« Un mouvement clandestin confirme son ultimatum et donne des précisions sur une action militaire » – #Corse

(Unità Naziunale – Lutte armée – Archive – Publié le 1er décembre 1973) Dans le Paris Match en date du 1er décembre 1973, un commando du FPCL (Fronte Paisanu Corsu di Liberazione) confirme son ultimatum d’octobre 1973 à l’encontre de l’Etat Français et donne des précisions sur l’action contre le navire de la Montedison qui a eu lieu le 15 septembre 1973.

 

« Qui est à l’appareil ? »
– « Ne cherchez pas à connaître mon nom. Si vous voulez en savoir davantage, soyez cette nuit à 4 heures sur la route du col de Vizzavona, à la fontaine après le village de Bocognano. »

Il est 19 heures ce lundi lorsque nous recevons cet appel téléphonique à l’hôtel Impérial à Ajaccio. Nous sommes en Corse depuis la veille pour un reportage sur le parc régional de l’île. L’imprévu de ce coup de téléphone excite notre curiosité. Le rendez-vous mystérieux est à quarante kilomètres d’Ajaccio. Le risque est inexistant. Aussi décidons-nous d’y aller.

Comme convenu, il est exactement I heures lorsque nous arrêtons notre voiture au lieu du rendez-vous. De part et d’autre de la route, la forêt et le maquis gardent leur impressionnant mystère que seul trouble le léger bruit de la fontaine.

Les minutes passent. Nous nous demandons si nous n’avons pas été victimes d’une mystification. Nous sommes sur le point de renoncer lorsqu’une voiture, marchant au ralenti, nous croise. Une voiture dont nous voyons les feux arrière disparaître au premier virage. Il est 4 h 15 lorsqu’elle réparait. En sens inverse cette fois. Deux appels de phares. Nous répondons aussitôt. La voiture stoppe un peu plus loin. Personne ne descend. C’est alors que nous voyons surgir du maquis une silhouette qui se dirige vers nous. L’homme a une cagoule sur le visage. A sa demande, nous lui ouvrons la portière arrière de notre voiture. Il s’v engouffre.

« Excusez-nous, mais il fallait savoir si vous n’étiez pas suivis. »

La même voix douce, fortement teintée d’accent corse, que celle de notre correspondant téléphonique.

« Laissez-vous faire. Je vais vous bander les yeux et un ami prendra le volant. »

A peine sommes-nous installés à l’arrière du véhicule qu’un sifflement bref se fait entendre. Un deuxième homme nous rejoint. Quelques instants plus tard, la voiture démarre après un bref dialogue en langue corse. Nous roulons pendant près de deux heures. Deux heures pendant lesquelles nous n’échangerons que deux ou trois mots. Nos compagnons gardent le silence le plus total.

La lune éclaire doucement le maquis lorsque nous sommes délivrés de nos bandeaux. Nous pouvons alors distinguer les deux mystérieux personnages. Tous deux ont revêtu un battle-dress et portent la même cagoule sur le visage. Une cagoule de tissu noir. Peut-être des bas de femme. « Nous allons marcher assez longtemps », nous dit-on. Celui qui nous parle, toujours le même, baisse la tête de peur d’être trahi par le pinceau lumineux de sa lampe torche.

Et nous marchons pendant près de deux heures. A travers un maquis touffu, par des sentiers escarpés, longeant tantôt des précipices, tantôt la berge glissante d’un torrent. Toujours dans un silence impressionnant.

Les premières lueurs de l’aube découpent les hauts sommets lorsque nous atteignons un petit village abandonné. Trois ou quatre maisons. Au seuil de l’une d’elles, un troisième homme attend, vêtu lui aussi d’un battle-dress, le visage camouflé sous un passe – montagne.

« Entrez là ! Mettez-vous à votre aise. »

La voix est assourdie par la cagoule. Un léger accent corse. L’homme semble plus jeune que les deux autres. Vingt-cinq ans peut-être.

