(Unità Naziunale – 08h00 – 4 octobre 2017) Le « oui » l’a emporté à 90%, mais bien plus que le résultat, c’est la manière qui compte. Face à la stratégie du chaos voulue par Madrid, Barcelona a opposé la force tranquille de la démocratie. Pari gagné ! La nation catalane va pouvoir continuer sa route vers l’auto-détermination.
Les nationalistes catalans ont gagné !
Seule la mobilisation paie. Celle des centaines de milliers de catalans a fait échec aux plans répressifs les plus brutaux d’un Etat espagnol revenu aux affres de sa période franquiste. Face à des policiers de la Guardia Civil qui avaient reçu des ordres très va-t’en guerre, « l’armée démocratique » levée par la Generalitat de Catalunya pour défendre la légitimité catalane a répondu en utilisant les ressorts de la non-violence.
A la force brutale, elle a opposé l’intelligence démocratique, et elle a ainsi déplacé l’affrontement sur le terrain de l’image. Et sur ce terrain ils ont gagné haut la main !
Le referendum s’est tenu, il a été plébiscité par plus de deux millions de catalans qui se sont rendu aux urnes malgré les risques encourus –l’intervention de la police espagnole a fait 844 blessés -, et malgré les entraves multipliées pour les en dissuader, fermeture de dizaines de bureaux de vote le matin même du scrutin, procédures de vote rendues interminables par les attaques informatiques menées par les services secrets espagnols, les premiers électeurs ayant dû faire des heures de queue avant de pouvoir enfin voter, sans compter le matraquage médiatique de la presse espagnole entièrement dévouée au soutien à la politique de Mariano Rajoy.
L’ingéniosité déployée par les organisateurs du referendum force l’admiration. Madrid se faisait fort d’empêcher les urnes d’arriver jusqu’aux bureaux de vote. La police a sillonné la Catalogne des semaines durant pour les saisir, elle n’en a pas trouvé une seule tant le réseau déployé autour de l’organisation s’est montré efficace et solidaire. Idem pour les bulletins de vote présents dans tous les bureaux de vote, et, détail qui en dit long sur le degré d’organisation, les urnes ont été commandées translucides et non transparentes afin que le secret du vote soit respecté même si les enveloppes étaient venues à manquer.
Les lieux publics transformés en bureaux de vote, le plus souvent des écoles, étaient menacés de fermeture et de pose de scellés durant le week-end. Et celui qui aurait dû briser les scellés pour l’ouvrir le matin du vote était menacé de lourdes poursuites judiciaires. Ce sont alors les parents d’élèves qui ont trouvé la parade en organisant des « week-end périscolaires », programme pédagogique d’activités à l’appui, refusant ainsi de laisser fermer l’école durant le week-end. Et, le dimanche du vote, dès 5 heures du matin, plusieurs centaines de militants étaient présents devant chaque bureau de vote, formant une protection humaine avant l’ouverture du scrutin. De la sorte, l’essentiel des points de vote ont pu ouvrir, en nombre suffisant pour assurer l’accueil de tous les votants.
L’organisation avait aussi prévu qu’elle ne pourrait préserver 100% des bureaux de l’action répressive de l’Etat espagnol. Ils ont donc organisé un système de « listes informatiques » disponibles sur le « cloud », si bien qu’un bureau voisin a pu à chaque fois prendre en charge les électeurs empêchés de gagner leur bureau de vote habituel. Cela a été notamment les cas pour Carles Puigdemont, Président de la Generalitat, dont Madrid avait ciblé le bureau de vote de Girona au premier rang de son action d’intimidation, y faisant les premières victimes graves de la répression policière.
Régulièrement les systèmes informatiques de votation ont fait l’objet de cyber-attaques des services spécialisés de Madrid, attaques repoussées en ayant recours à des codes d’accès de rechange aussitôt fournis aux bureaux de vote qui pouvaient reprendre alors le cours des opérations de vote, jusqu’à ce qu’une nouvelle attaque les neutralisent à nouveau. Dans le bureau de vote, et dans la queue gigantesque qui se forme alors dehors, tout le monde prend son mal en patience. L’ambiance est bon enfant, délibérément joyeuse et calme malgré les tensions. Quand vient voter une personne âgée ou handicapée, la file s’ouvre aussitôt pour qu’elle n’ait pas à subir une attente trop pénalisante.
Solidarité européenne
Les « observateurs et visiteurs internationaux » bénéficient des applaudissements chaleureux des votants présents dans les bureaux de vote. En effet le Comité d’organisation du referendum a été dissous car il était menacé de poursuites judiciaires démentielles, et il a été remplacé par un comité formé de délégués venus de toute l’Europe et du Québec, parlementaires ou députés de parlements nationaux, qui eux sont inattaquables par les tribunaux espagnols.
