(Unità Naziunale – Lutte de masse – Publié le 5 février 2023) Se tenait ce dimanche matin à Aleria une conférence de presse du collectif d’anciens prisonniers politiques, Patriotti.
Une centaine d’anciens prisonniers politiques, de militants et sympathisants de la Lutte de Libération Nationale était rassemblé pour honorer la mémoire des militants disparus et l’histoire de la LLN, à l’endroit même où se sont passés les évènements d’Aleria en 1975
Voici le texte de la conférence de presse :
Dans quelques heures, quelques officiels français commémoreront la mort du préfet Erignac. Au cas où certains se poseraient la question, nous n’y participerons pas. Mais, c’est un signe que nos ennemis, eux, n’hésitent pas à rappeler le souvenir de leurs morts. Ce qui n’est pas le cas pour le nationalisme corse moderne.
Nous sommes ici, pour rappeler que le peuple corse a une histoire et son corollaire, des martyrs.
Depuis la conquête militaire de la Corse par les armées du Roi de France, à la fin du XVIIIe siècle, la France tente de nous couper de notre passé et de nous faire vivre avec une histoire revisitée, voire une histoire étrangère à notre terre.
Depuis 254 ans, on nous explique que notre langue n’en est pas une, que notre peuple n’existe pas, que nous sommes naturellement français. On a même réussi à nous faire croire que nos tours étaient génoises, que nos ponts aussi étaient génois, et même que nos statues menhirs étaient shardanes !
On a appris à nos enfants dans les écoles que Choiseul était un bon ministre et un grand patriote ! Choiseul, le responsable de la conquête militaire de la Corse, responsable de la mort de milliers de naziunali ! On a même donné le nom d’un lycée de Bastia à Marbeuf, premier gouverneur français de la Corse qui s’est illustré par sa cruauté, allant jusqu’à refuser que l’on donne sépulture aux Corses qui continuaient à résister contre l’oppresseur français.
Aujourd’hui, comme on le faisait avant la décolonisation en Algérie, au Maroc, en Tunisie ou encore au Sénégal, on continue d’expliquer à nos enfants que nos ancêtres étaient les Gaulois !
La France a enfermé notre histoire dans ses geôles sombres et en a jeté la clef dans la Seine. En voulant nous couper de notre passé, elle espérait transformer notre avenir. On a voulu nous faire vivre avec une histoire expliquée uniquement par l’extérieur, comme si nous n’étions capables de rien.
La réalité est ailleurs. Depuis une quarantaine d’années, de nombreux historiens ont permis de redécouvrir notre histoire et de la remettre au centre de notre passé.
Oui, ce sont nos ancêtres corses qui ont sculpté nos statues menhirs, ce sont nos ancêtres qui ont construit les tours littorales et les ponts de communication. Oui, nous sommes un peuple et la Corse est une nation qui peut être fière de son histoire qui n’est pas celle de la France.
Au XIVe siècle, pendant la révolte de A TARRA DI U CUMUNU, nous inventons la sécurité sociale. Au XVIIIe, précurseurs dans le siècle des Lumières sous Pasquale Paoli, nous mettons en place la première démocratie de type moderne en Europe, dotant la Corse d’une constitution qui inspirera celle des USA et donnant le droit de vote aux femmes… En 2007, pour le bicentenaire de la mort de Pasquale Paoli, le conseil municipal de Paris refuse de donner son nom à une rue de la ville. Mais comment voulez-vous que la France reconnaisse la dimension de Paoli, alors qu’au même moment, son parlement votait une loi sur « les bienfaits de la colonisation française » ! Cette France de l’Ancien Régime venue mettre fin à la démocratie en Corse…
En 1943, alors que la France se prosterne devant le maréchal Pétain et que sa Milice persécute les résistants, nous montrons les chemins de la libération à l’Europe entière en étant le premier département à se libérer du joug nazi et fasciste, par la force de notre résistance. Il faudra 70 ans pour le faire admettre dans les manuels scolaires.
Alors oui, nous avons notre propre Histoire et nous pouvons en être fiers ! Pourtant, cette Histoire n’est toujours pas dans les programmes scolaires de nos enfants.
