A l’occasion des questions orales à l’Assemblée de Corse le 5 juillet 2013, les élus nationalistes ont dénoncé une politique de décorsisation des emplois dans l’île, notamment dans l’administration et les grandes entreprises.
Ils ont raison. Depuis le fameux Rapport Glavany (sept. 1998) dénonçant le trop grand nombre de fonctionnaires corses dans l’île et la période désastreuse sous le préfet Bernard Bonnet (fin des années 90) la politique de décorsisation des emplois s’est poursuivie et amplifiée avec le préfet Pierre René Dumas et ses successeurs. Et aujourd’hui les fonctionnaires, et les cadres corses des grandes entreprises publiques ou privées, sont très minoritaires.
Colonisation de peuplement
Mais au-delà de ces dénonciations, ne faut-il pas pointer du doigt la politique de colonisation de peuplement qui tend au fil des ans à remplacer les Corses (« paisanni o nati qui », habitants d’origine ou nés dans l’île) par d’autres venus d’ailleurs ? Depuis l’an 2000, plus de 4000 nouveaux venus s’inscrivent chaque année sur les listes électorales corses, et en une quinzaine d’années la population de l’île est passée de 250000 hab. à près de 350000 hab., dont 90 % de personnes venues de l’extérieur et non pas grâce à un solde positif des naissances, et ce alors que les vieilles générations corses disparaissent.
Certes, il nous faut dénoncer avec force les riches résidents, dont nombre du Nord de l’Europe qui viennent, retraités ou non, acheter notre terre et faire grimper le prix de l’immobilier (multiplication des résidences secondaires ), il ne faut cependant pas oublier que cette colonisation de peuplement est aussi le fait de l’installation de personnes venues de l’hexagone (dont beaucoup de gens venus du quart monde français) du Maghreb ou des Pays de l’Est, fuyant la misère de leur terre d’origine et/ou appâtés par le mirage du développement touristique corse.
La responsabilité du secteur privé dans l’île
Et là où le bât blesse, ce que les nationalistes ne disent pas ou plus, c’est qu’au-delà de la fonction publique ou des grandes entreprises publiques, c’est l’énorme responsabilité du secteur privé dans l’île (même si ces dernières années, les patrons, commerçants, artisans, agriculteurs… et chefs d’entreprises corses ne sont plus très majoritaires dans ce secteur où même les responsabilités syndicales ou socio-professionnelles leur échappent de plus en plus) qui même à compétences égales préfère de plus en plus faire venir ses employés d’ailleurs au détriment des jeunes locaux (paisanni ou nati qui).
Les saisonniers, futurs habitants permanents de l’île
Parmi ses nouveaux venus, le plus fort contingent de ces salariés sont surtout des saisonniers, avec la mode actuelle des filières des pays de l’Est . Ces saisonniers, qui de plus en plus ne repartent plus chez eux, s’inscrivent à la fin de l’été au Pôle emploi. Et le Pôle Emploi est peu sensible aux problème de la corsisation des emplois (Rappelons-nous l’opposition d’un ancien porte-parole de la jeunesse contesta ire corse à Corté, aujourd’hui cadre du Pôle emploi qui avait refusé une offre d’emploi faisant appel à un candidat parlant la langue corse ! ). Ils sont orientés vers les services sociaux (Falep ou autres ) ou les circuits de formation professionnelle, censés « œuvrer pour la formation professionnelle des jeunes Corses » (stages AFPA ou autres) en attendant de trouver mieux pour s’installer définitivement dans l’île où ils pensent que la misère sociale se vit mieux au soleil. D’où, avec la crise qui touche aussi la Corse, le chômage connait ainsi une progression fulgurante, malgré les miettes retirées du mirage du tout-tourisme.
Si certains emplois sont difficiles à pourvoir par des locaux, les faibles salaires de cette main d’œuvre (pagati incù a sfrombula), sa malléabilité et les conditions de travail n’agréent guère ces jeunes locaux.
Pour un véritable certificat de langue corse, passeport pour l’emploi
Bien sûr, il y a la volonté d’une politique d’intégration par la langue corse pour tous ses nouveaux venus, mais au-delà de la CTC, n’est-il pas illusoire de voir se multiplier la signature de conventions sur la langue avec diverse collectivités, établissements ou entreprises, associations ou monde sportif, si une réelle politique de corsisation à compétences n’est pas privilégiée au sein des ces signataires des conventions et si la langue corse n’a pas les moyens d’être un atout dans la recherche d’un emploi ?.
Le certificat de langue corse mis en place est une bonne chose, mais ne faut-il pas aller plus loin en exigeant des concours régionaux et des recrutements où ce certificat serait obligatoire pour les candidats ou postulants aux emplois vacants. La connaissance de base de la langue corse serait alors un plus dans l’accès à l’emploi (au logement, à la formation, aux transports…).
Ce serait un passeport vers l’emploi en corse pour les paisanni et les Nati qui (Enfants nés et élevés en Corse) et la langue occuperait toute sa place dans une véritable politique d’intégration au peuple corse.
La responsabilité des petits patrons corses et nationalistes
La notion de communauté de destin a été mise en avant dans les années 80, les Corses étaient alors majoritaires et le mouvement nationaliste s’inscrivait dans une stratégie de prise de pouvoir[1]… mais depuis il y a eu les affrontements entre nationalistes, les retombées de l’Affaire Erignac.. et l’affaiblissement de l’idée nationale, tandis que la population de l’île évoluait vers une minorisation des Corses.
Aujourd’hui, malgré tout cela, les nationalistes représentent 36 % de l’électorat et beaucoup d’entre-eux ont investi nombre de secteurs économiques, même si beaucoup ont opté pour le tout-tourisme et ses conséquences néfastes vis-à-vis d’un développement économique équilibré spatialement et sectoriellement et que les dérives sociétales se sont amplifiées…Alors qu’attendent-ils pour mettre, déjà au niveau de leurs compétences et dans leurs secteurs d’activités, en adéquation les idées développées par le mouvement nationaliste en matière développement, à commencer par le recrutement prioritaire de Corses. Car le plus inquiétant est désormais que même parmi les Corses, même certains sympathisants, électeurs ou se disant même parfois très engagés dans la cause nationaliste, ne donnent pas la priorité d’emploi ( à compétences égales) aux jeunes Corses.
[1] Motion déposée par le groupe «Pà un’avenna corsu» (UPC-Cuncolta Naziunalista) et adoptée à une très large majorité le 13 oct. 1988. L’Assemblée de Corse avait adopté une motion affirmant l’existence d’une « communauté historique et culturelle vivante regroupant les Corses d’origine et d’adoption : le peuple corse ». Par la même délibération, elle demandait alors au gouvernement d’adopter une loi-programme dans un délai de six mois pour faire valoir les droits du peuple corse à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques dans le cadre de la Constitution française ».
Pierre Poggioli
by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
sur Corse Matin, sur Alta Frequenza, sur RCFM, Sur Corsica, Sur le Journal de la Corse,
Sur Alcudina, sur Corsica Infurmazione/Unità Naziunale, sur France 3 Corse, Sur Corse Net Info (CNI)
Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]