi les mouvements dits « traditionnels » s’emparent généralement du sujet, mettant leur expérience et leur capacité de mobilisation au service de la cause, et organisant de grandes manifestations dans les principales villes de Corse. Manifestations qui, bien souvent, se terminent en affrontements gentillets avec les forces de l’ordre. Affrontements suivis d’interpellations, donc de répression, qui sera parfois à nouveau considérée comme une injustice et qui entraînera à nouveau une action.
Telle est l’histoire de la lutte de masse, de la mobilisation de rue en Corse -et ailleurs. Mais quel est véritablement son impact ? Il semble mitigé. Les tirs tendus des policiers français n’ont pas cessé, la langue corse n’est toujours pas officielle, la répression s’abat toujours sur les militants nationalistes, notre peuple n’est toujours pas reconnu. Au sein du tryptique « lutte de masse / lutte armée / lutte institutionnelle » de la LLN, force est de constater que le maillon faible pourraît bien être celui de la lutte de masse. La lutte armée a permis de garder nos côtes plus ou moins préservées, de faire pression sur le gouvernement, d’instaurer un rapport de force. La lutte institutionnelle a arraché quelques avancées et en arrachera prochainement d’autres. Et la lutte de masse, pourtant la plus « facile » à mener car ayant l’avantage de l’immédiateté, et la plus motivante car concrète, a du mal à percer malgré l’ardeur de ses acteurs. Certes, elle n’est pas que manifestations ou mobilisations ponctuelles. Elle réside aussi dans l’implication dans des associations, des syndicats, des mouvements, dans un militantisme au quotidien. Mais le tractage, l’occupation, la manifestation restent les aspects les plus visibles de ce type de combat, et les plus susceptibles d’éveiller les consciences. La lutte de masse est-elle donc, en Corse, obsolète ? Est elle un échec ?
Je ne pense pas. Elle peut être l’initiatrice d’une conscience politique pour de nombreuses personnes, sorte de révélation idéologique quasi-divine par l’action. Elle permet de réveiller cet instinct grégaire d’attroupement, de jouissance dans la communion avec l’autre. Elle donne aux militants ou futurs militants cette impression de ne pas être tout seuls. Elle est une matérialisation de la conscience politique de chacun. Et en ce sens, elle est indispensable, même si son bilan peut paraître mitigé au regard des autres formes de lutte. La rue forme la jeunesse, la rue forme les consciences, elle n’est pas simplement un défouloir, un exutoire, un remède à la frustration. Elle peut être génératrice d’espoir et formatrice à bien des égards.
Si la cause en vaut la peine -et Dieu sait qu’en Corse tant de causes le méritent- le peuple se doit de descendre cours et boulevards pour faire valoir l’un de ses droits les plus fondamentaux, celui de manifester. Peu importe les conséquences, l’expression par le slogan et le pavé reste la plus saine qui soit. La rue est l’expression du peuple. Un peuple qui ne manifeste pas est un peuple mort ou muet. Morts, nous ne sommes pas. Comptons nous rester muets encore longtemps ?
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by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
Le blog de MassimuCorsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]