Depuis le résultat du premier tour des élections présidentielles, chacun y va de son analyse pour comprendre pourquoi la vague bleue marine est venue s’échouer sur notre île, et plus particulièrement quelle est la responsabilité des nationalistes dans ce vote.
Pourquoi les nationalistes ne sont pas responsables du vote FN en Corse ?
On a invoqué le silence des principaux responsables politiques autonomistes et indépendantistes dans ce scrutin national, on a suggéré de la part des électeurs un mauvais amalgame entre idées nationalistes corses et revendications identitaires nationales françaises, et on a évoqué quelques arguments sociologiques et économiques pour expliquer ce geste.
Et si les raisons étaient à chercher ailleurs ?
La géographie est de ce point de vue très éclairante. L’historien et démographe Hervé Le Bras, propose des éléments d’analyse qui me semblent pouvoir expliquer en partie le choix du vote Marine Le Pen par les électeurs corses lors de ce premier tour.
« Si on regarde les cartes on s’aperçoit qu’historiquement c’est dans les régions où les gens avaient l’habitude de vivre groupés et dans des villages que le vote Le Pen apparait en premier, comme dans l’est du pays ou sur le pourtour méditerranéen.»
Selon Hervé Le bras deux choses essentielles expliquent pourquoi ces régions se sont mises à voter Le Pen massivement : la motorisation et l’apparition des grandes surfaces. Il ajoute que « ces deux phénomènes ont complétement modifié les modes de vie. Là où la sociabilité était forte, c’est-à-dire dans nos villages par exemple, voilà qu’elle s’effrite, que les habitants ne se croisent plus tous les jours chez leurs petits commerçants, la distance domicile travail s’accroit etc… Le voisin devient alors un étranger. »
Encore une fois les cartes montrent que ce ne sont pas dans les régions transfrontalières (où il y avait un fort apport d’étrangers il y a un siècle) qu’on votait FN. Même chose pour l’insécurité. Pour Hervé Le Bars, « dans les régions de population groupée, où la criminalité est évidemment plus forte qu’ailleurs et les immigrés plus nombreux, on n’a pas plus voté à l’extrême droite que dans le reste du pays. » Et quand on regarde où résident les habitants qui ont le plus peur de la délinquance c’est dans le monde rural !
Enfin, il existe un « malaise de sociabilité » qui vient donner des éléments d’explication sur ce vote. Car ce ne sont pas les gens les plus malheureux qui votent FN mais les personnes qui se sentent les plus bloquées dans leur vie, leur statut, leurs projets. Et ces électeurs font un pari comme à la loterie. Le Pen est le gros lot et ils misent sur elle car ils ont le sentiment de n’avoir plus rien à perdre.
En Corse, le passage d’un mode de vie communautaire agro-pastoral à un exode massif vers le littoral n’a pas permis de conserver une sociabilité forte garante de valeurs d’intégration, de respect et d’accueil.
Villes, villages, péri-urbain, rural profond, le vote Le Pen a sévi partout car le désespoir est partout. Les perspectives de développement sur cette île sont ternies par une économie ayant du mal à se structurer, une administration de moins en moins encline à recruter massivement, des secteurs comme le tourisme ou le BTP qui apparaissent tantôt comme un eldorado, tantôt comme le lieu de toutes les précarités, une agriculture délaissée etc….
Et les nationalistes seraient comptables de ce bilan alors qu’ils ne sont aux responsabilités que depuis seize mois ? Leurs tentatives de redresser la situation, d’infléchir les tendances économiques, de changer de modèle de développement ne sont pas vaines mais peut-être ne verront nous leurs effets que dans quelques années.
A cet égard les communiqués de presse des principaux leaders des mouvements autonomistes et indépendantistes réaffirmant que les fondamentaux des idées nationalistes corses sont à l’opposé des idées du Front National sont indispensables mais ils ne suffisent pas répondre aux attentes des corses qui sont immenses.
Le vote nationaliste corse a incarné un espoir, là où le vote FN est le reflet d’un ras le bol sociétal. Mais ce qui est certain c’est que les nationalistes doivent trouver un moyen de réconcilier les corses avec leur destin. De les aider à trouver les conditions d’épanouissement personnel, culturel, économique et social afin de créer les conditions du faire société et de renouer avec nos valeurs d’ouverture et d’humanisme.