((c) Settimana édition du 23 septembre 2016) Des milliers de personnes sont attendues demain dans les rues d’Ajaccio. Mot d’ordre : l’amnistie des prisonniers »politiques » corses. Une revendication désormais partagée au-delà des cénacles natios.
Le 4 juillet dernier, à la tribune de l’Assemblée de Corse, le premier ministre Manuel Valls claque la porte au nez de l’une des revendications les plus emblématiques du nationalisme corse. L’amnistie des prisonniers »politiques », slogan à peu près aussi ancien que les premiers cliquetis de serrure de prison se refermant sur la silhouette de militants nationalistes insulaires. « Ni prisonniers politiques, ni amnistie, ni oubli d’un crime grave » tonne alors le chef du gouvernement devant une majorité territoriale silencieuse – et plutôt tendue – au cours d’un discours prononcé à l’assemblée de Corse. Alors, pourquoi manifester à Ajaccio, demain, alors que plus deux cents organisations collectivités, associations, groupements divers ont d’ores et déjà annoncé leur intention de se joindre à ce qui constituera sans doute l’une des plus importants défilés que la Corse ait connu ces dernières années ?
»Parce qu’il s’agit d’une revendication éminemment politique qui dépasse aujourd’hui le seul cadre nationaliste » explique Jean-Marie Poli, organisateur du rassemblement.
Des maires de droite au jeunes socialistes… marseillais
Personnalités du monde de la culture, militants des principaux mouvements identitaires corses mais aussi associations ont rejoint le mouvement, comme plusieurs communes dirigées par des maires de droite, à l’image de José Galetti, premier magistrat (DVD) de Lucciana, ou Jean-Baptiste Luccioni (DVG), maire de Pietrosella.
»J’ai officiellement appelé à manifester parce que la commune a été adopté une délibération en faveur de l’amnistie dès le printemps 2015, détaille l’élu. Après le dépôt des armes du FLNC, c’est évidemment une étape indispensable pour un règlement définitif de la question de la violence politique en Corse. » Pour son collègue du nord José Galetti, »les Corses ont pu être échaudés par des précédents assez malheureux où une fois les types sortis de prison, les attentats recommençaient aussitôt. Reste que si le gouvernement paraît assez indécis, cette fois la donne a radicalement changé de manière durable avec l’annonce du dépôt des armes par le FLNC il y a plus de deux ans. C’est un geste. Il en appelle d’autres de la part du gouvernement. Les nationalistes ont fait le choix de parler politique et uniquement politique, de faire taire les armes et de défendre leurs revendications sur le terrain démocratique. Il faut apporter à cette question une réponse politique : c’est simple. »
Plus surprenant, la Fédération marseillaise du Mouvement des jeunes socialistes a également appelé à manifester et sera représentée par une délégation, samedi, à Ajaccio. »Même si des courants et des sensibilités diverses existent chez nous, explique Fabio Chikhoune, membre du bureau national du MJS, nous sommes très attachés de manière générale à la démarche de Michel Rocard. Or, ses prises de position sur la Corse ont toujours été très claires. D’ailleurs, comme certaines autres, notre fédération a toujours été très attentive à la démarche des particularismes locaux. » Qu’en pense Manuel Vall ? »Ce ne sera pas le seul point de divergence que nous ayons avec le premier ministre », plaisante Fabio Chikhoune.
Davantage qu’une simple question de principe, ce sont aussi les cas particuliers qui, de l’aveu même de certains élus peu sensibles aux thèses nationalistes, ont emporté la décision de se joindre au mouvement.
Dans une liste aux allures d’inventaire à la Prévert, l’associu Sulidarità a recensé les cas des nationalistes corses incarcérés, en regard de laquelle sont précisées les conditions dans lesquelles ces derniers pourraient recouvrer la liberté. Dans bien des cas, elle révèle des situations édifiantes.
Libérations conditionnelles refusées, rapprochement repoussé
Ainsi de Pierre Paoli, écroué le 19 février 2015, et dont le dossier clôturé est en attente d’un procès devant la cour d’assises spécialement composée de Paris : après une demande de remise en liberté formulée par le juge et refusée par le parquet, une nouvelle demande est en attente alors que le prisonnier peut bénéficier d’une mesure de rapprochement ; de Pierre Alessandri, membre du commando Erignac définitivement condamné à une peine de perpétuité le 11 juillet 2003, dont plusieurs demandes de rapprochement à Borgo ou Casabianda ont été systématiquement refusées alors qu’il est définitivement condamné ; de Nicolas Battini, qui a fêté ses 21 ans en prison le 12 septembre dernier et aurait pu bénéficier d’une mesure de rapprochement, son dossier ayant été cloturé – il sera jugé à Paris à compter du 28 septembre prochain ; de Jean-Pascal Cesari, âgé de 60 ans, assigné à résidence à Paris pour raisons médicales et dont une demande d’assignation à résidence en Corse en toujours en attente ; de Stéphane Tomasini, 20 ans, assigné à résidence à Paris en attendant son procès le 28 septembre, après deux refus d’assignation à résidence à Aix pour y poursuivre ses études ; de Cyril Garcia – Tomasi, 27 ans, interpellé le 23 novembre et incarcéré à Osny (Val-de-Marne), susceptible d’être rapproché à Borgo son dossier étant clôturé comme celui de Xavier Ceccaldi, 29 ans, et Laurent Susini, 26 ans, tous deux emprisonnés à Fleury-Mérogis (Essonne) ; ainsi de Cédric Courbey, 40 ans, à propos duquel Sulidarità note que »deux demandes de liberté provisoire ont été refusées au motif que l’instruction est toujours en cours alors qu’il n’a plus vu le juge depuis avril 2015 »
L’un des cas les plus emblématiques reste celui de Charles Santoni. Aujourd’hui âgé de 51 ans, le militant nationaliste a passé près de la moitié de sa vie en prison. Interpellé en avril 1996 et condamné à 28 ans de réclusion criminelle le 25 novembre 1999 pour l’homicide du capitaine de police René Canto, officier du Raid, à Ajaccio, sa libération conditionnelle est possible depuis le mois de novembre 2013 mais il demeure incarcéré. Seule consolation : il effectue sa peine au centre de détention de Borgo comme de ses codétenus nationalistes.
Malgré tout, certains veulent voir dans certaines libérations le signe de »quelque chose se décoince peut-être petit à petit, sans faire de bruit ». Après la remise en liberté de Manu Peru la semaine passée, celle de Jean-Marie Pittiloni, 27 ans, en prison depuis son arrestation en avril 2008 dans le cadre du dossier »FLNC-Canal Gamins » a été annoncé deux jours avant la manifestation d’Ajaccio. Elle devrait intervenir le 29 septembre prochain.