Un an et demi après la victoire historique des indépendantistes aux élections territoriales, la frustration monte et les attentats se multiplient La victoire historique des indépendantistes corses aux élections territoriales de décembre 2015 et l’annonce, en juin 2014, du dépôt des armes du FLNC, la principale branche armée clandestine de cette mouvance, devaient sceller la fin d’une violence nationaliste qui a ponctué quarante ans d’histoire insulaire. Le nombre d’attentats et d’homicides revendiqués par le FLNC a, depuis, chuté. Pourtant, en ce premier semestre 2017, si la justice et la police confirment cette évolution statistique, elles évoquent également de sérieuses craintes de voir resurgir une nouvelle forme de radicalisation armée s’affranchissant de la tutelle des groupes nationalistes aujourd’hui au pouvoir. D’une expression désordonnée de violences, les autorités voient aujourd’hui la possible cristallisation de cette radicalisation. yout d’abord, les attentats se multiplient. Le 2 mai, une agence bancaire du Crédit agricole de Biguglia (Haute-Corse) est visée par une attaque à la bonbonne de gaz. Dans la nuit du 21 avril, les locaux du Régime social des indépendants (RSI), à Bastia, sont touchés par une explosion. Le week-end précédent, l’agence d’une autre banque, la Société générale, est détruite, à Corte. Dans la nuit du 4 avril, encore, une agence EDF, toujours à Bastia, est soufflée. Pour les trois derniers attentats, les auteurs ont utilisé un extincteur. Aucun des actes n’a été revendiqué. Procès de trois étudiants nationalistes Le 17 février, à Ajaccio, de jeunes nationalistes avaient attaqué, de jour, le commissariat central à coups de cocktails Molotov et de pierres avant de réitérer un mois plus tard en pleine nuit. Un modus operandi utilisé contre quatre agences bancaires en décembre 2016. Ces attentats font écho, selon le ministère de l’intérieur, aux violences et dégradations perpétrées, les 5 et 15 octobre 2016, à Bastia, lors de manifestations organisées par les syndicats étudiants, dont Ghjuventù indipendentista (GI, « Jeunesse indépendantiste »), en réponse au procès, début octobre, et aux condamnations de trois étudiants nationalistes, Nicolas Battini, Stéphane Tomasini, tous deux membres de GI, et Joseph-Marie Verdi. La justice leur reprochait l’attaque, en avril 2012, à la voiture bélier de la sous-préfecture de Corte. Nicolas Battini, âgé de 23 ans, a revendiqué son acte et inscrit sa démarche dans un processus politique de refondation du nationalisme corse. Il est, depuis, devenu une icône auprès de nombreux jeunes après avoir renoué, lors de son procès, avec une sémantique et une geste nationalistes de la première heure dans les années 1970. Selon la justice insulaire – qui a résumé ce nouveau phénomène en annexe de sa note de politique générale (dont Le Monde a eu connaissance) transmise, fin avril, au ministère à Paris –, des représentants du club de supporteurs du Sporting Club de Bastia, Bastia 1905, sont impliqués dans ce processus. Cette organisation est aussi à l’origine des graves incidents qui ont émaillé, le 16 avril, le match contre le club de Lyon. Des revendications qui n’ont pas été satisfaites « Le stade de Furiani est devenu le lieu de radicalisation et d’entraînement à la guérilla d’une partie de la jeunesse corse, soutenue par des adultes soucieux d’entretenir une flamme nationaliste radicale ainsi que de cultiver l’idée d’une Corse victime de l’Etat colonial », écrit la justice. Deux membres de Bastia 1905 ont été interpellés pour fabrication d’explosifs. Ces faits semblent, en effet, s’inscrire dans un contexte politique précis. Après un an et demi de pouvoir nationaliste, la frustration monte, notamment parmi les étudiants nationalistes. Les revendications les plus symboliques n’ont pas été satisfaites. « Il y a, écrit la justice, toujours une pression nationaliste sur les thématiques du rapprochement des prisonniers dits “politiques”, du racisme anti-corse et de la co-officialité de langue corse ou la question du statut de résident (…) entretenue à travers l’action de diverses associations (Bastia 1905, Sulidarità, Ghjuventù indipendentista, Giustizia e verità per i nostri…). » A ce jour, seul Jean-Christophe Angelini, leader des nationalistes modérés de Femu a Corsica, et président de l’Agence de développement économique de la Corse, a réagi en dénonçant « la violence et le trouble ». Mais les ralliements d’étudiants vers des organisations nationalistes dissidentes, telles que le Rinnovu naziunali, inquiètent les formations dominantes comme Corsica libera. Gilles Simeoni, président nationaliste du conseil exécutif de Corse, a lui-même été pris à partie au cri de « ta cravate de Français » par des étudiants lors des manifestations d’octobre 2016. Surenchère « Je sens monter au sein de la jeunesse de l’exaspération, concède M. Angelini, ainsi que chez des chefs d’entreprise, c’est aussi le fruit d’un abandon du terrain militant et un manque de dialogue avec les étudiants alors que nous avons démontré depuis 2015 notre capacité de gestion, et à chaque fois que le mouvement public recule, les clandestins avancent. » Mais il ne partage pas l’idée d’une action clandestine organisée. « Cette violence est le résultat d’intérêts divergents et a peut-être à voir avec les enjeux électoraux liés à la prochaine collectivité unique qui verra le jour dans six mois », précise-t-il, évoquant l’élection territoriale de décembre. La période est propice aux dérapages. La surenchère entre groupes nationalistes soucieux de conserver leur place au sein d’une collectivité unique, qui signifie la réduction drastique du nombre d’élus, peut pousser à l’instrumentalisation de jeunes radicaux. Quant à ces derniers, qui découvrent l’action clandestine, ils ne sont pas à l’abri d’un accident mortel qui ferait de la victime un martyr et pourrait embraser l’île. En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/05/06/en-corse-la-crainte-d-un-retour-de-la-violence-nationaliste_5123346_3224.html#hLoxEy1GsBqWJgcW.99