(Corsicainfurmazione.org, gestion institutionnelle, publié le 27 février 2025) L’Assemblée de Corse a pour cette session comme thèmatoqie « la lutte contre les dérives mafieuses ».
Voici le discours de la Présidente de l’Assemblée de Corse.
O Sgiò Presidente di l’esecutivu,
[Monsieur le Garde des sceaux,]
[Gentilissimo deputato Orlando,]
Signora Presidente di u Cunsigliu ecunumicu, suciale, ambientale è culturale di Corsica,
Signore è signori i cunsiglieri esecutivi,
Signore è signori i cunsiglieri di l’Assemblea di Corsica,
Signori i parlamentarii, Signore è signori eletti, Signore è signori i raprisententi di l’Assemblea di a Ghjuventù,
O Sgiò riprisentente di u Cardinale Bustillo,
O Sgiò Presidente di a CCI di Corsica,
Signore è signori in e vostre qualità è funzione,
Signore è signori i riprisententi di i cullettivi anti-mafia, Care è cari cumpatriotti,
Alors que nous ouvrons cette séquence particulièrement attendue, je voudrais repartir des mots que j’ai prononcés le 18 novembre 2022 alors que nous tenions la première session extraordinaire consacrée aux dérives mafieuses. Session qui ouvrit un cycle de plusieurs mois de travail, 5 ateliers et 35 réunions auxquels participèrent des dizaines d’élus, membres de conseils consultatifs et membres des associations. Une première ici en Corse, Monsieur le ministre et, certainement, une première au niveau français voire européen. Je disais donc en novembre 2022… « Durant ce moment démocratique fort, nous aurons posé je l’espère les bases d’un travail conjoint qui procède de notre ferme volonté de laisser à nos enfants, une terre, un pays émancipé, apaisé et où ils seront heureux. » Depuis ce discours, nous avons, je le crois sincèrement, au sein des institutions de la Corse, œuvré pour la mission que nous nous étions donnée, celle de faire vivre démocratiquement ce débat crucial voire vital pour notre île. Malheureusement, je dois reconnaître que la suite de mon discours d’alors n’a pas encore trouvé de concrétisation heureuse. Laisser à nos enfants une terre, un pays émancipé et où ils seront heureux ? Que reste-t-il de tout cela pour Chloé, 18 ans ?
Magnifica ghjuvanotta curtinese, piena di vita è di prugetti, gioia di i so parenti ? Que reste-t-il de tout cela pour Pilou, 33 ans ? Ghjuvanottu stimatu è impegnatu indè u sport è u so mistieru di spenghjifocu ?
Il ne reste rien. Nunda.
Pourtant ce sont des enfants, nos enfants, les enfants de cette terre. Ces derniers jours, à l’approche de la session, nous avons entendu, vous avez entendu beaucoup de choses. Au sein de cette institution, de manière plus silencieuse, nous avons encouragé le travail parlementaire ainsi que le débat sur le rapport qui sera présenté cet après-midi par l’exécutif. Nous avons également tenu à réunir à nouveau la commission permanente élargie aux associations et collectifs anti-mafia, instance d’échanges que nous avions instituée au début de nos travaux. Pour certains le rapport répond aux enjeux, pour d’autres il se situe en- deçà. Tout ce qu’il y a de plus normal dans un cadre démocratique où chacun – de là où il se trouve – peut exprimer ses positions, en débattre, le tout en acceptant les règles qui régissent notre fonctionnement institutionnel.
Sur la forme, beaucoup encore évoquent les questions sémantiques : mafia, dérives mafieuses, emprise mafieuse. Se réjouissant parfois des évolutions, contestant souvent les termes employés.
Sur le fond, beaucoup de questions continuent de se poser, notamment sur les mesures pénales et judiciaires. En démocratie, il est juste et sain que ce débat existe, que les oppositions soient formulées et les élus eux-mêmes auront tout le loisir de poursuivre ces échanges, voire de contribuer à l’évolution de ce rapport et des dispositifs qu’il contient, via un travail parlementaire d’amendement que nous aurons cet après-midi. Beaucoup d’interactions disais-je, marqueurs de notre vitalité démocratique, mais aussi beaucoup de bruit. Une visite ministérielle de dernière minute pour des annonces « importantes ». Je vous souhaite la bienvenue Monsieur le Garde des Sceaux. Une agitation générale pour une séquence qui prendrait donc une tournure nouvelle scénarisée, face à des élus corses graves et inquiets. Car, la lutte contre les dérives mafieuses est un sujet sérieux. Qui ne mérite aucun spectacle, aucune théâtralisation, aucun effet de manche ! Si les élus de la Corse que nous sommes se sont saisis de ce sujet, en faisant d’ailleurs preuve d’innovation et d’un sens aigü des responsabilités, c’est bien parce que ces dérives ont souvent, très souvent, longtemps, trop longtemps été ignorées par l’Etat qui a privilégié au cours des 50 dernières années la répression envers le mouvement national, que nous sommes une majorité dans cet hémicycle à représenter. Les collectifs nous font souvent le reproche de ne pas être assez, de ne pas faire assez dans ce débat, dans ce combat. Nous acceptons ces reproches comme nous acceptons le fait de porter politiquement, à bouts de bras, ce sujet alors même que nous ne disposons pas à notre échelle de toutes les compétences pour intervenir. Alors, me direz-vous pourquoi le faire ? Tout simplement, parce que nous sommes de cette terre. Parce que ce sont nos enfants qui meurent ! Et ce sont également nos enfants qui tuent ! Nous le faisons car au-delà de la sémantique, au-delà des mesures pénales et judiciaires, au-delà des désaccords plus ou moins grands, c’est de la survie de notre peuple dont il est question.
