[Euskal Herria] Entretien : Collectif des Prisonniers politiques basques

Comment est formé le Collectif des Prisonniers Politiques Basques (CPPB) ? Quel est son travail ? Comment la nouvelle équipe d’interlocuteurs a-t-elle été choisie ?

Marixol IPARRAGIRRE : Le Collectif est formé des personnes emprisonnées pour avoir lutté pour la liberté d’Euskal Herria. Dans chaque phase de la lutte de libération, les prisonniers politiques basques ont eu une organisation spécifique dans la prison. Pendant le franquisme et les premières années de transition, il y avait dans les prisons les membres de différentes organisations politiques et armées, ils se réunissaient et organisaient leur communauté en fonction de l’organisation de chacun. Avec le temps, le Collectif est devenu l’organisation d’une majorité de personnes liées à ETA.

Ces dix dernières années, cependant, au fur et à mesure de l’accroissement de la répression, ils ont emprisonné des personnes d’organisations au travail et de domaines très différents de la société. Le Collectif a su refléter cette réalité comme on a pu le voir lors du débat de 2003. La mission principale du Collectif est de soutenir face à l’administration pénitentiaire, en garantissant nos droits, toute personne emprisonnée pour la lutte pour la liberté d’Euskal Herria et lui donner l’opportunité de poursuivre son action politique au-delà des limites imposées par la prison, en approfondissant son éducation personnelle et en l’aidant à maintenir le lien avec Euskal Herria.

Jon OLARRA : Notre engagement politique ne s’arrête pas en prison, nous continuons à lutter selon nos moyens pour notre peuple, organisés en Collectif. Dans le débat que nous avons entamé début 2011, en plus de définir la ligne politique et de rénover l’organisation, nous avons vu qu’il fallait renouveler ceux de ses membres qui porteraient la parole du Collectif pour répondre à une époque et à une situation nouvelles. Ont été choisis comme interlocuteurs du Collectif Mikel Albisu, Marixol Iparragirre et Lorentxa Guimon dans l’État français et Jon Olarra, Xabier Alegria et Anabel Egues dans l’État espagnol. Quatorze autres compagnons, sept dans chaque État, ont été choisis comme groupe annexe à ces six porte-parole. Nous avons aussi nommé un Groupe de Soutien pour garantir la nature d’acteur politique des interlocuteurs que nous sommes hors de la prison.

Les prisonniers ont-ils accueilli cette nouvelle époque avec optimisme ?

Mikel ALBISU : En prison, nous sommes habitués à filtrer les sentiments immédiats avec le tamis de la distance, qu’il s’agisse de joie ou de tristesse. Personne ne peut avoir plus envie que nous de sortir de prison. Et personne ne sait mieux que nous à quel point ce chemin est plein de difficultés. Nous recevons toujours avec joie et espérance chaque pas réalisé dans la lutte de libération. Et c’est aussi comme ça que nous recevons celui-ci. Nous nous rendons parfaitement compte que ceux qui identifient le conflit à la disparition d’ETA ont été meurtris, qu’ils sont en colère et encore plus effrayés par les pas qui sont en train d’être faits par la gauche abertzale et dans la lutte de libération. Il semble que cela les mène à torpiller le processus et cette nouvelle période de quelque façon que ce soit. Et pour tous ceux qui apparaissent comme ennemis de la résolution, il semble qu’il n’y ait pas de meilleur trophée de chasse que nous, les prisonniers politiques basques, pour atteindre cet objectif.

Anabel EGUES : En nous punissant, ils voudraient punir l’ensemble des citoyens basques et, si possible, faire dérailler le processus. La maturité dont la gauche abertzale et l’ensemble des citoyens basques ont fait preuve ces derniers mois nous conduit à contempler cette nouvelle époque avec plus d’optimisme. Avec une espérance tranquille et inébranlable. Nous recevons les défis de cette nouvelle ère avec responsabilité et honnêteté. C’est le moment de faire des pas importants pour renforcer la conscience nationale et activer des forces pour matérialiser les droits qui nous reviennent, et nous sommes disposés à mettre le capital du Collectif dans cette direction.

La décision prise par ETA le 20 octobre dernier change inévitablement le point de vue du CPPB ?

