Il y a douze jours, la Ligue des droits de l’Homme a adressé un questionnaire aux candidates et aux candidats aux législatives en Corse. Voici la réponse de Paul Leonetti de Corsica Libera :
Vous avez bien voulu m’adresser un questionnaire décliné en cinq thèmes afin de connaître ma position sur différents points du débat public. J’ai souhaité répondre à vos interrogations en mêlant mes réflexions personnelles aux propositions de Corsica Libera, le parti politique auquel j’appartiens et que je représente dans cette élection.
En préambule, je souhaite contester le choix qui est le vôtre d’exclure les candidats du Front National du champ démocratique en refusant de leur adresser votre questionnaire. N’y voyez aucune tentative de récupération, ni la moindre complaisance avec un discours et un mouvement que Corsica Libera et moi-même, à titre personnel, ont toujours combattus. Mais les nationalistes corses ont longtemps été ostracisés, encore aujourd’hui ils sont tenus à l’écart, poursuivis, et même condamnés pour leurs idées et leurs engagements. Il m’est donc insupportable de cautionner l’exclusion d’un mouvement politique, fût-il notre adversaire. Je respecte les combats et les idéaux de la Ligue des droits de l’homme ainsi que son autonomie d’action. Je me permets toutefois de vous faire observer que cette attitude me semble en totale contradiction avec les valeurs humanistes, que nous avons en partage, et la liberté d’expression que vous avez toujours défendue, notamment à l’endroit du mouvement national corse. Des milliers de nos concitoyens ont porté leurs suffrages sur la candidate du FN lors des dernières élections présidentielles, c’est un fait. On peut le déplorer, mais doit-on pour autant, lorsque l’on est un démocrate, leur opposer le silence et le mépris ? Pour ma part, je m’y refuse.
Thème 1 : la décentralisation
Le peuple corse doit être reconnu par la République française. Cette reconnaissance doit s’accompagner de la création d’une citoyenneté corse, de l’officialisation de la langue corse et de l’obtention d’un statut de très large autonomie législative, fiscale, sociale, culturelle et politique. Ces mesures doivent figurer dans la constitution afin de donner leur plein effet au niveau européen et international. Pour parvenir à ce résultat, il est nécessaire que l’actuel gouvernement de Jean-Marc Ayrault prenne l’initiative d’un dialogue, immédiatement et sans préalable, avec l’ensemble des forces politiques représentées à l’Assemblée de Corse. Lionel Jospin, et avant lui Michel Rocard, avaient eu le courage politique de le faire. Dans une logique d’apaisement, il semble également nécessaire de voter une loi d’amnistie pour les prisonniers politiques, comme avait su le faire François Mitterrand en 1981. Pour ce qui est de la citoyenneté corse, je tiens à rappeler que Corsica Libera est le premier parti politique corse à avoir proposé cette mesure et toujours le seul à en faire une priorité absolue. Corsica Libera se revendique d’une conception ouverte de la citoyenneté (communauté de destin) fondée sur le droit du sol (10 ans de résidence continue) et, pour les Corses de la diaspora, sur le droit du sang (ascendant né en Corse). La citoyenneté doit garantir la capacité des Corses à maîtriser leur destin : participation aux élections, accès au foncier, priorité pour l’attribution des logements sociaux et des emplois publics. Sur cette base, un calendrier pourra être établi pour organiser un referendum d’autodétermination, comme cela a pu être fait en Nouvelle-Calédonie. Jusqu’à cette date, tout doit être entrepris pour protéger le patrimoine des insulaires, à commencer par le rétablissement des arrêtés Miot pour éviter que le processus de dépossession du foncier ne s’accentue.