Loin des réactions médiatiques, loin des initiatives opportunistes, la Corse est une terre qui doit panser ses plaies, soigner ses maux, inverser le sens de cette trajectoire funeste. Trajectoire mortifère rendue possible, au cours des décennies, par l’absence de perspectives globales, le maintien dans une situation de dépendance et de mal développement, les non -réponses et les dénis de démocratie qui n’ont que trop duré. Je suis heureuse, et très honorée, que Leoluca Orlando soit là. Qu’il assiste à nos débats. Qu’il apporte son regard de palermitain, d’insulaire, de méditerranéen et d’européen. Ce regard, empreint de réalité, de proximité, de connaissance des mécanismes à l’œuvre et de leur perversité. Toni Casalonga relatant vos entretiens intervenus en 1995 1 vous cite : « rien, dans la réalité n’est plus hostile à la Sicile que la mafia. Ceci nous le savons, nous Siciliens, nous l’avons appris en vivant de terribles moments de peur, de honte, de douleur » affirmant donc que « on ne peut être à la fois Sicilien et mafieux, car on ne peut être une chose et la tuer ». On ne peut pas être une chose et la tuer. Des moments de peur, de honte, de douleur, nous Corses en avons vécus beaucoup ces dernières années. Et si nous avons pu collectivement faire preuve d’atermoiements par le passé, force est de constater que nous ne nous cachons plus derrière une identité collective, une interconnaissance favorisée par la société de proximité. On ne peut être de ce peuple et vouloir l’anéantir par les pressions, les violences, l’emprise, la crainte, la mort.
Nous le disons :
BASTA ! Nous le disons avec les collectifs qui s’engagement quotidiennement dans cette lutte !
BASTA ! Nous le disons avec les commerçants, les entrepreneurs, les petites gens qui subissent !
BASTA ! Nous le disons avec les pères et les mères endeuillés ! Et nous le disons pour les enfants de ce pays.
Parce que nous croyons tous ici à la nécessité d’une renaissance, mot cher à Leoluca Orlando qui aura permis celle de Palermo, nous devons, nous Corses, favoriser une nouvelle étape de notre Riacquistu. Le riacquistu de la légalité, le riacquistu des valeurs de Paoli, en cette année du tricentenaire, le riacquistu de l’espoir, le riacquistu du droit au bonheur. Et ça voyez-vous, ça c’est à nous, à nous Corses, de le dire et de le faire. A l’Etat, M. le Garde des Sceaux, ses responsabilités, toutes ses responsabilités, rien que ses responsabilités. A nous, celles de réécrire une nouvelle page de notre histoire, une histoire où être Corse et être mafieux n’est plus compatible. Et cette responsabilité passe par notre culture, levier d’émancipation, passe par l’éducation, vecteur de cohésion, passe par nos valeurs de justice et de respect, passe par nos actions collectives et individuelles pour anéantir petit à petit ce fléau, lui ôter jour après jour une part de pouvoir. Le Pape Jean-Paul II, lors de son grand discours le 9 mai 1993 dans la Valle dei Templi 2 à Agrigento en Sicile, offrit à une foule nombreuse un message poignant.
Permettez-moi en conclusion de le paraphraser : « Stu populu, u populu corsu, cusì liatu à a vita, populu affeziunatu à a vita, chì dà a vita, ùn pò micca campà sottu à a pressione di una civilizazione di a morte. Quì ci vole una civilizazione di a vita ! ». Ce sont cette croyance et cette ambition que nous avons collectivement alimentées qui me permettent d’espérer que malgré les drames et les horreurs, nous pouvons encore, ici, nous Corses, changer les choses.
À ringrazià vi !
Discorsu di Marie-Antoinette Maupertuis Presidente di l’Assemblea di Corsica Sessione di u 27 è 28 di ferraghju di u 2025.
1 On ne peut être à la fois Sicilien et mafieux
2 « Questo popolo, popolo siciliano, talmente attaccato alla vita, popolo che ama la vita, che dà la vita, non può vivere sempre sotto la pressione di una civiltà contraria, civiltà della morte. Qui ci vuole civiltà della vita! » : Visita Pastorale in Sicilia: Concelebrazione Eucaristica nella Valle dei Templi, Agrigento (9 maggio 1993) | Giovanni Paolo II.