(Unità Naziunale – Publié le 28 mars 2018 à 17h33) Leader indépendantiste, Paul Néaoutyine est une personnalité politique de premier plan en Nouvelle-Calédonie. Il prône une « souveraineté en partenariat » avec la France.
Membre du Parti de libération kanak (Palika), Paul Néaoutyine est un homme politique incontournable en Nouvelle-Calédonie. Directeur de cabinet de Jean-Marie Tjibaou avant de lui succéder à la présidence du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) de 1990 à 1995, il est président de la province Nord, l’une des trois provinces du pays, depuis les élections provinciales de 1999.
Élu sous l’étiquette de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), composée du Palika, de l’Union progressiste en Mélanésie (UPM) et de représentants de la société civile, il mène une politique d’ouverture visant à rassembler au-delà de son propre camp.
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Mediapart : Vous êtes le président de la province Nord, dont la population est majoritairement kanak. En discutant avec les uns et les autres, percevez-vous de la part de la population un mouvement en faveur de l’indépendance lors du référendum ?
Paul Néaoutyine : En tant que militant du Palika, je constate que la mobilisation des partis indépendantistes sur le terrain a commencé à l’échelle de la province Nord et dans le pays. Quand on se rend çà et là dans les tribus, on perçoit une aspiration en faveur de l’accession à la pleine souveraineté. Y compris parmi les Caldoches, certains disent ne pas avoir peur de l’indépendance, même si ce n’est pas forcément eux qu’on entend le plus. Ces personnes sont intéressées lorsqu’on leur explique comment les choses vont se passer. À nous de répondre à la désinformation des anti-indépendantistes qui font croire que le pays va s’effondrer, qu’il n’y a ni assez de banques ni assez de médecins, par exemple, pour garantir l’avenir du pays.
En tant que président de la province Nord, les politiques publiques que nous mettons en place montrent que nous, indépendantistes au pouvoir, sommes capables de gérer le pays. Nous le faisons depuis trente ans, avec de bons résultats, en faisant travailler à nos côtés des anti-indépendantistes ralliés dans la coalition électorale de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI). Ce fonctionnement apporte la preuve que nous pouvons tous regarder dans la même direction.
Depuis trente ans, de nombreuses compétences ont été transférées par la France à la Nouvelle-Calédonie. Ne restent plus aujourd’hui que les compétences régaliennes. Quelles conséquences économiques et sociales auraient, pour la province Nord et le pays tout entier, l’accession à une pleine et entière souveraineté ?
P. N. : Les transferts de compétences entre l’État et la collectivité sui generis de Nouvelle-Calédonie sont prévus par l’accord de Nouméa de 1998 et la loi organique de 1999. Beaucoup ont été effectués, certains sont en cours de réalisation, d’autres sont à venir. Des hommes politiques anti-indépendantistes comme Jacques Lafleur ou Pierre Frogier ont tout fait pour les freiner, je le regrette. À cause du blocage de la droite, l’article 27 de la loi organique n’est toujours pas mis en œuvre, alors qu’il devrait l’être : il s’agit de l’enseignement supérieur, de la communication audiovisuelle et de l’organisation administrative locale. Il est temps d’aller plus loin.
Que changerait la victoire du “oui” au référendum ? Rien de spécial puisque depuis la provincialisation inscrite dans les accords de Matignon-Oudinot de 1988, les trois provinces – celle du Nord, celle du Sud et celle des îles Loyauté – gèrent déjà les compétences qui leur ont été confiées. La province Nord fait la démonstration qu’elle sait gouverner : elle assume même des dépenses, concernant la santé et transport intercommunal, à hauteur de 11,7 milliards de francs Pacifique [98 000 euros – ndlr] qui devraient être prises en charge par la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes prêts à exercer les compétences de l’article 27. Et à aller au-delà.
[[lire_aussi]]Que répondez-vous aux anti-indépendantistes qui évoquent un risque d’effondrement de l’économie du pays ? Comment envisagez-vous la transition ? La Nouvelle-Calédonie souffre de la fuite des capitaux, notamment des vieilles dynasties caldoches. Comment faire pour que ces flux financiers reviennent irriguer l’économie du pays ?
