(Corse Matin du 18 juillet 2017 – 17h00) Un nom qui résonne déjà au sein du milieu nationaliste. Une cavale de plusieurs années.
Et un ADN compromettant ? Franck Paoli est recherché depuis 2014 dans le cadre d’un dossier antiterroriste lié à l’attentat à la roquette perpétré contre la caserne de gendarmerie Battesti à Ajaccio.
Des faits commis en décembre 2013 et qui n’avaient fait aucun blessé. Quelques jours plus tard, les enquêteurs découvraient une cache d’armes à proximité de la caserne. Cette dernière était aussitôt associée à l’attentat. À l’intérieur, l’ADN de Franck Paoli aurait été découvert. Entre autres.
Dans cette affaire, plusieurs personnes ont déjà été interpellées et mises en examen. Deux hommes sont toujours incarcérés alors que le dossier n’est pas clôturé.
Au lendemain des élections présidentielle et législatives mais surtout à la veille des territoriales, nous avons pu nous entretenir avec Franck Paoli qui, finalement, souhaiterait avoir pour seule étiquette, celle d’un homme politiquement engagé.
Vous êtes recherché dans le cadre de l’attentat à la roquette perpétré contre la caserne de gendarmerie Battesti à Ajaccio, des faits commis en 2013. Que savez-vous de ce dossier ?
À vrai dire, peu m’importe ce que comporte ce dossier. Je sais que je ne suis concerné ni de près ni de loin par un quelconque tir de roquette. Mais, à l’évidence, on me reproche surtout la présence de mon ADN dans une cache d’armes.
Sur ce point, j’apporterai les explications nécessaires à ma défense. Ce n’est qu’après la découverte de cet ADN, ainsi que celui de personnes m’étant proches, qui sont malheureusement toujours incarcérées, qu’on a voulu à tout prix relier cette cache à ce tir.
our ma part, j’ai appris son existence dans la presse. Je me demande sur quoi se base l’enquête pour avancer de telles accusations. Est-ce mon militantisme, dans le cadre d’un mouvement public, qui justifie cette construction policière ? Du reste, au regard de ma situation actuelle, c’est tout ce que je sais du dossier. Ce qui a été dit dans la presse…
Justement, au sujet de votre situation, pourquoi avoir choisi la cavale ?
Plusieurs considérations m’ont amené à prendre cette décision. La première étant que j’ai compris dès le début, avec la visite du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, qu’on souhaitait donner une dimension particulière à cette affaire.
On a bien vu, d’ailleurs, la volonté de mettre en oeuvre une justice spectacle avec la présence de caméras de télévision française au moment de l’interpellation de certaines personnes sur leur lieu de travail. J’ai pensé que toute cette agitation allait pousser les services de police à faire de nous les boucs émissaires de cette affaire.
Ensuite, j’ai estimé que je risquais d’être inaudible dans ma défense au vu des certitudes policières, erronées, pesant sur ma personne.
Je m’explique : avant même ces faits, on a découvert à plusieurs reprises des dispositifs de surveillance vidéo aux alentours de mon domicile sans que l’on sache pourquoi de tels moyens étaient employés à mon encontre.
Par la suite, d’autres faits sont venus me conforter dans cette décision, avec par exemple l’incarcération de certains de mes proches et de nouveau la découverte de dispositifs de surveillance type micros et balises. Ce sont ces raisons qui m’ont contraint à prendre du recul.
Envisagez-vous une reddition ? Si oui, à quelles conditions ?
Disons que la situation n’a jamais évolué favorablement pour me faire envisager une telle solution. Maintenant, il est clair que le moment venu je m’expliquerai devant le juge. Après, pour moi, la question des prisonniers et recherchés politiques doit être traitée de manière globale dans le cadre d’un processus de dialogue entre les élus de la Corse, le gouvernement français et les représentants des prisonniers et recherchés politiques, en sachant que la finalité de ce processus serait l’amnistie.
Votre oncle, Pierre Paoli, est soupçonné d’être, ou d’avoir été, à la tête du FLNC. Cette thèse judiciaire vous implique-t-elle de fait ?
Moi, je parlerais plutôt de balivernes judiciaires. Il faut savoir que ces pseudos soupçons reposent simplement sur des « on-dit » de politologues de comptoir.
Mon oncle, qui est un militant nationaliste de la première heure, était surtout le secrétaire national de Corsica Libera lors de son incarcération et que c’est cet engagement qu’on a voulu lui faire payer. On a voulu également déstabiliser le mouvement public à l’approche des territoriales de 2015. On a vite vu que la base de l’accusation contre lui était ridicule et non fondée… S’agissant de nos liens, on a voulu en créer d’autres que ceux qui sont familiaux entre nous. Avec pour seul but d’essayer de relier des affaires pour ainsi pouvoir nous incriminer et donner de la consistance à des dossiers vides. Pour sortir de cette vision, et c’est très simple, il suffit de nous voir pour ce que nous sommes : des militants de Corsica Libera. Et pas pour autre chose.
