(Unità Naziunale – 22 janvier 2018 – 06h00) Voici la lettre de François Tatti :
Monsieur le Premier ministre,
Je me permets de vous adresser ce courrier pour vous faire part très respectueusement de mon point de vue sur la situation de la Corse et sur les demandes d’évolution constitutionnelle à la veille de votre rencontre avec les présidents Simeoni et Talamoni.
Ma position sur ce sujet est très simple, elle consiste à demander au gouvernement l’application de la délibération votée à l’Assemblée de Corse en septembre 2013 qui sollicitait l’inscription de la Corse dans l’article 72 de la constitution.
L’objectif de cette délibération était de rendre opérationnel le statut précédent, dont chacun avait constaté qu’il était imparfait, en inscrivant la Corse dans la nomenclature constitutionnelle des collectivités métropolitaines et non celles des départements et territoires ultramarins. Il s’agissait de transférer à l’Assemblée de Corse un pouvoir d’adaptation des lois, décrets et règlements, encadré par une habilitation du parlement ou du premier ministre selon l’espèce.
Cette réforme est nécessaire pour adapter une partie de la fiscalité et des outils de développement économique à nos réalités. Quant à savoir si elle est opportune aujourd’hui, concomitamment à la mise en place de la collectivité unique qui n’était pas à l’ordre du jour en 2013, il faut s’en remettre à la capacité de l’exécutif de mener de front deux réformes aussi lourdes. La conduite des affaires au cours des prochains mois nous le dira.
Mais le meilleur cadre juridique consisterait à transférer ce même niveau de responsabilités à l’ensemble des régions françaises dans le cadre du « pacte girondin » promis par le Président de la République. Ce schéma aurait ma préférence pour deux raisons au moins :
– Il permettrait d’éviter les incompréhensions qui ont émaillé la mise en oeuvre de nos statuts « particuliers » successifs,
– En ouvrant cette possibilité à toutes les régions qui le souhaitent, il protègerait la Corse des surenchères institutionnelles.
Pour être satisfaisant, ce « pacte girondin » devrait autoriser les régions à adapter le droit dans les domaines économiques et fiscaux, mais aussi permettre de donner un statut aux langues régionales et des moyens juridiques concrets pour lutter contre la spéculation immobilière sans recourir à des mesures discriminatoires telles que le statut de résident.
Je constate que les élus nationalistes, forts de leur victoire de décembre dernier, ne font plus référence à la délibération de septembre 2013 qu’ils avaient pourtant adoptée en la qualifiant d’historique. Pour mémoire, ce vote, qui avait rassemblé 46 voix sur 51, comprenait l’intégralité des groupes nationalistes y compris Paul Félix Benedetti, président du Rinnovu, qui y siégeait à l’époque.
Ils revendiquent aujourd’hui une autonomie pleine et entière avec un transfert du pouvoir législatif de plein droit notamment dans les domaines fonciers, linguistiques et éducatifs. Or, l’Assemblée de Corse ne leur a pas donné mandat pour proposer ce type de réforme et,nonobstant la majorité absolue qu’ils ont obtenue, ils ne sont pas légitimes pour parler au nom de l’institution qui ne s’est pas prononcée dans ce sens, sauf à considérer que l’Assemblée de Corse n’est plus la matrice démocratique de la vie politique insulaire.
Monsieur le Premier ministre, vous n’êtes pas sans savoir que pendant longtemps les discussions avec Paris avaient ignoré l’Assemblée de Corse, en prenant parfois le chemin du maquis, pour donner les résultats que l’on sait. La grande avancée démocratique de la mandature de Paul Giacobbi et Dominique Bucchini aura été de dialoguer avec le gouvernement en s’appuyant sur les consensus obtenus à l’Assemblée de Corse, il serait inconcevable que votre gouvernement s’en écarte désormais.
Je constate que les élus nationalistes retombent dans les travers qu’ils ont longtemps critiqués en demandant des négociations directes et partisanes avec le gouvernement tout en prétendant vouloir associer les élus d’opposition. Ce double discours devient caricatural quand leurs demandes s’appuient sur un rapport établi par une constitutionnaliste, Mme Wanda Mastor, que l’Assemblée de Corse ne connaît pas et qui, de l’aveu même de son auteur, remet en cause le rapport Carcassonne qui a servi de base aux travaux de l’Assemblée en 2013.
Cette méthode est peut-être habile mais elle doit être rejetée. En court-circuitant l’Assemblée de Corse, les nationalistes cantonnent les groupes d’opposition à des contacts bilatéraux, presque clandestins, pour s’imposer comme l’unique voix de la Corse à Paris.
Votre gouvernement ne peut accepter cette méthode car, pour être incontestable, la victoire des nationalistes n’en demeure pas moins limitée. Leur liste n’a, en effet, obtenu que 67155 voix, soit 28,75% du corps électoral. Personne ne conteste que ces suffrages leurs donnent une majorité absolue pour gérer la Collectivité de Corse mais il en va autrement s’agissant d’une demande de modification de la loi fondamentale.
Ce n’est pas pour rien que dans tout pays démocratique la modification de la constitution obéit à des règles de majorité qualifiée, en France 3/5me des deux chambres réunies en congrès. L’objectif est bien de contraindre les différentes forces politiques à dialoguer pour obtenir un consensus afin de faire en sorte que la loi fondamentale ne soit pas celle d’un seul camp. Face à la prégnance des nationalistes, votre gouvernement doit savoir qu’il peut compter sur une majorité silencieuse de citoyens pour l’accompagner sur le chemin du développement de notre île avec des réformes garantissant le respect de notre identité et notre place au sein de la nation.
Je vous remercie pour l’attention que vous porterez à ma contribution et je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.
François Tatti
Bastia le 20 janvier 2018