M.I. : Il n’y a pas que la décision de ETA qui change le point de vue du Collectif. La réflexion menée par toute la gauche abertzale, y compris par nous, comporte en elle-même le changement nécessaire des revendications autour des prisonniers et du point de vue du Collectif. Ce n’est pas un secret : lors des processus de dialogue ou de négociation, les gouvernements mettaient le sujet des prisonniers sur la table pour ne pas affronter les véritables racines du conflit. C’est tout le contraire qui est en train de se produire : en faisant obstacle au règlement de la question des prisonniers, ils essaient de freiner le processus.

J.O. : La décision de ETA a créé un nouveau scénario pour tout le monde. Cela a été une conséquence de plus de l’engagement dans ce pari politique, ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Savoir que le témoin de la lutte de libération est entre les mains de toute la société basque, plus qu’un changement de point de vue, requiert un niveau de responsabilité de même dimension, et nous influence donc directement. Plus que jamais, ils utilisent le Collectif comme otage politique, ils veulent se servir de nous comme monnaie d’échange pour mettre en scène une victoire.

Le Collectif a signé l’Accord de Gernika le 25 septembre dernier. Quelle valeur donnez-vous à cet Accord pour l’avenir ?

M.A. : Ce pacte nous montre où poser les premiers piliers après le dépassement du conflit. L’Accord est un point de départ, un outil de travail efficace en ce qui concerne l’accumulation de forces, il répond à un besoin et souligne la nécessité d’un accord politique qui ait la résolution du conflit pour objectif ainsi que l’engagement de la faire respecter.

A.E. : L’Accord de Gernika est pour nous le principal référent politique dans la voie de la résolution démocratique, et recherche une large adhésion sociale et politique. Il faut continuer de l’étendre et de le renforcer pour obtenir que l’État s’engage dans le parcours de la résolution démocratique, pour mettre un conflit, qui ne dure pas depuis 50 ans mais depuis au moins 500 ans, en voie de résolution. Le Collectif a sa place là-dedans de façon naturelle et c’est pour cela que nous signons nous aussi l’Accord. En ce qui concerne la situation des prisonniers, l’Accord défend nos droits sans chantage.

Quelles sont les situations les plus dures aujourd’hui pour les prisonniers ? Et quelles en sont les conséquences ?

M.I. : En tant que personnes, et en tant que prisonniers politiques, nos droits les plus essentiels sont violés. Ils reconnaissent notre nature politique, dans la mesure où ils nous punissent collectivement, et ils nient en même temps notre identité et nos besoins politiques. Les situations les plus extrêmes sont connues, surtout celles des compagnons qui souffrent de graves maladies. Il y a aussi celles de ceux qui ont fini leur peine et qui la voient rallongée injustement. Il y a la dispersion, une mesure qui nous affecte tous, d’une façon ou d’une autre. Pour nous, le plus dur est de voir souffrir notre famille et nos amis.

J.O. : Dans le cas des prisonniers politiques basques, les châtiments supplémentaires s’ajoutent d’eux-mêmes, parce que l’objectif est de nous détruire, s’ils n’y arrivent pas politiquement, du moins physiquement. Ceux qui ont dessiné et qui exécutent cette politique pénitentiaire contre les prisonniers politiques basques savent très bien ce qu’ils font. Ce sont là, par conséquent, nos graves urgences, les urgences de notre peuple !

Par où faudra-t-il commencer le changement de politique pénitentiaire ?

M.A. : La politique pénitentiaire correspond à une stratégie d’oppression. C’est aux États de désactiver cette structure oppressive. Désactiver toutes les mesures d’exception et respecter les droits qui sont les nôtres entraînera en soi un changement évident. Dans la mesure où nous avons fait dans cette phase le pari d’affronter le conflit depuis une perspective démocratique, il est indispensable que la politique pénitentiaire s’y ajuste aussi. Nous devons leur montrer que ce qui a été un instrument de guerre est désormais inacceptable. Mais ils savent que le plus petit pas qu’ils feront alimentera le processus et impulsera le nouveau scénario. C’est là que le bât blesse !

A.E : Nous venons juste de recevoir la décision du Tribunal Constitutionnel espagnol, revêtu d’un déguisement juridique, qui confirme la mesure qui maintient derrière les barreaux et sans aucune honte près de 80 compagnons séquestrés depuis 2006. Avec cette décision, L’Espagne a fait un pas de plus dans l’attaque contre les prisonniers, et cela au moment où la décision de la gauche abertzale, notre société et les voix internationales exigent d’elle qu’elle prenne une autre direction politique. C’est un pas contre le processus en cours. Une attaque frontale contre la parole et la volonté de ce peuple, dans la mesure où ils confirment la condamnation à perpétuité et renforcent la politique pénitentiaire elle-même. A travers ces paroles, nous voudrions faire parvenir notre salut le plus chaleureux et notre soutien le plus énergique à tous les militants qui subissent ce long et pénible emprisonnement.