Thème 2 : l’Etat de droit
L’Etat de droit ne peut souffrir aucune exception. Or la lutte contre le terrorisme sert de prétexte pour rogner les libertés civiles. Depuis le 11 septembre 2001, de nombreuses lois inspirées par une idéologie sécuritaire ont été adoptées et, sans que leur efficacité soit démontrée, portent gravement atteinte aux droits fondamentaux. Il est nécessaire de les abroger car elles placent les citoyens sous la constante menace de poursuites abusives, alors que les dangers dont elles sont censées les prémunir sont le plus souvent inexistants. Tout est fait pour inspirer en permanence la crainte des autorités au plus grand nombre, comme cela est particulièrement visible en matière de sécurité routière. Le Parlement doit se saisir urgemment de la question des libertés et des droits fondamentaux, c’est là sa mission première. En France, le chantier est très vaste, notamment en matière de justice. Le recours systématique à la détention provisoire, le nombre délirant de gardes à vue et les conditions dans lesquelles elles se déroulent (absence des avocats dans de nombreux cas, non enregistrement des dépositions, indignité des locaux de détention), l’irresponsabilité des forces de l’ordre et des magistrats, y compris dans les cas d’excès de pouvoir les plus évidents, le manque d’indépendance du ministère public sont des maux du système judiciaire qui n’ont connu que peu d’amélioration ces dernières années. S’y ajoutent des délais de jugement parmi les plus longs d’Europe, des conditions de détention lamentables et la possibilité de condamner en l’absence de preuve matérielle, autant d’entorses aux principes de l’Etat de droit et du procès juste et équitable. En matière de sécurité, les innovations technologiques (radars automatiques, cybersurveillance, vidéo-protection, croisement des fichiers, écoutes téléphoniques, ADN) donnent à l’Etat des moyens de contrôle toujours plus étendus sur la vie des citoyens. [CC pas bien] En conséquence, le droit à l’intimité de la vie privée et à la confidentialité des correspondances est de plus en plus bafoué. Ainsi, la question de savoir qui contrôle les contrôleurs et avec quels moyens est l’une des plus essentielles de notre époque. La contestation du rôle de la CNIL et la fusion des quelques autorités administratives indépendantes, qui ont pu gêner le pouvoir ces dernières années, au sein de l’institution nouvellement créée du défenseur des droits, dont les prérogatives et les moyens d’action sont insuffisants, sont autant de signes que la République n’est pas à la hauteur des enjeux. Et ce alors même que le renseignement, avec la création de la DCRI, ne cesse de se renforcer, en toute opacité. La société démocratique ne peut pas accepter l’ordre au prix du renoncement à la liberté. Les défis en matière de sûreté publique doivent être relevés dans le respect des principes de l’Etat de droit. La lutte contre la dérive mafieuse impose une plus grande transparence, en premier lieu pour ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics (élaboration des documents d’urbanisme, délivrance des permis de construire, passation des marchés publics). Un effort particulier doit être porté sur la répression du trafic de stupéfiants et sur la délinquance financière grâce à des redéploiements d’effectifs. La Corse ne manque pas de policiers, mais ils sont principalement occupés à faire la chasse aux nationalistes… Pour ce qui est de la délinquance juvénile, elle doit être combattue avec l’idée qu’il faut offrir une alternative à une jeunesse désespérée et désœuvrée, mais qui demeure porteuse de bien plus de promesses que de menaces, pourvu qu’on lui permette d’exploiter son potentiel. Le renoncement aux principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs ne va pas dans ce sens. En matière de sanction, les peines doivent être justes et proportionnées. La sanction n’a de sens que si elle permet la réintégration du condamné dans le corps social. L’incarcération est destructrice, surtout dans les prisons françaises surpeuplées et vétustes. Le système pénitentiaire échoue à œuvrer efficacement contre la récidive. Les alternatives à la prison (travaux d’intérêt général, résidence surveillée avec bracelet électronique, régimes de semiliberté ou de détention en milieu ouvert, obligation de soins ou de formation) doivent être privilégiées pour les délits mineurs. Lorsque l’incarcération est requise, elle doit se faire dans des conditions acceptables afin de donner les meilleures chances au détenu de se réinsérer à sa sortie ou de préparer sa défense s’il est en préventive. Il doit pouvoir recevoir les visites de sa famille et suivre des formations professionnelles. Le rapprochement des détenus apparaît de ce point de vue comme une nécessité, y compris pendant les phases d’instruction. Fermeté ne rime pas nécessairement avec iniquité. Bien au contraire, la société n’est jamais plus sûre que lorsqu’elle reste fidèle à ses valeurs, à son éthique. Les principes d’administration de la justice que je viens d’esquisser sont évidemment ceux que Corsica Libera envisage pour une Corse indépendante ou autonome, et ce dans le droit fil de l’héritage paoliste.