P. N. : Toutes les évolutions, tous les progrès sont le fait des Kanak, des indépendantistes. La caractéristique principale de l’économie coloniale est le clientélisme. Son objectif est faire travailler les gens à la réalisation de son propre profit. À la sortie de l’indigénat [en 1946 – ndlr] et de la Seconde Guerre mondiale, les infrastructures notables, à savoir les routes, les aéroports et la mécanisation dans l’agriculture, ont été mises en place par les Américains installés dans le pays. C’est à eux que nous devons ces avancées, pas à l’administration coloniale ! La colonisation ici n’a rien produit d’intéressant. La sécurité sociale, c’est l’Union calédonienne des premiers jours, alors composée de notables kanak et caldoches, qui l’a instaurée.
Les non-indépendantistes disent que le système bancaire va s’effondrer. Or, la première banque, la Banque calédonienne d’investissement (BCI), c’est moi qui l’ai créée. Les autres sont venues ensuite. Pourquoi nos détracteurs n’y ont-ils pas pensé tout seuls ? Le propre de l’économie de comptoir est de rapatrier l’argent ailleurs. C’est ce que font les non-indépendantistes aujourd’hui : ils placent leurs milliards sur la Gold Coast, en Australie, en Nouvelle-Zélande du Sud, peut-être même dans le golfe Persique. Cet argent ainsi recyclé ne vient pas de nulle part : il a été créé par l’économie calédonienne, mais l’économie calédonienne en est privée. L’accord de Nouméa a mis en place un conseil du crédit, mais il ne s’est réuni qu’une fois, c’est dire l’intérêt qui est porté par les dirigeants de ce pays à cette question. Quant à la chambre territoriale des comptes et la brigade financière, elles nous contrôlent, nous, les indépendantistes, mais laissent tranquille le gros business. Et c’est sans compter les entreprises qui maquillent leurs comptes. En cas d’indépendance, il est évident que nous ne resterions pas les bras croisés : nous instaurerions des contrôles pour mieux gérer ces flux financiers, pour mieux orienter les revenus dégagés par l’économie calédonienne.
La province Nord n’est-elle pas trop dépendante économiquement des revenus du nickel ?
P. N. : Nous ne sommes pas du tout dépendants du nickel pour une simple raison : nous n’en touchons encore que marginalement les bénéfices. L’entreprise KNS, près de Koné, est détenue par deux actionnaires : la province Nord via la Société minière du Sud Pacifique, à hauteur de 51 %, et le groupe anglo-suisse Glencore, à hauteur de 49 %. Nous en sommes encore à la phase de remboursement des investissements. À partir de 2019-20, nous pouvons escompter toucher de l’argent, une fois que le deuxième four sera monté en puissance. Mais pas avant. L’autre entreprise dans laquelle nous sommes actionnaires est installée en Corée du Sud. Elle produit, quant à elle, déjà des dividendes sur lesquels nous sommes imposés.
Beaucoup d’anti-indépendantistes redoutent que l’accession à la souveraineté ne se traduise par la perte de leurs biens. Les indépendantistes sont-ils suffisamment clairs dans leurs intentions en la matière ?
P. N. : Les non-indépendantistes utilisent ce genre d’arguments pour faire peur. Ils cherchent des exemples, comme le Zimbabwe et le Vanuatu. Il ne faut pas oublier que nous, les Kanak, avons été chassés de nos terres par l’administration coloniale. On nous a traités comme les Indiens en nous cantonnant dans des réserves. Le lien avec la terre est central chez nous. Les noms que nous portons ont à voir avec la terre sur laquelle nous sommes nés.
Le principe de rétrocession a été acté. C’est nous-mêmes, indépendantistes, qui avons proposé que coexistent trois types de foncier : les terres coutumières redistribuées, sur lesquels s’exerce le droit coutumier ; les terres de droit privé ; et les terres appartenant à la Nouvelle-Calédonie. Nous entendons que le processus de rétrocession se poursuive jusqu’à son terme. Il faut aller au bout de la réforme. Les anti-indépendantistes ont peur qu’on les expulse. Mais nous restons dans le droit prévu par les accords, ni plus, ni moins. Les Kanak n’ont jamais revendiqué toutes les terres. Quand les propriétaires blancs de la côte est sont partis, lors des « événements », ils n’ont pas quitté le pays ! Avec tout l’argent que l’État leur a donné en dédommagement, ils sont allés s’installer sur la côte ouest, où ils se sont réinstallés dans de grandes propriétés.