Le sujet des prisonniers est-il prioritaire dans le processus de résolution général ?

J.O : Nos objectifs étant l’autodétermination et l’amnistie, les thèmes qu’il faut affronter et solutionner pour résoudre le conflit, qu’on le veuille ou non, sont clairement définis : les racines du conflit et les conséquences du conflit. Dans cette voie, commencer aujourd’hui même à libérer les prisonniers et à permettre le retour des exilés serait un pas indispensable. Cela supposerait un pas qualitatif dans l’ensemble de la résolution du conflit politique.

M.I. : Donner des solutions aux conséquences du conflit est quelque chose que nous situons dans la première phase du processus démocratique, étant entendu que cela impulserait le processus politique et ouvrirait de nouvelles opportunités. Par conséquent, la priorité étant de donner une solution au conflit, la résolution de la question des prisonniers devrait être vue par tous les acteurs – y compris les gouvernements de la France et de l’Espagne – comme un appui pour avancer dans cette direction. Le CPPB travaille actuellement dans cet esprit.

Comment le Collectif voit-il la revendication de l’amnistie ? Quelle est son opinion sur les déclarations des mandataires espagnols qui affirment qu’il n’y aura pas d’amnistie ou de grâce collective ?

M.A. : Les mandataires espagnols cherchent à répandre le découragement dans la société basque, pour laisser pourrir l’approche selon laquelle le déblocage de la situation des prisonniers ferait prendre au processus un chemin adéquat et irréversible vers une résolution intégrale. Ils cherchent à modérer comme ils peuvent la vitesse du processus. Ils pensent que nous, les prisonniers, sommes l’instrument approprié pour cela, comme otages de l’État. Ils sont en train de chercher un scénario dans lequel, plutôt que de passer par une porte, nous devrons passer par un entonnoir à l’extrémité toujours plus étroite, si étroite qu’il est impossible d’y passer sans s’incliner et s’agenouiller. Mais pour le moment, en disant ce qu’ils ne feront pas, et en rendant chaque jour plus imbuvable la recette de ce que nous devrions faire nous, il ne font que compliquer et fragiliser leur position.

A.E : Nous sommes partisans de l’amnistie, mais elle sera stérile, comme en 1977, s’ils n’affrontent pas les raisons du conflit politique, c’est pour cela que nous disons que le processus est intégral. L’amnistie peut être un processus dynamique jusqu’à obtenir la situation démocratique qui reconnaisse le droit de décider. L’amnistie, nous l’obtiendrons au fur et à mesure que le processus avancera, qu’ils commencent maintenant en débloquant les situations les plus graves !

Comment et quand voyez-vous la libération des prisonniers ? Il semble qu’un débat s’est ouvert sur la question de savoir si la sortie doit être individuelle ou collective. Le CPPB accepterait-il la formule employée en Irlande, c’est-à-dire une sortie collective matérialisée au cas par cas ?

M.I. : Au moment de projeter sa sortie, la personne prisonnière a une énorme responsabilité, en raison de l’espoir ou de la déception qu’engendre ce rêve qui se réalisera un jour. Les années de prison et l’âge de chacun sont aussi des facteurs à prendre en compte. En ce qui concerne le CPPB, il n’y a pas de sortie individuelle ; quand un membre du Collectif sort seul, il sort en étant aussi une composante d’un collectif. Nous avons fait face à la prison et nous avons mené notre militance en étant membres d’un collectif, et c’est aussi comme membres d’un collectif que nous franchirons la porte de la liberté.

J.O : Ils prennent des mesures collectives contre le CPPB, montrant ainsi l’hypocrisie du traitement individuel. Il faudra désactiver la situation actuelle, et la solution sera collective ou ne sera pas. En Irlande, ils sont arrivés au moment de se poser cette question dans d’autres conditions. Après l’accord politique du Vendredi Saint, donc après la levée de l’imposition politique, une commission internationale indépendante avait analysé quand et comment se déroulerait la libération du Collectif. Dans notre cas, nous devons construire notre propre modèle. En suivant le schéma de la négociation d’Anoeta, nous sommes situés dans l’espace de négociation entre l’organisation armée et les États, et un large accord amènera la libération. Nous donnons à ETA notre reconnaissance pour les pas qui peuvent être faits, dans l’espace qui lui correspond, au sujet de la situation des prisonniers et des libérations.