La pièce dans laquelle nous nous trouvons est relativement exiguë, une grande cheminée ou flambe un feu de bois. L’ameublement : une table recouverte d’une couverture, un vieux pétrin et un lit sans âge sur lequel on a jeté des sacs de couchage.

Sur un pan de mur, un drapeau blanc frappé de la tête de maure — drapeau corse — et portant le sigle F.P.C.L.

On devine que cette maison a été abandonnée depuis de longues années déjà par ses habitants.

« Vous êtes ici dans un lieu de rassemblement des partisans du «Fronte Paisanu Corsu di Liberazione » autrement dit « Front national corse de libération». Il s’agit d’un mouvement clandestin et vous allez être les premiers à rencontrer les dirigeants. Cette rencontre aura lieu ici même cette nuit », nous annonce-t-on.

Et faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous acceptons, sans plus de questions, le « spuntinu » — un casse-croûte corse de jambon, de saucisson et de fromage, le tout arrosé d’un excellent vin — que nos deux compagnons de route partagent avec nous avant de nous quitter sur un « messieurs, à ce soir ».

La journée se déroule sans incidents, sous la garde attentive et prévenante du jeune homme au passe-montagne qui arbore sous l’aisselle gauche un parabellum.

La nuit est tombée depuis trois heures déjà sur le magnifique paysage qui entoure le hameau abandonné lorsqu’un léger frôlement à la porte de la petite maison nous tire de notre somnolence.

Pistolet au poing, notre ange gardien se précipite alors à une petite lucarne qu’il entrouvre avec précaution.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre, livrant passage à quatre hommes en cagoule noire qui, sans mot dire, prennent place autour de la table faiblement éclairée par des bougies.

« Nous vous prions de nous excuser de vous avoir infligé cette épreuve, mais il nous fallait prendre toutes nos précautions. J’espère que vous ne regretterez pas d’être venus. »

L’homme qui s’adresse à nous s’exprime, lui aussi, avec un accent corse très prononcé. Son langage n’en est pas moins châtié. Le langage d’un intellectuel.

Un intellectuel en battle-dress qui, avec notre « ange gardien » et celui qui nous a servi de guide, le matin, parait être le chef de l’organisation.

