Portivecchju le 18.02.2020 : Tribune libre de Ulivieru Sauli
NON Monsieur MILANINI, NOUS NE SOMMES PAS LES PARIAS D’UNE LUTTE VIRTUELLE…
C’est en lisant votre récente analyse signée de votre groupe de réflexion privé « Convergence », consécutive à l’attentat concernant la villa de Monsieur Pierre Feracci, que j’ai été interpellé par l’une de vos phrases ainsi rédigée :
« Peu importe si le père de Pierre Ferracci a fait partie de façon glorieuse de ces hommes, qui par leurs actes et leur courage ont permis de délivrer la Corse d’une occupation celle – ci véritable ».
Sans remettre aucunement en cause l’engagement des militant(e)s et sympathisant(e)s communistes – ou autre – contre l’occupant du moment, tant nazi que fasciste, je me suis attardé sur la précision valorisante faite à cette occupation que vous définissez comme véritable. Véritable par rapport à quelle autre occupation ? Sauf à prôner une lecture reconsidérée pour cette dramatique conjoncture, doit on le rappeler mondiale, je me suis poser la question de savoir quelle logique vous a poussé à l’opposer – mesquinement et sans trop véritablement la définir – à cette rébellion dont il est aisé de comprendre en lisant l’intégralité de votre sentencieuse prose, qu’elle est celle portée par la lutte nationale corse que vous pouvez certes abhorrer, mais qui vous permet aujourd’hui de figurer, au nom d’un dégagisme communal à la mode, en troisième position sur une liste porto – vecchiaise pourtant présentée comme « nationaliste ».
Cela ne vous dérange pas pour autant de l’offenser, de la moquer sournoisement selon une virtualité qui n’existe qu’à vos yeux…
Cette résistance là que vous déniez, que vous refusez, que vous repoussez, est pourtant autant historique et réelle et ne peut faire l’objet d’un insidieux révisionnisme puisque née de l’injuste conquête militaire et politique – française – à partir de 1768. N’en déplaise à votre pinaillage, cette référence précise loin de constituer un prétexte est surtout le repère commun pour de nombreuses générations qui ont vécu, subi et compris le piège de l’assimilation coloniale française. Ces générations qui, du moment où la France s’est imposée par les armes et dans le sang, jusqu’à aujourd’hui ont contribué à maintenir, à élever et à projeter ce sentiment patriotique naturel de pouvoir librement vivre et décider au pays.
Un principe intangible reconnu par le droit international qui confère à tout peuple concerné, la prérogative morale de s’autodéterminer et à laquelle le peuple corse, historiquement, ne peut échapper.
Cette appartenance au Peuple, ce refus du colonialisme français, cette volonté de vivre à partir de ce que nous sommes, « a leva di u settanta », nouvelle étape d’un fort sentiment de réappropriation populaire, l’a érigé au point de se confronter directement à la répression française, autant policier que militaire et qui a vu des centaines et des centaines de corses incarcérés, des milliers interpellés, avec aussi parfois la mort, le sacrifice et l’assassinat au rendez vous …
Cette réalité des faits, des situations vécues, des conflits engendrés, vous ne pouvez les balayer d’un revers de rédaction de convenance qui n’amène rien au sujet que vous prétendez évoquer sauf à alimenter encore des tensions et des haines qui ne mèneront qu’à l’impasse …
Je fais partie de cette génération qui s’est durement battue, j’en ai payé le prix fort, de mon plus jeune âge d’adolescent où j’ai commencé à militer dès 15 ans avec l’Unioni di i Liciani Corsi jusqu’à aujourd’hui avec le collectif des anciens détenus « Patriotti ».