L’attitude du PP et du gouvernement espagnol correspondent à de vieux schémas. Mais comment les changer ?

M.A. : Il est clair qu’ils s’enferment dans le vieux schéma vainqueur/vaincu et qu’il n’y a pas la moindre trace d’une intention de s’engager dans une phase qui puisse apporter la résolution. Ils agissent actuellement avec de vieux schémas dans une époque nouvelle. Cependant, le coût politique en Euskal Herria pour les partis qui ont utilisé ou défendu la stratégie répressive est évident. Mais le résultat dépendra de ce que nous ferons. L’ennemi voudra mettre en scène une résolution médiocre, à nous de définir les véritables racines du conflit politique et de les soutenir fermement pour mener notre peuple aux portes de l’indépendance.

A.E. : Depuis la prison, nous réaffirmons que l’engagement que nous avons envers le processus de libération est total. Par les initiatives de la rue, il faut mettre en lumière l’attitude de ceux qui s’entêtent dans le refus. Au niveau international aussi, plus d’un regard suivra avec une grande attention tout ce qui se passe, et cela peut donner une grande impulsion au processus.

Comment le CPPB analyse-t-il la capacité de mobilisation et l’engagement montrés par la société basque avec la manifestation du 7 janvier et en général ?

J.O : Cela a été un cadeau inoubliable pour commencer l’année. Avec admiration et avec fierté, ça a été une démonstration énorme. Nous ne pouvons que l’applaudir. Cependant, la joie ne nous aveugle pas, parce que l’absence de certains acteurs politiques était patente à Bilbao, et depuis, la position de ceux qui ont refusé d’y participer est très affaiblie. Même si une mobilisation de cette ampleur est une grande satisfaction, il est indispensable de continuer à travailler, chacun s’organisant dans les structures de son village ou de son quartier.

M.I. : Voir des milliers et des milliers de citoyens basques dans les rues de Bilbao nous a remplis de joie. Grâce à l’engagement de ces milliers de personnes et au travail accumulé durant des années, le mouvement Herrira est né. De village en village, de quartier en quartier, en poussant tous ensemble, nous parviendrons à faire bouger ce qui pour le moment semble inamovible.

Y a-t-il un sentiment d’anxiété autour de l’espérance d’être libéré ? Que diriez-vous aux familles à ce sujet ?

M.A. : Il faut écarter le désespoir et l’espérance aveugle, les deux. Nous savons pourquoi ils nous ont arrêtés, nous savons pourquoi ils nous appliquent ce régime carcéral brutal, et nous savons aussi que notre libération est étroitement liée au dépassement de la situation d’oppression que vit Euskal Herria. C’est le peuple qui nous sortira.

A.E. : Que dire aux familles ? Que nous avançons ensemble dans ce chemin. Comment pourrions-nous faire face à cette situation sans eux ? Plus que dire, nos proches voient en nous le reflet de notre opinion sur le processus de libération. En cela, nous avons une grande responsabilité, travaillant notre militance politique et approfondissant notre éducation personnelle, même dans les conditions les plus difficiles. La liberté est notre phare, et depuis la minute où ils nous ont arrêtés, notre esprit est tourné dans cette direction. « Ilunpetan bizi denak argia amets » (« Qui vit dans les ténèbres rêve de la lumière »).

Que demandez-vous concrètement quand vous revendiquez le droit de participer au processus de résolution ?

M.I. : Nous sommes partie et conséquence du conflit politique, et pour cela nous revendiquons le droit de participer au processus en tant que Collectif. Ils nous gardent en prison pour notre engagement politique, et par conséquent nous revendiquons le droit de participer à la réalité de notre peuple en tant que Collectif. Pour cela, nous réclamons le statut politique, pour réaliser notre travail politique dans les conditions les plus adéquates possibles. Pendant notre enfermement, chacun de nous fait des efforts pour participer à la vie politique de notre peuple, mais notre revendication va plus loin, nous voulons continuer à être politiquement actifs dans la rue.

J.O. : Nous devons être ramenés en Euskal Herria maîtres de tous nos droits, nous mettons au service de notre peuple ce que nous sommes et ce que nous avons, parce que nous croyons avoir notre mot à dire. Tout le monde parle de nous, de quelle politique il faut nous appliquer, quelles urgences nous avons, dans quelle situation nous vivons… quand personne ne le sait mieux que nous ; avec ce groupe d’interlocuteurs, nous avons notre propre voix.

