(Unità Naziunale – 4 janvier 2018 – 08h00) En décembre 2015, l’Exécutif avait été élu pour deux ans.
La victoire éclatante de décembre 2017 a prolongé ce mandat jusqu’à mars 2021, soit trois ans et trois mois supplémentaires. Au total un peu plus de cinq années, soit deux élections pour une seule mandature. Voici récapitulés les enjeux politiques principaux de cette période.
La négociation avec l’Etat
La phase 1 a été la négociation de la Collectivité Unique prévue par la loi NOTRe. L’Exécutif de Gilles Simeoni a pris le relais de l’Exécutif de Paul Giacobbi de façon inattendue pour le pouvoir parisien. En nommant Jean Michel Baylet en responsabilité directe, avec le soutien d’un « poids lourd » en la personne de Ségolène Royal, Hollande et Valls ont fait preuve d’une ouverture d’esprit peu attendue au départ. Certes les « lignes rouges » (statut de résident, co-officialité) ont été rigides, la porte constitutionnelle est restée close, mais plusieurs dossiers ont été réellement soutenus : énergie, déchets, arrêtés Miot, île-montagne, etc… : l’énergie de l’Exécutif a été grande, mais elle a rencontré une réelle bienveillance pour avancer sur ces dossiers.
Depuis la victoire d’Emmanuel Macron, le ton a visiblement changé. La victoire annoncée des nationalistes a été mal vécue par le gouvernement qui, depuis six mois, a multiplié les réserves et fait passer les messages négatifs dans le vain espoir de contenir la vague électorale annoncée par le résultat exceptionnel des élections législatives de juin. Peine perdue ! Mais, à l’évidence, le parcours des trois prochaines années se fera en terrain beaucoup plus difficile, et les déclarations de Mme Gourault, propulsée « Madame Corse » par Emmanuel Macron, n’ont manifestement pas le même entrain que celles de Jean Michel Baylet. D’ailleurs les messages appuyés de satisfaction que Gilles Simeoni a reçus de plusieurs anciens ministres, dont Jean Michel Baylet et Ségolène Royal, et aussi Emma Cosse, soulignent la fracture entre le « gouvernement d’avant » et celui avec lequel il faudra négocier désormais.
L’épisode du transfert de l’Office HLM de Corse du Sud à la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien, et non à la nouvelle Collectivité Unique, est significative de la fracture survenue. Le rejet à la demande du gouvernement de la « taxe camping-cars » aussi. Mais il va être très difficile pour l’Etat de continuer de la sorte. Car, entre-temps, la liste Pè a Corsica a rassemblé 56,5% des voix en Corse. Et ça, qu’ils le veuillent ou non, le pouvoir en place est bien obligé de le prendre en compte !
Le Comité de Massif
C’est l’exemple-type d’une avancée significative réussie par l’Exécutif pendant les deux années écoulées, et elle a pesé dans le résultat électoral. Ce Comité de Massif a pu se déployer car il a reçu un important « coup de pouce » : l’accord de Paris pour lui affecter une grande partie des économies réalisées sur l’enveloppe de Continuité Territoriale depuis que la donne des transports maritimes a été révolutionnée. Ces 30 ou 35 millions d’euros ont permis de décliner un programme ambitieux, en tous les cas inédit pour un intérieur jusqu’ici cantonné au saupoudrage claniste des crédits départementaux. Un véritable espoir est né, et il est pour plusieurs années financé par cette manne affectée au programme d’actions engagé. Si bien que la mesquine décision gouvernementale de maintenir sa dotation annuelle à un niveau ridiculement bas au regard des autres Comités de Massif du continent (150.000 € quand cela se chiffre en dizaines de millions d’euros pour les autres) restera, pour l’instant, sans grande conséquence. Mais, rapidement la question devra être solutionnée pour que cette politique atteigne les résultats qu’elle s’est assignée : le développement de l’Intérieur.
Les transports maritimes
C’était le dossier chaud à peine l’élection de 2015 passée. Dans l’urgence il a fallu agir face à une situation qui menaçait de dégénérer après que le Tribunal de Commerce de Marseille ait laissé en héritage de la SNCM une situation bancale et conflictuelle. Par son influence, et par ses propositions concrètes, novatrices et rapidement définies, l’Exécutif a permis de calmer le jeu et tracé les perspectives d’une desserte maritime de la Corse renouvelée, génératrice de paix sociale et de développement économique.