Un ex-directeur de l’Institut d’émission d’outre-mer, l’IEOM [qui assure le rôle de banque centrale dans les collectivités ayant pour monnaie le franc Pacifique – ndlr], a expliqué que la somme des subventions dont bénéficient les agriculteurs de l’économie marchande est supérieure à la valeur marchande de leur production. Ce qui veut dire qu’il s’agit d’une économie assistée. Nous, dans les tribus, nous mangeons ce que nous produisons par nous-mêmes. Certains propriétaires caldoches neutralisent les terres pour en faire des terrains de chasse. Beaucoup ne sont pas valorisées. Ils demandent des subventions pour défricher, pour obtenir des moissonneuses batteuses, mais au lieu de les partager, chacun veut la sienne, chacun veut son bulldozer.
Côté indépendantistes, certains disent craindre la suppression des aides sociales…
P. N. : L’objectif des politiques publiques que nous mettons en place est de créer de la richesse et de mieux la redistribuer. Le projet pour l’indépendance du FLNKS est fondamentalement démocratique. L’aide médicale gratuite, c’est nous qui l’avons créée. Le minimum vieillesse, c’est Calédonie ensemble (centre-droit), avec notre soutien. Les allocations familiales ont été instaurées après la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas question de supprimer ces aides sociales, peut-être de mieux les contrôler, mais pas de les supprimer.
Certains nous reprochent de mal habituer les gens avec ces aides. Mais il faut tenir compte des mutations sociales à l’intérieur des tribus. Nous avons formé les jeunes pour qu’ils entrent dans l’économie mondiale ; en attendant qu’ils puissent investir dans leurs tribus, il faut bien s’occuper de nos vieux.
Il semble que le terme « indépendance » fasse peur à certains, y compris du côté des indépendantistes. Comment faut-il présenter les choses ? Quels liens avec la France préconisez-vous pour la suite ?
P. N. : Vous aurez remarqué que je n’utilise pas ce mot à tout bout de champ. C’est nous qui avons imposé le terme de souveraineté dans l’accord de Nouméa. Il faut relire cet accord qui donne la marche à suivre : il parle de transferts de compétences, et, une fois ces transferts achevés, la souveraineté pleine et entière s’impose d’elle-même. Voilà, l’indépendance est au bout du chemin, c’est écrit dans l’accord. La parole donnée ne peut être reprise, c’est fondamental dans notre culture. Les anti-indépendantistes devraient rechausser leurs lunettes. Il n’y a pas de retour en arrière possible, ni même de statu quo. Le destin commun est une autre manière de parler d’indépendance.
Nous proposons, nous, au Palika, de faire un pas en direction d’une souveraineté en partenariat, qui signifie qu’une fois l’indépendance actée, nous gardions des liens privilégiés avec la France. La balle est dans le camp des non-indépendantistes. À eux de dire quels liens leur paraissent indispensables.
Dans le « groupe des dix » mis en place par Édouard Philippe pour préparer l’après-référendum, il est question de faire le bilan de l’accord, des compétences à transférer, de la place de la Nouvelle-Calédonie à l’international et des valeurs fondamentales qui font le socle de la citoyenneté calédonienne. On ne peut pas dire que ça avance beaucoup pour l’instant. Mais l’intention du gouvernement français est d’aller plus loin, même si le “non” l’emporte. Nous sommes dans un processus irréversible. Si le “non” l’emporte, l’accord de Nouméa prévoit de reposer deux fois la même question. Nous ne renoncerons jamais. On continuera jusqu’à l’accession à la souveraineté.
Certains membres du « comité des sages » nommé par Édouard Philippe que nous avons rencontrés s’inquiètent d’un retour des tensions, voire des violences, dans la perspective du référendum. Est-ce votre cas ?
P. N. : Beaucoup de gens disent que le “non” va l’emporter. Mais je reste positif, laissons les urnes parler. Si c’est le cas, les non-indépendantistes seront tenus pour responsables de ce qu’il se passera. Nos organisations indépendantistes ne sont pas créatrices de tensions. Mais attention, si les non-indépendantistes jouent les prolongations, ils fabriqueront des générations radicalisées. Attention aux déséquilibres. Si au lieu d’un meilleur partage des richesses, les inégalités perdurent, les jeunes considéreront que nous, les vieux, n’avons pas tenu notre parole, ou qu’on s’est fait avoir.