Thème 3 : les droits des étrangers Les Corses ont de tout temps été contraints de s’expatrier, principalement pour des raisons économiques, mais pas uniquement. Ils ont pu faire valoir leurs talents et mérites sous d’autres cieux que ceux de leur île. Aucun peuple ne devrait être plus conscient que le nôtre du caractère illusoire et inhumain du refus pour une société de toute immigration. Il n’en demeure pas moins que la régulation des flux migratoires est une nécessité pour toute société humaine afin de préserver sa cohésion et ses équilibres sociaux, économiques, démographiques, culturels et environnementaux. L’accueil des ressortissants étrangers doit se faire sur le fondement d’une politique réfléchie, adaptée à la réalité socio-économique des territoires et consentie par les pouvoirs locaux. De ce point de vue, la régularisation massive, sans concertation ni évaluation, de l’ensemble des étrangers en situation irrégulière résidant sur le territoire ne semble pas une mesure acceptable. Lorsque des permis de travail pour une main d’œuvre peu ou pas qualifiée sont délivrés au motif qu’il existe des métiers en tension, particulièrement dans le BTP, l’agriculture et l’hôtellerie, il convient de vérifier si les difficultés de recrutement ne viennent pas du comportement des employeurs qui veulent disposer de personnels prêts à accepter des conditions de travail qui, dans la réalité, ne correspondent pas aux normes légales. Dans ces conditions, l’immigration conduit à une sorte de compétition de la misère, entre celle de l’extérieur, d’hommes et de femmes prêts à tout endurer pour survivre, et celle de l’intérieur, subie par une frange de la population qui, malgré sa situation précaire, refuse de renoncer à ses droits au nom de sa dignité. De telles situations conduisent à la frustration et à la colère, sans créer davantage de richesse et de bonheur. Si le droit à la famille est incontestable, l’immigration pose également le problème de l’intégration, du partage des valeurs, surtout en cas de rapprochement familial. Pour que celuici soit une réussite, il est nécessaire que le chef de famille ait la capacité d’assurer le train de vie de ses proches. En dehors de ces cas, l’installation d’étrangers n’a pas à être contrariée lorsqu’ils ont la possibilité d’assumer leur présence sur le territoire, dans le respect des lois et des coutumes du pays qui les accueille. Dans ces conditions, l’immigration est une opportunité. En revanche, accorder immédiatement la qualité de citoyen aux étrangers, et donc la dignité d’électeur et l’accès à certains avantages (hormis ceux attachés au statut de contribuable ou d’assuré social), ne semble guère pertinent. La citoyenneté suppose un engagement durable. Corsica Libera propose une période de résidence de dix ans, sans considération du pays d’origine (européen ou extracommunautaire), ce qui est mieux que dans le droit français dans son état actuel.
Thème 4 : le développement démocratique
Je suis favorable à une stricte interdiction du cumul des mandats, un mandat par élu, ainsi qu’à une limitation des possibilités de reconduction, deux mandats consécutifs pour une même fonction exécutive (maire, adjoint, président, vice-président, conseiller exécutif, ministres s’ils restent au gouvernement pendant deux législatures de suite), trois mandats consécutifs pour une même fonction non exécutive (conseiller municipal, général ou régional, député ou sénateur). Ces mesures permettront d’améliorer le turn-over sans empêcher les hommes politiques les plus compétents de faire carrière dans différentes fonctions, en s’y consacrant pleinement. En matière d’organisation territoriale en Corse, comme le réclame les nationalistes depuis longtemps, je suis un partisan de la simplification. Je pense qu’il convient de fusionner les communes à l’intérieur de périmètres mieux adaptés à la réalité des bassins de vie. On peut choisir de maintenir l’actuel découpage des intercommunalité à fiscalité propre ou de revenir aux anciennes pièves. A l’intérieur de ces ensembles, les anciennes communes pourront subsister avec les prérogatives des mairies d’arrondissement de Paris, Lyon et Marseille. Le mode de scrutin pourrait être le même que dans ces villes. De cette manière, des échelons de proximité (mairies de secteurs) pourraient être créés dans les plus grandes communes de Corse et tous les élus seraient désignés au suffrage universel direct. Les conseils généraux devraient être supprimés et leurs compétences partagées entre le bloc communal et la région. Ce modèle n’a cependant pas vocation à être reproduit de manière uniforme dans toute la France : les territoires doivent pouvoir s’organiser comme ils le souhaitent. Le mode de scrutin proportionnel à un tour avec prime majoritaire me semble être le meilleur système pour les collectivités locales. Pour la députation, le scrutin uninominal peut être conservé, à condition qu’il ne comporte qu’un seul tour afin de « déverrouiller » le système et que le découpage des circonscriptions ne soit pas laissé à la discrétion du ministre de l’intérieur et de la seule majorité. En revanche, le sénat devrait être élu au suffrage universel direct et renouvelé en même temps que les assemblées régionales au scrutin proportionnel. Tous les mandats électifs devraient être ramenés à cinq ans. Afin d’approfondir la culture démocratique, de nouvelles pratiques doivent émerger afin que les dirigeants politiques soient plus transparents (notamment pour ce qui concerne les recrutements et la passation des marchés publics) et dialoguent davantage (médiation, réunions publiques de concertation). La société civile doit également disposer de nouveaux moyens d’action (référendums d’initiative populaire, possibilité de mener des recours collectifs).