Depuis une trentaine d’années, de nombreuses initiatives permettent de nous réapproprier notre Histoire, mais il faut aller plus loin. Il faut arrêter le massacre et protéger nos lieux de mémoire.
Il y a encore quelques années, s’élevaient ici les ruines de la cave Depeille. Haut lieu de mémoire du nationalisme corse, les évènements d’Aleria d’août 1975 ne se présentent plus. Pourtant, on a laissé détruire cette cave et la Communauté d’Agglomération de l’Oriente a choisi d’implanter à la place une recyclerie. Tout un symbole… On a jeté, au sens propre, notre passé dans une déchèterie ! On a voulu jeter dans les poubelles de l’Histoire notre glorieux passé !
De partout en Europe, le moindre lieu de mémoire est mis en valeur avec une signalétique adaptée pour en expliquer le contexte. Souvent, cela se transforme en sources de revenus liés au développement touristique. Mais, en Corse, on ne peut que constater avec consternation et amertume que l’on a laissé détruire un lieu aussi important dans notre Histoire contemporaine que la cave Depeille. Quel peuple au Monde accepterait que l’on crache ainsi sur son passé ?
Alors que depuis bientôt 50 ans les évènements d’Aleria sont devenus le mythe fondateur du nationalisme moderne ! Aleria, pour toutes les générations de nationalistes qui se sont succédées, c’est le début de la lutte armée. Même si des mouvements clandestins officiaient déjà avant – d’ailleurs le commando d’Aleria est composé en partie d’un de ces mouvements, Ghjustizia Paolina – c’est la très grande médiatisation de ces évènements qui a attiré le regard de l’opinion publique, corse comme française, sur les revendications, à l’époque, autonomistes.
Si Aleria est devenu un mythe, les causes en sont multiples. Tout d’abord, l’action portée par Edmond Simeoni, par la force de sa légitime revendication ainsi que par le modus operandi choisi, mais également par la réponse disproportionnée de l’Etat français.
Les autonomistes qui ont occupé la cave d’Aleria portaient des revendications simples : la réappropriation de notre terre qui avait été offerte aux agriculteurs rapatriés d’Algérie et non aux jeunes agriculteurs corses. Le travail des rapatriés n’a pas abouti à une valorisation de notre viticulture, mais au contraire à une production massive de vin chaptalisé avec des agriculteurs qui se permettaient une cavalerie bancaire sans précédent, avec la complicité de l’Etat français qui fermait les yeux.
Face à cette légitime revendication, l’Etat français a répondu par la répression. Alors qu’Edmond Simeoni avait annoncé que l’occupation ne durerait que 4 jours, le ministre de l’intérieur de la France Michel Poniatowski a décidé d’employer la force. Plus de 2000 militaires ont été envoyés sur place pour déloger le commando d’une vingtaine de militants. Bilan, un blessé grave chez les autonomistes et deux morts chez les militaires français.
Quelques mois plus tard, de jeunes nationalistes et d’anciens militants des structures clandestines préexistantes se réunissaient pour créer le FLNC. La revendication est alors passée de l’autonomie à l’indépendance.
Pendant des décennies, les militants du FLNC ont risqué leur vie et leur liberté pour défendre les intérêts du peuple corse. Mais les Corses le savent, les enquêtes d’opinion publique l’ont clairement dit il y a quelques années, si notre littoral a été protégé, si nous avons obtenu des avancées politiques, s’il y a une université en Corse, si notre langue n’est pas encore morte, si notre terre est en partie préservée, c’est grâce aux sacrifices des militants du FLNC.
La Corse a payé pour cela un très lourd tribut, aussi bien en années de prisons pour ses fils qu’en vie humaine. L’Etat français en porte également une énorme responsabilité. Notamment avec ces officines barbouzardes ayant semé les graines de la division qui a conduit à la guerre entre nationalistes qui a particulièrement endeuillé notre peuple. Comment ne pas rappeler ici les déclarations du directeur de cabinet du préfet Bonnet qui a avoué que son patron prévoyait de mitrailler des habitations de nationalistes avec son fameux M16, pour faire repartir la guerre entre nationalistes ?
