L’activation de l’article 50 qui lancera le processus du Brexit a été retardé de quelques jours mais les 27 autres États membres préparent déjà l’après Brexit avec, en perspective, la formalisation d’une Europe à plusieurs vitesses.
La coopération renforcée, outil d’intégration
Certains sont pour, d’autres sont contre mais, en réalité, elle existe déjà! Qu’on l’aime ou pas, l’Europe à plusieurs vitesses est déjà une réalité! L’euro en est le plus bel exemple avec 19 pays qui partagent une même monnaie et les 9 autres, bientôt 8, qui, tout en ayant vocation à rejoindre la zone euro, ont encore leur propre monnaie. Mais ce n’est pas tout! Le Traité de Lisbonne, article 20 du Traité sur l’Union Européenne, a créé les ”coopérations renforcées”, c’est-à-dire la possibilité d’avancer avec un groupe réduit d’Etats. En effet, si après avoir essayé de mener une politique à 28, l’Union bloque sur une absence de volonté politique et/ou des vétos et/ou une absence de majorité suffisante, un ensemble d’Etats, représentant au moins 1/4 des pays de l’Union (donc au moins 7 sur 28), peut adopter des textes qui ne s’appliqueront que dans ces pays.
Le plus bel exemple est le Brevet européen (”Brevet Unitaire”) qui a nécessité plus de 30 ans de négociation pour aboutir… à une coopération renforcée entre 26 États sur 28. En déposant son Brevet à l’Office Européen des Brevets (OEB), une personne pourra voir son Brevet reconnu dans l’ensemble des pays membres de la coopération renforcée. Seules, l’Espagne et l’Italie ont refusé d’y prendre part, principalement parce que les 3 langues reconnues sont l’anglais, le français et l’allemand avec une prédominance de la première. Du coup, le Brevet Unique Européen n’existe que dans 26 des 28 États membres.
Mais la première coopération renforcée qui a été adoptée en 2010 et concernait l’harmonisation de la procédure en cas de divorce notamment pour les couples de nationalité différente. En matière de justice, l’unanimité est la règle à Bruxelles et la Suède s’opposait à toute harmonisation. La coopération renforcée a permis à 14 États d’avancer et de créer de nouveaux droits pour les citoyens européens de ces pays.
Enfin, la Taxe sur les Transactions Financières pourrait voir le jour : 11 États membres (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie) ont décidé d’avancer car il était impossible de la mettre en place à 28, le Royaume-Uni, mais pas seulement lui, y opposant son véto. Cependant, la proposition de la Commission européenne date de 2011 et depuis, les États font traîner les choses, au point qu’on est en droit de craindre qu’elle ne voie jamais le jour.
Formaliser la réalité
De plus, avant le traité de Lisbonne, il y avait Schengen qui n’est pas une coopération renforcée, qui ne s’applique pas à tous les États (le Royaume-Uni, l’Irlande, Chypre, la Bulgarie, la Coratie, la Roumanie n’en font pas partie) et dont certains pays non membres de l’Union Européenne en sont membres, comme la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.
Autrement dit, l’Europe à plusieurs vitesses existe depuis longtemps : ne pas le reconnaître serait un déni. Mais la multiplication des cercles, tous différents les uns des autres, complexifie la compréhension de la politique européenne qui est déjà assez opaque comme cela et qui est déjà trop éloignée des citoyens. C’est pourquoi, quitte à avoir une Europe à plusieurs vitesses, autant l’assumer, la formaliser et la démocratiser. Le Traité de Lisbonne est clair, ce sont les institutions européennes (Commission, Parlement, Conseil) qui sont les institutions des coopérations renforcées. Il n’y a donc pas besoin de créer de nouveaux Parlements européens, d’autres institutions ou de nouveaux machins qui compliqueraient encore plus la chose.
La zone euro, le cœur de l’Europe
En réalité, le véritable problème, le véritable blocage vient de la zone euro. Il n’existe pas d’exemple qui ait fonctionné dans la durée d’une zone monétaire qui ne soit pas soutenue par une politique budgétaire. Or, aujourd’hui, nous avons une politique monétaire ”fédérale” menée par la Banque Centrale Européenne (BCE), un budget européen ridiculement petit (1% du PIB européen quand aux USA on frise les 25%, en France les 17% et en Allemagne les 13%) et 19 politiques budgétaires différentes.
À long terme, ce n’est pas tenable mais, du fait de la crise en zone euro, ce sont même à moyen terme, voire à court terme des risques importants. Il faut donc, de tout urgence, acter l’Europe à plusieurs vitesses et renforcer l’intégration européenne au sein de la zone euro avec un vrai budget de la zone euro, un pouvoir fiscal propre et des impôts votés par le Parlement européen et le Conseil.
Libre aux citoyens de choisir leurs impôts (et leurs niveaux) lors des élections européennes, pour ma part, une taxation sur les bénéfices des entreprises européennes, qui ferait suite à l’harmonisation de leur fiscalité en cours de discussion, serait la meilleure option pour financer le budget de la zone euro car ce sont les entreprises et notamment les plus grandes d’entre elles, qui bénéficent le plus du marché unique et de la monnaie unique.
Mais, afin de lutter contre la spéculation financière, cette taxation devrait être couplée à une taxe sur les transactions financières qui permettrait de combattre la financiarisation de l’économie, de faire payer les banques et de trouver les marges budgétaires pour investir dans l’économie réelle. Car l’économie et les banques doivent être au service des peuples et non l’inverse.
L’Europe a plusieurs vitesses, c’est un fait et la zone euro en est le cœur. Démocratisons-la au plus vite en remettant le Parlement européen au cœur de toutes les décisions. Le temps presse!
Vice Président de l’Alliance Libre Européenne Jeune