L’Etat a été pris à contrepied. Devant le succès du projet corse, il oppose suspicion et mauvaise volonté. Le Parquet Financier National est venu en force pour perquisitionner les locaux de l’Office des Transports en pleine période électorale. Les suites de cette action de la justice sont encore incertaines. Mais le projet qui a été mis sur les rails a trop de partisans désormais pour être ainsi déstabilisé. Et le parcours des nationalistes au pouvoir sur ce dossier ultra-sensible a été plébiscité par les électeurs !
La maîtrise des finances publiques
Le « trou de 100 millions d’euros » laissé par la gestion de Paul Giacobbi a certes plombé les finances de la Collectivité Territoriale de Corse pendant ces deux années, mais il aussi permis à Gilles Simeoni de développer ses talents de gestionnaire et de pédagogue de la finance publique. Si les Corses ont fait aussi massivement confiance à l’Exécutif sortant, on le doit pour beaucoup à l’image de sérieux et de responsabilité que le Président, et l’Exécutif dans son ensemble, ont montré sur ce dossier. La restriction drastique des dépenses de fonctionnement, la suppression de tous les avantages que s’étaient octroyé ceux qui étaient en place avant lui, ont beaucoup pesé pour éloigner les « peurs irrationnelles » qu’une partie de l’opinion pouvait encore nourrir à notre égard. Sans cette réussite, nous n’aurions pas pu progresser de 20% entre 2015 et 2017 !
La même méthode appliquée aux trois collectivités regroupées aura sans nul doute à nouveau des résultats bénéfiques. Et les effets structurels attendus de la fusion des trois collectivités et de leurs agents, une fois la période de rodage passée, donnera une nouvelle ampleur à l’action qui pourra être déployée à partir de la Collectivité Unique de Corse. D’ici trois ans, les Corses espèrent beaucoup de cette organisation nouvelle de la vie publique, dégagée des travers du clanisme.
L’ouverture sur la Méditerranée
Voyages en Sardaigne et aux Baléares, élection de Gilles Simeoni à la Présidence de la Commission des Iles de la CRPM (Conférence Européenne des Régions Périphériques Maritimes), rencontre avec le Président Puigdemont à Barcelone, accueil au Parlement de la Flandre et rencontre avec le Ministre Président de la Région flamande, participation au Comité des Régions à Bruxelles : les signaux ont été donnés, nombreux et répétés, pour affirmer l’ambition méditerranéenne et européenne d’une Corse gouvernée par un Exécutif nationaliste. C’est une œuvre de longue haleine, et la formation de mécanismes opérants et bien rodés de coopération demande beaucoup d’investissement en temps et en relationnel. Déjà les premiers résultats sont là et un dynamisme nouveau est à l’œuvre.
La mise en œuvre du Padduc
Le vote du Padduc a été acquis in extrémis, avant que ne se termine la mandature Giacobbi. Le document élaboré par Maria Giudicelli, avec le soutien du groupe Femu a Corsica, a réussi à faire entrer dans la loi un projet de société en rupture avec « l’économie résidentielle » promue par la droite dans les mandatures précédentes.
Mais, immédiatement adopté, le Padduc a été soumis aux assauts de nombreux groupes d’intérêts, comme d’élus qui refusent par démagogie les choix d’aménagement qui ont été faits : préservation de la surface agricole stratégique, fin du mitage et de l’extension pavillonnaire de l’habitat, rejet des documents d’urbanisme trop permissifs, respect de la loi littoral.
Beaucoup de diplomatie et de persuasion pour renverser les réflexes traditionnels face aux pressions des électeurs, beaucoup de connaissance et de maîtrise de ce dossier complexe, soutien aux projets innovants comme celui qui a vu le jour à Lumiu récemment : la Présidence de l’Agence de l’Urbanisme, du Développement Durable et de l’Energie est une des plus délicates à conduire.