Dans cette nouvelle époque, des demandes de remise en liberté ont été faites pour ceux qui sont malades ou qui ont fini leur peine. Une demande de rapatriement pour tous a également été faite. Pourquoi maintenant ? Et quel type de réponse avez-vous reçu ?

M.I. : La demande a été faite officiellement par tous les membres du Collectif, parce qu’il nous a semblé que c’était le moment opportun pour que les gouvernements fassent des pas autour des situations extrêmes qui existent au sein du Collectif. De plus, ces demandes ont été une démonstration de notre volonté et de notre détermination à participer au processus de résolution. En faisant ces demandes, nous avons tendu une main aux États. Ils n’ont pas voulu la prendre. Si la réponse a été négative en Espagne, en France ils n’ont même pas répondu. C’est surprenant, parce qu’ils doivent décider ce qu’ils vont faire sur la question des prisonniers dans le chemin de la résolution du conflit, mais loin de changer de direction, ils continuent d’approfondir la voie répressive. Nous réitérons ces demandes chaque mois dans chaque prison.

A.E : Pour notre part, nous avons mené une période de lutte du 9 au 13 janvier dans toutes les prisons, d’un côté pour défendre les initiatives lancées à la fin de l’année et de l’autre pour soutenir la mobilisation populaire générale de Bilbao.

L’Assemblée Nationale française a approuvé l’option du rapprochement des prisonniers. Comment analysez-vous, en général, la position de la France sur ce terrain ?

M.A : La France a respecté à la lettre les modèles que les autorités pénitentiaires espagnoles leur ont fait parvenir : isolement, dispersion, éloignement, toujours ajustés au système carcéral français, qui est différent de l’espagnol. L’attitude de la France est plus grossière. Ça fait bien longtemps qu’elle n’est plus une simple comparse des espagnols. Elle dissimule la répression qu’elle exerce sur le territoire basque qui est sous sa domination en affirmant que le problème basque est un problème de l’État espagnol. Bien qu’il ne faille pas perdre l’espoir d’avoir des surprises, il ne semble pas qu’au-delà des déclarations la France ait l’intention de prendre en mains le problème des prisonniers.

A.E. : Des politiques de tous les partis de Lapurdi, Baxe-Nafarroa et Xiberua montrent leur préoccupation quant au thème des prisonniers et à celui de la résolution du conflit. Le travail de fourmi mené sans cesse par les groupes de soutien aux prisonniers et les succès qui ont été obtenus méritent un coup de chapeau. Et les changements de position obtenus de l’État français, bien qu’il ne s’agisse que de déclarations, laissent le gouvernement du PP de plus en plus isolé dans son attitude. En tous cas, nous ne pouvons que conclure que ce qui compte, ce sont les pas et les actions.

Croyez-vous que les États peuvent utiliser la question des prisonniers pour déformer, retarder ou même laisser pourrir le processus de résolution ?

M.A. : Des récentes réponses, il ressort de façon plutôt évidente que c’est exactement la tactique mise en marche pour le moment, du moins par l’État espagnol. Ils utilisent la question de certaines des victimes comme une arme contre la forte demande de la société basque au sujet des prisonniers, ils veulent mettre les victimes comme barricades dans le chemin de la résolution, dans l’espoir de freiner la vague en faveur des prisonniers et que le processus échouera ou sortira de ses rails. Peut-être veulent-ils ainsi gagner du temps pour répondre aux racines du conflit et chercher la solution, mettant la gauche abertzale dans une situation inconfortable. Dans tous les cas, ce n’est pas une attitude responsable.

J.O. : Comme ils ont peur de faire des pas politiques, ils cherchent à retarder les pas sur le terrain des prisonniers. Cependant, ils savent que tôt ou tard ils devront se préoccuper des bases du conflit. Ceci leur donne l’opportunité d’avancer dans leur discours idéologique, congelant le processus et le vidant de tout contenu… C’est là qu’on peut situer le Pacte d’État signé au Parlement espagnol par le PP, le PSOE et le PNV. C’est notre responsabilité à tous de ne pas les laisser se perdre la nouvelle ère historique qui s’est ouverte en Euskal Herria. Il faut se joindre à cette lutte de chaque jour, affrontant le défi tous ensemble avec force, espoir et détermination, parce que les pas d’aujourd’hui sont les nouvelles options de demain. Il est indispensable de maintenir vive une forte dynamique populaire. C’est là que se situent les mobilisations de mars, qu’il s’agisse des droits des femmes, de l’officialisation de l’euskara ou de la très réussie grève générale des travailleurs. Nous soutenons toutes les revendications et dénonciations et nous appelons à ce qu’elles soient de plus en plus puissantes et efficaces.

