Nous sommes face à un défi philosophique du nationalisme qui nous pousse à voir plus loin qu’à l’échelle d’une ou deux mandatures.
En l’état, si nous ne sommes pas à l’origine d’un nouveau contrat social en Corse, avec le peuple corse, 40 années de majorité nationaliste ne changeront rien.
J’ai lu, il y a peu, avec grande attention, la contribution de Michel Onfray pour les élections présidentielles de 2017, « décolonisons les provinces », reprenant la célèbre expression de Rocard de 1966. En lisant ce texte, fort intéressant car il a le mérite de remettre l’idée girondine au centre d’un débat d’idées, j’ai pensé qu’il fallait se réunir à nouveau autour d’un texte, simple, fort frappant, d’une dizaine de pages en exprimant une volonté d’avenir politique.
Dans la situation actuelle, nous sommes condamnés à gagner des élections. J’utilise à bon escient le terme « condamner » car nous sommes dans une impasse : la rapidité à laquelle s’enchaînent les séquences électorales nous oblige à sautiller d’échéances en échéances et maintenant que nous sommes au pouvoir, entre le temps passé à faire campagne et le temps passé à exercer un pouvoir dont la charge administrative et technique découragerait même Pénélope (celle d’Ulysse évidemment, pas celle de Fillon).
Au milieu de ces charges électorales et politiques, il n’y a plus de place pour penser réellement la société de demain.
Et cette société, elle est fracturée. Le vote FN en est une manifestation, mais l’incapacité du nationalisme que nous incarnons à capter le mécontentement qui s’éparpille progressivement dans d’autres espaces en est une plus inquiétante selon moi.
Dans une île qui se fissure, seules des initiatives fortes peuvent entrainer un sursaut. Tous les bilans de mandature soigneusement élaborés par des équipes de communication compétentes n’y pourront rien, toutes les conférences de presse seront vaines.
Il est important de reproduire une doctrine nationaliste car celle-ci étant figée, dans le meilleur des cas, abandonnée dans le pire, n’est plus notre boussole.
Il faut oser mettre des mots sur ce que nous savons tous et ne disons pas : le nationalisme ne poursuit plus en 2017 le même objectif qu’à sa création.
Si les prémices du début du 20ème siècle et le sursaut des années 1970 visaient clairement à une rupture nette avec la France, les choses ne peuvent plus se poser en ces termes.
Je crois qu’il faut désormais acter une seule et unique priorité : la réconciliation. Quand je parle de réconciliation, je parle de celle des corses entre eux, de celle des corses avec leur histoire et de celle des corses avec leur environnement.
Dans cet espace politique, il y a une place pour l’affirmation des fondamentaux du peuple corse, pour l’existence d’une paix avec l’État et pour la continuité d’une dimension européenne.
Tout cela existe depuis Paoli. Au final, à l’image des républicains qui ont présenté la Corse comme ce seul territoire français, nous avons nous aussi prélevé dans l’histoire ce qui nous arrange et oublié ce qui nous dérangeait.
Cela veut donc dire que nous gagnerons à voir les choses avec nuance et que nous serions inspirés de chercher à réconcilier les Corses.
Pour cela, il faut proposer à l’ensemble du peuple Corse, un pacte politique et social. Un texte dans lequel deux points devraient sortir nécessairement :
- L’affirmation de nos fondamentaux : l’existence d’un peuple corse, et l’expression de droits sur sa terre.
- La proposition d’une réconciliation globale.
Il faudra bien faire la distinction entre les deux et le drame du nationalisme actuellement, c’est que nous n’arrivons pas, nous militants, à comprendre qu’il y a un écart nécessaire entre l’idéal que nous avons (l’affirmation de nos fondamentaux) et le nécessaire avènement d’une réconciliation qui ne doit pas être ce que nous voulons mais au contraire contenir l’essence de ce qui rassemble les Corses.
Il faut donc avoir le courage de dire que nos fondamentaux ne sont pas négociables. Ils sont ce que nous sommes, notre ADN et notre ligne éternelle de conduite.
Mais à côté de ces fondamentaux, il faut trouver un corpus de principes, de valeurs, que toutes les composantes défendront et qui ne seront pas ce que nous voulons dans un monde parfait mais ce que nous savons possible dans le monde qui est le nôtre.
Cette réconciliation doit passer par trois points majeurs qui doivent être la seule priorité politique d’un nationalisme en 2017 :
- La reconnaissance d’un peuple corse : avec tout ce que cela implique en terme de droits, de citoyenneté et d’exercice de compétences directement sur l’Île,
- La construction d’une paix et d’un lien fort avec la France : car la rupture n’est souhaitée par personne, il faut être honnête. La démographie, le confort dans lequel sont plongées nos sociétés, le développement des nouvelles technologies ont rapproché les peuples. Le séparatisme strict ne devient qu’une posture et non une aspiration légitime.
- L’intégration pleine dans notre environnement européen et méditerranéen : ce qui signifie renforcer notre lien avec des terres comme l’Italie, totalement abandonnées alors qu’elles ont été l’alpha et l’oméga de notre histoire durant des siècles.
Il faut rassembler les Corses et trouver enfin le moyen d’incarner une aspiration positive. Sortir de la logique strictement négative des choses qui consistent à voir en ce monde ce qu’il porte de mauvais sans voir ce qu’il porte de bon.
Il existe des points communs entre les Corses ; l’attachement à notre peuple, la reconnaissance d’un lien avec la métropole et l’intégration claire dans un bassin de vie plus large. Il faut que ces éléments soient le socle de la société de demain. Il existe des moyens juridiques pour y arriver : de la modeste autonomie à l’ambitieux « État associé ».
Mais il faut trouver un moyen pour que la révolution que nous allons provoquer n’entraine pas l’exclusion d’une partie du peuple corse. Il ne faut donc pas imposer mais rappeler nos idéaux et trouver à l’échelle de l’Île et dans toute sa complexité, les principes qui fondent notre force commune.
Je pense que ce pacte là est le seul à pouvoir réconcilier Paoli et Scamaroni. Il faut aborder un projet positif. Cesser d’être dans le ressenti et le sentiment de vengeance permanent, cesser de vouloir faire payer aujourd’hui au monde le sort de l’histoire. Ce qui s’est passé à Ponte Novu est trop complexe pour que nous cherchions à jouer la seconde mi-temps d’une partie dont nous ne savons rien.
Il faut incarner cet avenir positif, dire que désormais les choses doivent se faire avec l’esprit d’initiative qui ne peut s’incarner dans notre victimisation permanente.
Victimisation qui n’est, je le pense, qu’une manière détournée de ne pas assumer ce que nous sommes car nous savons bien que ce qu’est la Corse de 2017 est bien le fait de choix qu’on fait les Corses.
Il est peut-être temps d’incarner une voie qui réconcilie la complexité des tendances qui nous traversent. Plutôt que de chercher à faire gagner une partie de la Corse, tâchons de les réconcilier.