Faire entrer le Padduc dans les mœurs, aussi bien des élus que des bureaux d’urbanisme, est une œuvre de longue haleine. Au-delà de la vigilance légitime des associations, c’est là un dossier clef pour le mouvement nationaliste, et pour sa crédibilité pour maîtriser réellement l’avenir à long terme de la Corse.
L’énergie
Le dossier de la sortie définitive du fioul lourd par le passage à l’énergie gaz naturel, tout en développant le programme maximum d’économies d’énergie et de déploiement des énergies renouvelables, voilà la feuille de route définie à l’unanimité par l’Assemblée de Corse bien avant 2015. La gouvernance nationaliste doit impérativement en réussir le challenge. Car c’est un véritable challenge d’être le premier espace insulaire d’Europe à sortir de la dépendance du fioul lourd et des énergies fossiles les plus polluantes.
L’engagement de Ségolène Royal sur ce dossier a marqué les deux dernières années. Il ne faudra surtout pas relâcher la pression à l’heure où l’appel d’offres lancé par la Ministère arrive dans sa phase finale.
Ce dossier Cyrénée est emblématique des « grands travaux » nécessaires pour la Corse. Et le développement des ENR est un secteur essentiel pour la Corse : entreprises, recherche et développement, formation. La Programmation Pluriannuelle de l’Energie demande un pilotage rigoureux et volontariste sous la direction de la nouvelle Collectivité de Corse, tous acteurs confondus.
Les déchets
En deux ans, les nationalistes ont réussi à renverser la courbe des déchets : pour la première fois depuis des décennies, on a moins enfoui de déchets en 2016 qu’en 2015, et 2017, aux premiers chiffres connus, n’a pas dégradé cette tendance.
Reste que le niveau des quantités enfouies chaque année reste encore beaucoup trop important, alors que les exutoires sont peu nombreux et manifestement saturés. Il faudra donc aller plus loin, plus vite, et de façon plus déterminée. La victoire survenue va permettre de consolider le plan déchets adopté par la Collectivité de Corse qui n’entend pas se laisser tenter par les sirènes d’un quelconque incinérateur. La priorité est au tri, et l’efficacité opérationnelle devra être plus grande désormais. Les acteurs devront coopérer davantage, Interco comme Syvadec et Etat. Développer une nouvelle dynamique sur ce dossier sera essentiel pour l’avenir et pour l’environnement.
La question de la langue
Le blocage sur la co-officialité est l’hypothèque principale sur la période à venir, et les déclarations répétitives sur le « français langue de la République » pour rejeter la demande de co-officialité nous heurtent chaque jour davantage. A n’en pas douter, il faudra un véritable bas de fer pour avancer sur cette question hautement symbolique pour un Exécutif nationaliste.
Les échéances intermédiaires
Avant le renouvellement de mars 2021, l’Exécutif devra réussir deux échéances électorales intermédiaires : les européennes en mai 2019 et les élections municipales en mars 2020. L’une et l’autre seront importantes.
Pour desserrer les verrous mis par Paris aux revendications de la Corse, il faut que monte en France en général un courant d’opinion hostile à la posture jacobine qui, depuis la disparition de la génération politique des Rocard, Defferre ou Joxe, a envahi la sphère politique française. Déjà, le soutien affiché par certaines personnalités montre qu’une partie de l’opinion française ne suit pas aveuglément les maîtres jacobins de la pensée hexagonale. Mais l’expression d’un véritable courant d’opinion à l’occasion des élections européennes serait un apport considérable. La dynamique qui s’est affirmée en Corse réveille le régionalisme sur le continent et outre-mer. Il faut y contribuer pour ouvrir la voie aux réformes constitutionnelles qui seront indispensable pour obtenir l’autonomie de la Corse.
L’autre scrutin, sans doute le plus important, sera celui des municipales. Son bon déroulement commande de multiples enjeux depuis le développement des intercommunalités, et aussi avec des enjeux immédiats pour des organismes clefs comme le Syvadec ou le Parc Régional, ou encore la Chambre des Territoires mise en place par le nouveau statut de la Corse. La gouvernance de ces organismes dépendra des résultats obtenus lors du renouvellement des municipalités.
Pour réussir leur nouveau mandat, les nationalistes devront aussi réussir une implantation municipale digne de leur nouvelle influence au sein de la société corse.
François Alfonsi
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3 janvier 2018