Certains militants de notre lutte ont fait le sacrifice ultime de leur vie pour un idéal que nous partageons tous autour de cette table. Pourtant, aujourd’hui, à une époque où 70 % des Corses votent pour les listes nationalistes, si tout le monde connait Yvan Colonna ou Ghjuvan Battista Acquaviva, quels sont les Corses qui peuvent nous dire qui étaient Stefanu Cardi, Lisandru Vincenti ou encore Anghjulu Maria Tiberi ? Pourquoi ces hommes d’honneur qui devront figurer dans les manuels d’Histoire de la Corse de demain ne sont-ils pas honorés par la Corse entière, eux qui ont sacrifié leur vie pour notre terre ? Et ils sont malheureusement nombreux à l’avoir fait, les militants cités ne sont qu’un exemple, nous pourrions en citer beaucoup d’autres. Il est plus que temps de leur rendre un hommage collectif et de leur consacrer un lieu de mémoire et une date de notre calendrier pour les honorer.
Nous proposerons dans les semaines à venir une méthode qui créera les conditions pour se mettre autour d’une table pour en faire émerger un projet de sauvegarde de notre mémoire.
En ces lieux, pourrait être construit un musée qui reprendrait la forme de la cave Depeille telle qu’elle était au moment de l’occupation par les militants autonomistes en 1975. Une première salle de ce nouveau musée pourrait retracer l’ensemble des évènements avec des panneaux explicatifs. Puis, une seconde salle pourrait être consacrée à la couverture médiatique écrite des évènements, avec des reproductions de journaux d’époque. Une troisième salle pourrait reprendre la couverture audio des évènements avec des cabines qui permettraient de revivre les informations telles qu’elles ont été diffusées à l’époque. Ensuite, une quatrième salle pourrait être consacrée aux informations audiovisuelles, avec des projections permanentes de journaux télévisés d’époque ou d’interview récentes de personnes ayant vécu ces évènements ou d’historiens qui l’évoqueraient. Enfin, une cinquième salle proposerait aux visiteurs de voir des objets en rapport avec ces évènements que des particuliers détenteurs pourraient offrir, à l’image de ce que nous présentons sur cette table aujourd’hui.
On pourrait même imaginer élargir cet espace muséographique à l’ensemble de la lutte de libération nationale. D’autres salles pourraient retracer l’histoire du nationalisme corse : les grandes dates de l’Histoire du nationalisme, les grandes avancées politiques, les élections qui ont changé la donne politique, les périodes sombres, les rafles et les grands procès, les mobilisations populaires les plus importantes, les attentats les plus retentissants… Ces évènements pourraient être présentés au public à travers les couvertures médiatiques dont ils ont fait l’objet (presse écrite, audio et audio-visuelle), on pourrait éventuellement présenter des objets en rapport avec ces évènements (des originaux de tracs par exemple, ou n’importe quel objet en rapport qui serait offert au musée), et on pourrait même imaginer des reconstitutions à travers des maquettes, des mannequins à taille réelle ou autre. Les affiches historiques de la lutte pourraient également être mises à l’honneur.
Enfin, toujours dans cet esprit de réappropriation de notre histoire, dans l’esprit des accords historiques de réconciliation du Fiumorbu, nous proposons la création d’un monument en hommage à tous les morts de l’histoire récente du nationalisme corse, sans aucune exclusive. Ceci afin de graver dans le marbre leur sacrifice et pour que les générations futures n’oublient jamais le combat mené par les fils de cette terre pour que notre peuple puisse vivre libre. Les Corses tombés au champ d’honneur doivent être honorés à toutes les époques.
Nous proposons de construire ce monument, dans un lieu symbolique de l’Histoire récente du nationalisme corse, à décider après concertation avec l’ensemble du mouvement national.
Si nous, anciens prisonniers politiques, ne sommes pas les dépositaires de ces 50 dernières années de lutte, nous avons toute la légitimité pour en parler et pour se battre pour faire connaître notre Histoire, à laquelle nous avons participé et à laquelle nous participons encore !
À populu fattu, bisogn’à marchjà !
PATRIOTTI
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Les photos (non libre de droits)