« Nous vous avons alertés pour une raison : révéler à la France notre existence et notre action. Le Front national corse de libération (FNCL)est une organisation clandestine, calquée, sur le modèle des organisations de ce type, avec un collectif responsable de cinq membres et des ramifications dans toute l’île, voire sur le continent. Notre projet politique, pour ne pas dire notre doctrine, prend racine dans le mouvement historique de Pascal Paoli. L e seul grand homme corse qui, vers le milieu du XVIIIe siècle, a été le promoteur de l’idée de nation. Napoléon ? Nous ne voulons pas connaître ! Pour nous, il n’est qu’un traître puisqu’il a été l’artisan de l’anéantissement de l’âme corse. Notre but est donc de rendre au peuple corse son identité nationale. Il faut, pour cela, que l’Etat français reconnaisse dans les actes et non plus en paroles la réalité de la culture, de la langue et de l’histoire corses. Ce qu’il n’a jamais fait et qu’il ne se décide pas à faire. Pour autant, il n’est pas question pour nous de choisir entre le régionalisme ou l’autonomie. Ni même d’indépendance. Notre projet est autre. Nous sommes des nationalistes dans le sens le plus strict du terme. Peu nous importe, aujourd’hui, que la Corse soit département français ou région autonome comme, par exemple, la Sardaigne dans l’ensemble italien. Les structures de notre attachement à la France peuvent changer. La nation corse, elle, doit survivre. » Le monologue se poursuit, clair, précis, interrompu parfois par des apartés à voix basse et en corse. « Contrairement aux partis politiques traditionnels ou à certaines organisations contestataires, nous ne faisons plus confiance aux dirigeants français. Ils se sont succédé sans jamais rien faire pour notre île. Ils l’ont laissée dépérir, se vider de sa substance. Ils en ont fait une terre sans âme, sans vie, livrée aux spéculateurs de toutes sortes. Ils ont laissé s’installer le désenchantement, le doute, et pour beaucoup le désespoir. Ils ont fait de la France que nos pères ont aimée jusqu’à lui sacrifier plus que d’autres leur vie dans les différentes guerres, une sorte de marâtre colonialiste. C’est pourquoi nous avons décidé de nous soulever et de répondre à la violence par la violence. Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. Notre existence est récente. Notre action a commencé dans la nuit du 8 octobre dernier et ce n’est qu’un préalable. Nous revendiquons trois attentats à l’explosif. Trois attentats qui ont eu pour objectifs la trésorerie générale d’Ajaccio, l’appareillage de la balise radio de la base aérienne de Solenzara et un établissement commercial à Bastia. » Trois objectifs choisis avec soin qui illustrent parfaitement dans des domaines différents la politique colonialiste du gouvernement français. L’ordre a été donné à nos chefs de secteurs qui l’ont transmis à leurs commandos respectifs. Nous ne connaissons pas l’identité des hommes qui les composent. Les exécutants sont anonymes. Les autres attentats nous sont étrangers, sauf le dynamitage du « Scarlino Secundo », le 15 septembre dernier, dans la baie de Follonica. Il s’agissait de montrer que, dans la lutte contre le déversement des boues rouges au large de la Corse, les protestations verbales ne suffisaient plus. Si l’ordre n’a pas été donné par le F.p.c.l., ce sont des hommes qui nous sont proches qui l’ont exécuté. (Confirmation dans le Corse matin d’Aout 2024 de l’action de Ghjustizia Paolina) L’attentat a été préparé de longue date. Une surveillance discrète pendant plusieurs mois et, le jour venu, le départ du commando à bord d’un canot à moteur de la côte orientale de l’île. Pour éviter que le navire ne se retourne dans le port, la charge a été mise au niveau de la ligne de flottaison, côté quai. Le travail a été si bien fait que les hommes étaient de retour à leur base lorsque l’explosion est intervenue. Mais je le répète, cette action ne s’inscrivait pas dans le contexte strictement politique de notre engagement qui va se préciser si le gouvernement français ne satisfait pas aux exigences de l’ultimatum que nous lui avons adressé en octobre dernier.

Cet ultimatum qui fixait un délai de soixante jours comporte trois points :

    • l’expulsion des colons autres que Corses occupant les terrains communaux de la plaine orientale
    • ainsi que le partage des terres du pénitencier de Casabianda — 2 000 hectares — aux agriculteurs corses,
    • le remplacement dans l’île des fonctionnaires continentaux par des fonctionnaires corses et l’enseignement obligatoire de la langue corse dès l’école primaire.

Le gouvernement a encore un mois pour se décider. A la date d’aujourd’hui, il n’a trouvé pour toute réponse à cet ultimatum que l’envoi de 120 C.r.s. Cette réponse est significative. Elle n’est pourtant pas faite pour nous arrêter. »

Nos « hôtes » se lèvent et nous prient de les suivre. Pendant près de deux heures, nous grimpons à la lueur de lampes torches le versant abrupt de la montagne. Par une nuit sans lune et des sentiers retrouvés sous un maquis complice. Nous regagnons notre voiture et reprenons la route d’Ajaccio. Le scénario a été le même qu’au départ. Nos hôtes se sont évanouis dans la nuit à l’endroit même, près de la fontaine de Bocognano, où nous avons été pris en charge trente – six heures plus tôt. Sans une parole, ni même un salut.

FRANÇOIS PERETTI
PARIS MATCH DU 1er décembre 1973

 

. . A l'accorta annant'à Google Infurmazione For Latest Updates Follow us on Google News Nos dernière informations sur Google Actus

Produit CORSU E RIBELLU

bandeauribelluteeshirt (1)

Produits à partir de 13e

error: