(Unità Naziunale – Publié le 23 octobre 2021) Dans une lettre ouverte au Président de la République publié dans Corse Matin, Alain Ferrandi et ses conseils en appellent désormais aux députés et sollicitent l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur le statut de DPS « qui interdit à tort le rapprochement familial et impose un traitement inhumain aux détenus. »
« Monsieur le Président de la République,
« Lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’Homme, c’est une figure de style, elle est patrie de la Déclaration des droits de l’Homme, aller plus loin relève de la cécité historique » disait Robert Badinter.
Ces mots ont une résonance puissante pour le « Détenu Particulièrement Signalé »
(DPS) que je suis depuis 22 ans.
Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, j’accomplis ma peine et l’assume.
Mais incarcéré le 25 mai 1999, je subis, y compris depuis la fin de ma période de sûreté, le 25 mai 2017, un traitement inhumain et dégradant, digne de prisonniers politiques dans des régimes condamnés par la France ; elle-même condamnée à ce titre par la Cour européenne des droits de l’Homme : 13 transfèrements de 1999 à 2005, réveils nocturnes réguliers, fouilles corporelles, visites médicales entravées et humiliantes, éloignement continu de mes proches…
Réduit aujourd’hui à multiplier les recours prévus par la loi, auprès d’une administration centrale qui y répond avec un systématisme éloquent et des refus invariablement identiques depuis 22 ans, j’en conclus que faire valoir ses droits est un leurre…
Toute évolution de circonstances, toute démarche personnelle d’acceptation du devoir de réparation et de conscience éprouvée de culpabilité, mais aussi tout travail de participation et d’indemnisation des victimes, soulignés par les commissions compétentes, n’y changent rien. Chaque demande essuie un refus. Chaque droit exercé reste lettre morte.
Toute possibilité de modification des conditions de détention, de réaffectation, de liberté conditionnelle, est exclue faute de pouvoir être radié du répertoire « DPS », signalé par un énorme tampon rouge, tel un marquage encore apposé le 13 août dernier sur mon dossier, sous l’autorité du Premier ministre, tel un couperet, en réponse à ma demande de transfert. Aucune autre motivation nouvelle, précise, en droit ou en fait n’est venue justifier cette sanction.
Alors, je vous pose ces questions qui en découlent :
S’agit-il d’une vengeance d’État ?
S’agit-il d’une posture mémorielle ?
S’agit-il d’une décision politique transcendant le droit commun ?
Ou juste mais tout aussi grave, d’un choix arbitraire ?
Existerait-il un type de hiérarchie affectant l’espèce humaine, l’essence universelle de l’homme, en fonction de la « nature » * de la victime, c’est-à-dire de son statut, du corps (d’État) auquel elle appartient ? Est-ce en fonction de ces critères que sont appréciés les régimes subis en détention dans ce pays animé par l’idéal de justice et patrie des droits de l’Homme ?
Les justiciables français ne seraient donc pas égaux devant la loi, la justice, la Constitution, la Déclaration Européenne des Droits de l’Homme ?
Les justiciables n’auraient pas les mêmes droits y compris celui à un procès équitable ?
Les objectifs de réinsertion et de maintien des liens familiaux affirmés par la loi ne seraient pas valables pour tous les détenus ?
Vous avez pourtant déclaré dans votre discours d’ouverture des États généraux de la Justice : « Elle considère toutes les victimes et l’ensemble des parties avec une égale attention, considération ; elle assure réparation ; elle décide de peines pour les coupables avec la double vocation de punir et de réinsérer dans la société ; elle substitue, pour citer le philosophe Paul Ricœur, la mise à distance des protagonistes au court-circuit de la vengeance » ; affirmant encore « œuvrer pour redonner du sens à la peine ».
De quel sens parle-t-on ici ? De quelle réinsertion ? De quelle dignité humaine ? De quelle conception des droits de l’Homme ?
N’aviez-vous pas, alors que vous étiez candidat, exhorté à « sortir des symboles dont les hommes font les frais » ?
Ma vie s’est réduite à une peine à laquelle j’ai non seulement donné un sens mais une valeur pour que précisément ce ne soit pas peine perdue. Dois-je aujourd’hui me résigner à mourir en prison ? Est-ce le sens de ma peine ?
Monsieur le président de la République, le sang a coulé, le chemin du pardon est long quand la mémoire vit, mais la France a su aussi au travers de l’histoire récente, dépasser la vengeance et incarner ce qu’elle proclame inlassablement… les droits de l’Homme.
Si je ne suis pas un « prisonnier politique »,
Si je ne suis pas un prisonnier de droit commun,
Qui suis-je ou que suis-je ?
Aujourd’hui, c’est encore en tant que justiciable et dans une démarche légaliste, que je demande à être entendu, que je vous demande de m’entendre, Monsieur le président de la République.
C’est dans cet espoir que je vous écris et que je déposerai encore une fois, avec mes avocates, Maître Françoise Davideau, rejointe par Maître Corine de Bernardi, une demande de radiation de ce répertoire DPS dont l’inscription ne se justifie plus à l’aune de mon parcours de détention, dans l’espoir qu’elle sera enfin examinée sans sentence politique a priori, conformément aux normes en vigueur, sans confondre le politique et le judiciaire. Il s’agit de me permettre de me rapprocher des miens, de ma mère qui m’attend pour ne pas me quitter, de mon fils, mon petit-fils de 4 mois et plus tard renouer avec un travail de la terre.
J’ai respecté la loi de la sentence ; c’est cette même loi qui autorise le rapprochement. C’est le Droit. Je vous prie de croire, Monsieur le président de la République, en l’expression de ma très haute considération. »