La violence policière avait pour but de dissuader les électeurs de venir dans les bureaux de vote. Il est clair que l’effet produit a été tout à fait autre. La mobilisation a redoublé, et, surtout, les images de la brutalité policière ont fait le tour d’internet et soulevé une indignation généralisée, en Catalogne comme dans toute l’Europe.
Ce premier octobre, le « principe de solidarité » qui avait jusque-là lié les capitales européennes à Rajoy a été fissuré. Le premier à s’exprimer en ce sens a été le premier Ministre belge Charles Michel* qui a dénoncé « la violence [qui] ne peut en aucun cas être la réponse » et qui a appelé « au dialogue politique ». Mais il n’a pas été le seul : « je condamne absolument ce qui s’est passé aujourd’hui en Catalogne ! » a déclaré Guy Verhostadt, chef de file des députés libéraux au sein du Parlement Européen, suivi par Gianni Pittella, Président des socialistes « C’est un triste jour pour l’Espagne et pour toute l’Europe […] la solution ne peut être que politique, pas policière ».
L’Alliance Libre Européenne pour sa part a rappelé l’article 7 du Traité de l’Union Européenne qui prévoit la « suspension d’un Etat-membre qui utilise la force armée contre sa propre population », et demandé que des sanctions soient prises contre le gouvernement espagnol.
Côté français, c’est bien sûr très différent, comme Emmanuel Macron qui déclarait, seul chef d’Etat à s’exprimer avant le referendum, qu’il « avait confiance dans la détermination de Mariano Rajoy pour défendre les intérêts de toute l’Espagne ». Quand Jeremy Corbyn, le chef de file de gauche anglaise, déclare qu’il trouve la « violence [de l’Etat espagnol] choquante », demandant à la première ministre Teresa May « d’en appeler directement à Rajoy pour mettre fin à la violence en Catalogne et trouver une solution politique » ; idem en Allemagne où Martin Schultz, le leader du SPD, juge « l’escalade en Espagne inquiétante » et demande de « faire baisser les tensions et chercher le dialogue » ; en France, c’est la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui donne le ton pour la gauche : [ce qui s’est passé] est très dangereux pour l’Espagne et pour la démocratie. Je ne comprends pas que la Catalogne veuille se détacher de l’Espagne ; je ne comprends pas ce désir d’indépendance qui est pour moi quelque chose de très dangereux pour l’Europe et pour la démocratie ». Même son de cloches à droite, avec Christian Jacob président du groupe parlementaire de droite : « Les images sont plutôt inquiétantes, mais il y a un Etat de droit, ce referendum est illégal, donc on ne peut pas le laisser se dérouler normalement ».
Bref la « grande Espagne » est un modèle démocratique pour la « France éternelle » !
Ce n’est qu’un début !
Le déroulement pacifique du referendum, la bonne participation (42,5%, soit 2,2 millions d’électeurs) dans les conditions difficiles créées par le harcèlement continu de l’Etat contre l’organisation du scrutin, sont autant de points positifs pour les dirigeants de la Catalogne. Le discrédit sur Mariano Rajoy et sa majorité du fait de la répression policière vient aussi renforcer le bilan politique de ce referendum 100 pour cent gagnant pour la cause catalane.
A Madrid, le front Partido Popular/Parti socialiste s’est largement fissuré, tandis que Podemos sera amené à se désolidariser encore davantage de Madrid s’il veut préserver son implantation catalane auprès de Ada Colau, la mairesse de Barcelone, qui a participé au vote.
En Catalogne, une bonne partie des électeurs révulsés par l’attitude de Madrid feront basculer leur vote jusqu’ici PS ou Podemos vers le mouvement nationaliste. Une des options sur la table est d’ailleurs l’organisation d’élections autonomiques anticipées, avec l’espoir d’en faire un « referendum de substitution » car un tel scrutin, totalement légal, pourrait désormais donner une majorité absolue, en sièges comme en voix, au mouvement nationaliste catalan. Et cette nouvelle majorité aurait toute légitimité pour relancer un processus que les brutalités policières ont voulu altérer.
Au moment de déposer son bulletin dans l’urne, chaque votant ou presque organisait avec ses proches une prise de photo. Nul doute que ces photos-souvenirs trôneront longtemps dans les salons de toutes les familles catalanes, en signe d’un événement qui aura marqué de façon décisive l’Histoire de leur Pays et dont ils pourront dire aux générations futures : « j’y étais ! ».
François ALFONSI
3 octobre 2017