Avez-vous eu des contacts avec les gouvernants espagnols ou français ?

M.I. : Non. Les dernières relations directes se sont produites dans le contexte du processus de 2006. Nous profitons de cette interview pour lancer un appel aux responsables des deux gouvernements, français et espagnol, pour qu’ils se réunissent avec les porte-parole du CPPB et que nous parlions du respect de nos droits et leur matérialisation. Nous les appelons à agir avec sérieux, à entrer en contact avec nous. S’ils respectent nos droits essentiels, nous sommes prêts à parler et à faire des pas, nous avons pour cela le mandat du CPPB.

Il est évident que la politique pénitentiaire n’a pas fait disparaître le Collectif. Cependant, combien de coups reçus ? Il y a beaucoup de prisonniers, une dispersion énorme, de graves cas d’isolement, 62 prisonniers qui sont enfermés depuis plus de 20 ans… Quel effet tout ceci a-t-il ?

A.E : Rester fermes est notre première victoire. Le coût de la cohérence politique, ça a été la vie de certains de nos compagnons, et cela nous fait tous souffrir. Le poids de la vulnérabilité est grand, dans les situations d’isolement, dans les transferts, et que dire de ceux qui sont sur le point de finir leur peine, et à qui on dit tu ne sortiras pas, ou de ceux qui sont malades et ne reçoivent pas le traitement médical dont ils ont besoin… Que la famille doive subir les conséquences de la dispersion, chaque kilomètre qu’ils font, les risques de la route… tout cela entraîne beaucoup de souffrance.

M.A. : Les chiffres de cette souffrance sont de plus en plus connus grâce au travail continu des groupes de solidarité avec les prisonniers. En ce qui concerne le Collectif, l’attaque qu’il subit est énorme, et il y a 30 ans, personne n’aurait cru qu’il supporterait la terrible répression qui lui est tombée dessus. La dispersion, comme les attaques subies par les groupes de solidarité avec les prisonniers ou les avocats, ont laissé une fois de plus le Collectif en situation de vulnérabilité. Mais le CPPB est vivant, il a résisté. Le gouvernement espagnol ne veut pas que la libération des prisonniers enlève de la crédibilité au joli récit qu’ils veulent construire, et il a peur, aussi, de voir toute l’expérience politique et la capacité qui sont entre les murs des prisons travailler dans la rue pour la liberté d’Euskal Herria.

Qu’en est-il du débat entamé au sein du Collectif ? Pour quand peut-on attendre les conclusions ?

J.O. : Le Collectif est un être vivant, une partie de la gauche abertzale, une partie d’un peuple, et en conséquence, il est toujours dans un débat politique, permanent et dynamique. Avec cette interview, nous avons donné à connaître un pas important au niveau organisationnel : la désignation des représentants et des intermédiaires du Collectif. Précisément, renouveler le mode d’organisation du CPPB a été l’objectif de la première phase de débat. Dans un second temps, nous porterons nos conclusions politiques à la connaissance de la société basque durant ce printemps. Le débat est en train de prendre beaucoup d’importance, car nous avons eu la capacité de le mener malgré tous les obstacles et de sévères conditions répressives.

Pour finir, sur l’Aberri Eguna…

Nous avons accueilli avec joie les pas d’union et d’accord faits à l’occasion de l’Aberri Eguna de cette année par les forces abertzale et de gauche. Le signe d’une nouvelle époque, sans le moindre doute. Grâce à l’appel à l’union lancé par le réseau Independentistak à Iruña, la dispersion habituelle a été limitée. Les gens de gauche, les indépendantistes, les souverainistes, des citoyens basques de toutes générations ont vu leur volonté se concrétiser dans cet appel. En comparaison avec ce qui ressemblait au « Jour des Partis », c’est un pas considérable. De quoi se réjouir, mais nous ne pouvons oublier tout le chemin qui nous reste à faire. Même si ça ne va pas aussi vite que nous le souhaitons, nous allons dans la bonne direction. Éloignés, dispersés, dans certains cas isolés, nous fêterons aussi celui de cette année. Des célébrations simples, le corps prisonnier mais la tête et le cœur dans les rues d’Iruña.

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