Vous parliez d’amnistie, est-elle envisageable selon vous ?
Une simple loi votée au parlement suffirait à mettre en oeuvre une amnistie. En Corse, tous les voyants sont au vert pour aller dans ce sens, notamment grâce à l’action de l’Associu Sulidarità qui a fait un travail considérable sur le sujet. Maintenant, pour appliquer une telle mesure, il faudra faire preuve de volonté et de courage politique. Je ne pense pas que, sur la question nationale corse jusqu’à présent, ces qualités aient caractérisé le gouvernement français, mis à part quelques exceptions… Aujourd’hui, des mesures transitoires rapides peuvent être mises en oeuvre : rapprochement des prisonniers, libérations conditionnelles, assouplissement des conditions de détention… Tout cela irait dans le sens de la volonté du peuple corse, des délibérations de l’Assemblée de Corse et de nombreuses municipalités.
En marge de ces analyses sur des sujets précis, plus généralement, quel regarde posez-vous sur la politique pénale française en matière de terrorisme ? Est-elle adaptée à la Corse ?
Mon regard est négatif car cette politique, associée à l’Etat d’urgence, semble plus dangereuse en matière de libertés individuelles que véritablement efficace. En ce qui concerne la Corse, elle est totalement inadaptée. Il faut faire la distinction entre le terrorisme islamiste, qui sévit aujourd’hui dans le monde, et l’action de patriotes corses depuis 40 ans. Aucune comparaison n’est possible entre ceux qui ont choisi la voie de l’action clandestine pour la défense de leur peuple et de ses interets et la barbarie islamiste, à laquelle la France est confrontée. Pourtant, les patriotes corses sont poursuivis par les mêmes services de police, jugés dans les mêmes tribunaux et, depuis l’année dernière, inscrits sur les mêmes fichiers (Fijait Ndrl) que les islamistes radicaux. En persistant à appliquer ces mesures aux résistants corses et en les qualifiant de terroristes. La france procède à un grave mensonge sémantique et à une erreur politique.
Notez-vous des avancées depuis ces dernières années ?
Non, bien au contraire. La situation s’est dégradée. Avec la décision de juin 2014 du FLNC de sortir de la clandestinité et l’accession aux responsabilités du mouvement national, la situation était optimale pour que l’Etat français s’engage sur le voie du dialogue. Au lieu de cela, celui-ci a intensifié sa politique répressive. Des dizaines de militants ont continué à être interpellés et, pour certains, incarcérés. Les conditions de détention des prisonniers politiques se sont durcies. Trois jeunes nationalistes ont été condamnés à des peines démesurées pour un simple portail. Ce qui a crée un sentiment d’incompréhension et de révolte au sein de la jeunesse qui a été particulièrement touchée avec plus de 140 interpellations en un an.
Elles ont été suivies là aussi d’incarcérations. Dernièrement, on a encore pu voir ce que valait la parole du gouvernement concernant les rapprochements des prisonniers et aujourd’hui, plusieurs mois après une annonce qui allait dans ce sens, on voit bien que leur situation n’a guère évolué: les personnes concernées sont toujours incarcérées loin des leurs.
D’autres patriotes sont volontairement maintenus sous le statut de DPS (Détenu Particulièrement Surveillé) pour les empêcher de revenir sur leur terre. Tous ces agissements, orchestrés par l’Etat et son appareil politico-judiciaire, se situent dans une logique de vengeance politique avec pour seul objectif de relancer son cycle d’affrontements et ainsi déstabiliser la démarche d’apaisement initiée par le mouvement national.
Comment voyez vous l’avenir politique de la Corse ?
En décembre 2015, une étape importante de quarante années de lutte et de sacrifices a été franchie et un processus irréversible vers l’émancipation du peuple Corse a été enclenché. Depuis, la majorité territoriale a démontré ses capacités à gérer les affaires de la Corse et est restée fidèle aux engagements pris devant les Corses et ce, malgré les blocages. Les Corses devront continuer à se mobiliser massivement avec nos élus pour engager un véritable rapport de force avec l’Etat. Cela devrai aussi se concrétiser par l’unité du mouvement national en vue de la prochaine échéance territoriale. Et également pour notre capacité à parer les éventuelles manœuvres de ceux qui seraient tentés de déstabiliser cette démarche. Il serait dommageable que l’action de ces personnes trouvent un écho favorable en Corse…
Qu’attendez vous des bouleversements politiques nationaux ayant accouché d’un gouvernement français et d’une assemblée nationale largement renouvelés ?
Quand on regarde le résultat des législatives, toute la corse a adressé le même message au nouveau gouvernement. Pour ma part, j’attends de celui-ci qu’il s’engage sur la voie de la résolution et du règlement politique de la question corse en prenant en compte l’inspiration et la volonté des Corses d’aller vers leur émancipation dans une Corse apaisée.
Corse Matin du 18 juillet 2017
Jeanne Françoise Colonna