Toute ma vie a été consacrée à cette Corse au point d’en subir moult fois les gardes à vue, les perquisitions, les incarcérations, l’assignation à résidence et une tentative d’assassinat… J’ai aussi été recherché pendant plus de quatre ans, et ma tête, avec d’autres patriotes, mise à prix en 1987. J’en revendique ici ma modeste part. Beaucoup d’autres que moi ont connu ce long et tortueux parcours, parfois au prix de déchirure et de perte incommensurable, à jamais meurtris dans leur chair …
Vous évoquiez feu Albert Ferracci et son combat que je salue également. L’histoire a permis qu’il soit heureusement et effectivement résistant. Je vous amène – entre autre – Ghjuvan’ Battista Acquaviva assassiné en novembre 1987 et dont l’assassin a été protégé par la « Justice » française : Un combattant d’honneur non encore réhabilité par le système français…
Non monsieur Milanini, notre résistance n’a jamais été virtuelle. Et nous ne sommes pas des parias de cette Corse que vous prétendez défendre à travers le prisme d’un développement économique qui selon vous est « la seule question prioritaire ». Vous omettez cette communauté naturelle et historique qu’est le Peuple Corse et qui est le principal acteur et destinataire de cette projection d’avenir qu’elle soit économique, sociale et culturelle. Vous négligez volontairement le poids d’une soumission plus que bi seculaire dont l’ État français porte l’écrasante responsabilité.
Je partage au moins avec vous cette maxime que « la voie c’est la paix ». Mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas dans la renonciation ni dans la normalisation. Il y a des données historiques du Problème posé qui doivent nourrir et permettre de réelles négociations entre la France et la Corse, garantissant autant le droit que l’émancipation, l’évolution et la souveraineté.
Si tout un chacun est naturellement libre de faire savoir son appréciation sur l’action – politiquement assumée par une organisation clandestine – qui a touché cette villa que vous défendez, l’emploi du qualificatif » terroriste » dont vous affublez ses auteurs ne peut qu’amener autant d’interrogation que de confusion. Outre qu’il soit très subjectif, il ne sied pas à cette réalité qui suppose que l’on sorte enfin de toutes ces conditions conflictuelles.
Pour ma part je le rejette, car votre analyse pour bien rédigée qu’elle soit sur la forme ne m’apparaît que trop imparfaite sur le fond. Je la récuse car votre formulation fait totalement l’impasse sur ce jeune homme qui, alors dressé debout à Rundinara avec bien d’autres alors, avait lui aussi tenu un discours faisant également référence à feu l’ancien résistant Albert Ferracci. Quoi qu’on ait pu penser sur son allocution, taire délibérément son geste ne participe pas à la compréhension objective de la situation.
Vous le savez fort bien, depuis ce jeune homme, militant de tous les instants a été assassiné dans les conditions que l’on sait. Encore une fois un patriote paye de sa vie le prix de son engagement. Lui aussi il rêvait de ce pays, de son avenir et d’un apaisement pour toutes et tous. Il ne les verra pas ici bas …
Je vous pose alors cette question :
Son assassinat est il un acte terroriste qui s’inscrit dans la situation actuelle de la Corse ?
Je n’attends pas particulièrement une réponse, vous comprendrez toutefois que construire la paix en Corse suppose une participation du plus grand nombre selon des objectifs historiquement amenés par un combat dont vous ne pouvez nier aujourd’hui toute l’importance qu’il requiert puisque il nourrit aussi certains de vos points de votre actuel programme électoral. Je vous demande juste le respect pour toutes celles et ceux qui anciens – ou pas – prisonniers politiques corses comme moi, ont ressenti l’opprobre d’une offense à travers certains de vos propos.
Je finirais simplement ce texte par cette citation de José Marti, fondateur du Parti Révolutionnaire Cubain : « Celui qui ne se sent pas offensé par l’offense faite à d’autres hommes, celui qui ne ressent pas sur sa joue la brûlure du soufflet appliqué sur une autre joue, quelle qu’en soit la couleur, n’est pas digne du nom d’homme. »
Salutations Patriotiques Corses.
Ulivieru Sauli ( membre du collectif Patriotti ).
Texte convergence
Janvier 2020