Dimanche, nous voterons Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Mais le moindre inconvénient de la victoire souhaitable, et probable, d’Emmanuel Macron effacera difficilement la crise que traverse le débat politique en France, et, au delà, en Europe et dans l’ensemble du monde occidental.
Les « démocraties occidentales » sont en panne. Certes la victoire d’un Trump aux USA n’a pas déstabilisé du jour au lendemain la société américaine dont les contre-pouvoirs sont nombreux et solides : presse, justice, contrôle parlementaire, fédéralisme des 51 Etats. Mais l’incertitude est installée, et nul ne peut garantir que la suite des événements restera maîtrisée.
Beaucoup moins maîtrisable serait l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France. Ici, les contre-pouvoirs sont faibles : presse peu indépendante (à l’exception notable du Canard Enchaîné), justice abondamment critiquée quand elle gêne le pouvoir politique en place ou à venir, Parlement élu pour « donner une majorité » et non pour exercer un rôle de contre-pouvoir législatif, et jacobinisme parfait qui garantit que les décisions du sommet seront mises en œuvre scrupuleusement à tous les étages de la société.
N’étant pas tentés par l’expérience, et sachant qu’ils finiraient rapidement en première ligne des opposants à un Etat répressif, les nationalistes corses ont pour la plupart décidé d’appeler au vote Macron/anti Le Pen. Car plus que la personne de son leader, ce qui est à craindre c’est la mécanique politique que la victoire du FN aurait pu « libérer », ici (retour des barbouzes de Francia par exemple), ou ailleurs (manifestations violemment réprimées et risques systématique de victimes face à des forces de l’ordre qui vont se lâcher comme jamais).
Car le vote Le Pen est d’ores et déjà majoritaire parmi certains corps de fonctionnaires, police ou armée par exemple. Les scores relevés dans certaines communes, à proximité de la base de Solenzara notamment, sont éloquents. Si leur championne était élue, cela ne ferait que les « désinhiber » davantage, et il faudrait craindre plus que jamais les tirs de flashball et autres jets de grenades offensives meurtrières.
Au delà de la montée en puissance d’un vote d’extrême droite, que restera-t-il de cette présidentielles ?
Le candidat socialiste, Benoît Hamon, a eu dans son programme une intuition intéressante, celle d’engager la société dans une réforme structurelle, qui ait la même force que les congés payés en 1936 ou la sécurité sociale en 1945, apte à générer des modifications économiques en profondeur comme l’ont fait les deux précédents de 1936 et 1945. Ainsi a-t-il formulé son projet de « revenu universel » pour combattre la pauvreté croissante provoquée par « l’ubérisation » des temps modernes. L’idée est à creuser, très certainement, mais l’air du temps convenait mieux aux harangues de Jean Luc Mélanchon qu’aux explications de Benoît Hamon. Et l’avènement d’un tel projet aurait demandé d’autres préparatifs que la guerilla parlementaire systématique des « frondeurs » à laquelle il a été associé ces dernières années.
A droite c’est la rhétorique anti-européenne qui a marqué le pas. Les accents thatchériens de François Fillon ont été rejetés par ses propres électeurs qui sont allés pour beaucoup gonfler les rangs d’Emmanuel Macron au premier tour. Même Marine Le Pen a retiré entre les deux tours son projet de sortie de l’euro, sentant bien que c’était un saut dans l’inconnu inenvisageable y compris pour beaucoup des électeurs qui la soutiennent. Or si la France doit rester dans l’euro, il est impossible qu’elle sorte de l’Europe !
Le traitement de ces deux choix fondamentaux pour l’avenir montre bien que le débat politique traverse une crise profonde. Les idées dignes d’intérêt sont étouffées par le vacarme populiste, et les enjeux principaux sont tranchés par défaut.
Qui redonnera ses « lettres de noblesse » à la vie politique, en France comme en Europe ?