Avec l’augmentation du prix du baril, les entreprises pétrolières et gazières prospectent à tout va. La France n’échappe pas à cette ruée vers l’or noir. Des pétroliers texans s’intéressent de près aux côtes marseillaises.
Des multinationales s’appuient sur des recherches scientifiques pour sonder les fonds au large de la Camargue. Plusieurs permis d’exploration sont en passe d’être renouvelés à proximité de l’agglomération parisienne. Collectifs citoyens et élus commencent à s’inquiéter.
Des plateformes pétrolières érigées au large de la Camargue ? Les flammes des torchères illuminant l’horizon nocturne de la cité phocéenne ? Des oléoducs traversant le Val-de-Marne…
Une crainte sans fondements ? Rien n’est moins sûr. Cela pourrait bien devenir une réalité si l’actuelle ruée pétrolière se confirme. Il y a d’abord ce projet de recherche scientifique lancé par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et le CNRS. Baptisé « Gold » (pour « Gulf of Lion’s Drilling », forage du Golfe du Lion), les chercheurs prévoient de réaliser un forage de plus de 11 km sous la surface de la mer, à environ 200 km au sud de la Camargue.
Un bateau spécialisé japonais, le Chikyu, sera chargé de prélever les sédiments qui se sont accumulés dans cette zone depuis 25 millions d’années. Objectif : « Étudier les variations du climat global et celles du niveau marin, les événements géologiques extrêmes comme le Messinien [1] », la « biosphère souterraine ». Mais aussi, identifier d’éventuelles « ressources énergétiques » et le « potentiel en hydrocarbures sous le sel ».
Car les intérêts pétroliers ne sont jamais bien loin ! Depuis la découverte au large du Brésil en 2006 d’énormes réserves de pétrole sous une épaisse couche de sel, les pétroliers spéculent sur le fait qu’il puisse en être de même en Méditerranée. Très coûteux, ce forage pourrait être pour partie financé par des compagnies pétrolières qui, sous prétexte de recherche scientifique, pourraient ainsi poursuivre leurs explorations tout azimut. Cinq compagnies pétrolières – Total (France), Petrobras (Brésil), Statoil (Norvège), Sonatrach (Algérie), Melrose (Grande-Bretagne) – ont d’ailleurs participé à un groupe de travail autour du projet. Celui-ci doit être soumis à validation auprès du programme international de forage des océans [2]. L’intérêt scientifique du projet risque ainsi d’être entaché par la proximité des pétroliers.
Les pétroliers texans au large de Marseille
D’autant qu’une autre échéance approche : le renouvellement du permis d’exploration « Rhône Maritime ». S’étendant sur 9 375 km², plus que la taille de la Corse, cette zone de prospection pétrolière est située à environ 30 km des côtes varoises et à moins de 30 km du périmètre du futur Parc national des Calanques. Et cette zone intéresse vivement les pétroliers texans ! Le permis a initialement été délivré octobre 2002 à la société TGS [3], spécialisée dans l’exploration géologique, basée à Houston, au Texas, et dont le Conseil d’administration est largement composé de personnalités issues du secteur pétrolier (Shell, Halliburton, Statoil Russia). Le permis a été prolongé en octobre 2006 au profit de la société Melrose Mediterranean Limited, filiale d’une obscure compagnie pétrolière britannique, Melrose Resources (la même qui pourrait être associée au projet Gold). Aujourd’hui, il est détenu par Noble Energy France, créée il y tout juste deux ans, dont la maison-mère est basée elle aussi à Houston. Noble Energy participe notamment à la prospection et à la production de pétrole ou de gaz en Pennsylvanie (gaz de schiste), dans le Golfe du Mexique (forage en eaux profondes) ou au large du Cameroun.
La décision de renouveler le permis Rhône Maritime doit être prise au plus tard le 11 avril 2012. Une perspective qui inquiète, après le récent accident survenu sur la plateforme Elgin de Total en Mer du Nord (lire notre article). Craignant de voir des forages comme celui du tristement célèbre Deepwater Horizon à quelques encablures des côtes, on ne compte plus les collectivités, instances publiques, associations et collectifs citoyens demandant à ce que ce permis ne soit pas renouvelé. À ce jour, et à notre connaissance, l’entreprise, qui ne dispose pas de site internet en français, ne s’est toujours pas exprimée publiquement sur le sujet.
Des chercheurs d’or noir en Île-de-France
Les côtes de la Méditerranée ne sont pas les seules concernées. L’instruction des permis en attente a repris de plus belle au sein de l’administration française. Une liste a été mise en ligne par le ministère, à « disposition du public ». Quatorze de ces permis sont « arrivés au terme de leur instruction » et sont « envisagés pour octroi », dont douze en Ile-de-France. Dans le lot, on compte les permis de Chevry et Ozoir qui couvrent une zone de 395 km² en Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Essonne, convoitée par la société Poros, domiciliée à Enghien-les-Bains. Largement explorée dans le passé, les régions autour de Paris intéressent les pétroliers pour ses possibles réserves d’huiles de schiste, que seule la fracturation hydraulique permettrait d’exploiter. Une technologie très polluante que Basta ! avait contribué à révéler fin 2010.
Face à cette nouvelle donne, les réunions publiques, actions de sensibilisation et interpellations d’élus se multiplient en Île-de-France. Ainsi qu’en Provence. Un « Trafalgar des pétroliers » y est d’ailleurs organisé ce dimanche 8 avril. A l’invitation des collectifs contre les gaz et huiles de schiste et de nombreuses associations, une double manifestation, sur terre et sur mer, se déroule à la Seyne-sur-Mer et à Brégançon, pour demander le non-renouvellement du permis Rhône Maritime. C’est plus globalement la course perpétuelle à l’exploitation de nouvelles ressources énergétiques fossiles, toujours plus loin, plus profonde et plus risquée, qui est mise à l’index. Évoquant son forage Elgin en Mer du Nord avant qu’il ne soit évacué et menace d’exploser, Total se félicitait de sa « performance inégalée à ce jour » et vantait un « projet pionnier qui a pris valeur de référence mondiale ». Peut-être est-il temps de s’interroger sur les conséquences de cette performance. Des exploits technologiques qui finissent mal, en général.
Maxime Combes
BASTAMAG
Sources : http://www.bastamag.net/article2269.htm
Notes
[1] Lorsque la Mer Méditerranée s’est asséchée il y a plus de 5 millions d’années, ndlr. [2] Integrated Ocean Drilling Program (IODP) [3] TGS-NOPEC Geophysical Company LtdVous aimez cet article ? Faîtes-en profiter vos amis !
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