Thème 5 : les droits sociaux
L’accès au logement est une priorité absolue. Outre l’introduction d’une citoyenneté corse qui doit permettre de faire retomber la pression sur le marché immobilier, je pense qu’il est urgent d’augmenter le parc locatif social et de mener davantage d’opération d’accès à la propriété. Pour atteindre cet objectif, le droit de préemption des communes doit être renforcé pour lutter plus efficacement contre la spéculation. Des taxes additionnelles sur les résidences secondaires et certaines transactions immobilières (par exemple la vente de terres agricoles rendues constructibles) permettraient de financer ces politiques. Par ailleurs, les PLU devraient imposer davantage de logements collectifs et généraliser l’obligation de réserver une partie des programmes neufs au logement social et à l’accession à la propriété, ce qui aurait aussi le mérite de favoriser la mixité. Compte tenu de la très forte demande intérieure de logements, ces mesures n’entraveraient pas le développement de la filière BTP mais la réorienteraient afin qu’elle satisfasse prioritairement les besoins du territoire. Il est des règles qui s’appliquent à tous les ensembles économiques, du plus petit au plus grand, d’un ménage à une nation, la première d’entre elle étant que l’on ne peut pas durablement dépenser plus que ce que l’on gagne. Les comptes publics ne peuvent pas rester lourdement déficitaires sur le long terme. Nous sommes désormais au bout d’un cycle et il est nécessaire d’en prendre conscience. Il est possible d’équilibrer les dépenses et les recettes en augmentant la pression fiscale, mais cela n’est pas sans conséquence sur le dynamisme du système productif. Aussi est-il sage de s’interroger sur les dépenses véritablement essentielles, et pour cela il semble logique de ne pas s’interdire a priori de faire des économies d’échelles et de remettre en cause certains acquis. La méthode de la RGPP, fortement centralisée et autoritaire, peut être remise en cause, mais pas son esprit. La santé et l’éducation sont des biens essentiels. Une société évoluée et équitable doit être capable d’en garantir l’accès à chacun de ses membres. Force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui en Corse et plus généralement en France. Il faut déterminer cependant si c’est par manque de moyens, et si la société a la possibilité d’en accorder davantage, ou si c’est le système qui est en cause. La solution ne se trouve pas nécessairement dans une augmentation des crédits et un refus de réformer. Certains abus sont aujourd’hui difficiles à corriger en raison de l’incroyable force d’inertie de systèmes très centralisés et défendus par de puissants lobbies. Là encore, une régionalisation plus importante de ces politiques devrait permettre de les rendre plus efficientes et de dégager des marges de manœuvre. La Corse se trouve entre deux modèles de développement voués à l’échec, qu’elle subit plus qu’elle ne les a choisis, celui de l’économie assistée, de la Corse fonctionnarisée et subventionnée, et celui de la croissance tirée par la spéculation immobilière. Ces deux modèles ont pour point commun de subordonner le développement économique de la Corse à des impulsions venues de l’extérieur. Tout le contraire de la croissance endogène. Pour créer les conditions de cette croissance, il faut continuer d’investir dans le capital humain, en renforçant l’Université, et dans les infrastructures prioritaires, pour décloisonner la Corse et favoriser l’émergence d’un véritable marché intérieur. Il est aussi nécessaire de rétablir la confiance des opérateurs économiques locaux, qui doivent avoir l’assurance d’accéder au crédit et de disposer d’un véritable statut fiscal, leur permettant de surmonter le handicap de l’insularité. Pour cela, l’amélioration des transports extérieurs est aussi une condition sine qua non. Il est évident que, dans ce domaine, le système ne peut pas reposer sur des acteurs sélectionnés en fonction d’affinités politiques mais de leur efficacité économique. Le développement doit être équitable afin de bénéficier à tous. Il ne faut pas favoriser uniquement les projets hors de portée des acteurs locaux, notamment en matière de tourisme. Les droits sociaux doivent être respectés et les pratiques anticoncurrentielles réprimées. Il convient également d’encourager la production et la consommation locale, afin d’engager un cercle vertueux : recherche, respect de l’environnement, partage des richesses, contre reproduction, importation des marchandises et exportation des bénéfices. En espérant avoir répondu à l’ensemble des questions que vous aviez bien voulu m’adresser, je vous prie d’être assurés de ma considération et de mon soutien dans vos combats pour le droit et la justice.
Paul LEONETTI Candidat de Corsica Libera dans la 1 ère circonscription de Corse-du-Sud
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