L’anti-racisme constitue depuis des décennies une dimension essentielle de notre action politique. Les dirigeants nationalistes ont toujours scrupuleusement veillé à contrer toute tentation de dérive raciste au sein du mouvement national. Grâce à notre vigilance, ce dernier est demeuré largement indemne à cet égard. Nous ne nous en croyons que plus libres de dire sans ambages ce que nous pensons du développement des vêtements islamiques dans l’espace public. En effet, examiner le problème sous l’angle du seul burkini serait quelque peu dérisoire.
À ce sujet, il est de bon ton d’exprimer sans nuance son esprit de tolérance : « On s’habille comme on veut », « Moi, ça ne me dérange pas », etc. Attitude commode, décontractée, sympa… Certes, mais est-elle conséquente eu égard aux enjeux ? On l’a dit avant moi mais il n’est pas inutile de le répéter : ce code vestimentaire n’a rien d’une simple mode. Chaque code de cette nature peut faire l’objet d’une analyse sémiotique. Ici, le message délivré relève de deux niveaux : sa signification intrinsèque et sa dimension publique et ostentatoire. A ces deux titres, il est loin d’être anodin.
La signification intrinsèque : une certaine idée de la femme
Fatiha Daoudi, personnalité du mouvement pour les droit des femmes au Maroc, rappelait récemment que « le burkini n’est pas un vêtement comme un autre » mais un « carcan sophistiqué », faisant partie d’une véritable « stratégie ». Cette intellectuelle avance en outre qu’en la circonstance, la permissivité européenne « creuse la tombe des droits acquis par les femmes vivant dans les pays musulmans » (Huffpost, 18 août 2016). Comment ne pas comprendre cela ? Quelqu’un faisait récemment remarquer qu’en Corse même les femmes avaient, jusqu’à une époque relativement récente, l’habitude de se couvrir les cheveux. Certes, et nous avons le souvenir de nos propres grand-mères portant ce foulard, tout particulièrement les veuves (mandile ou mezaru). Sauf qu’il s’agissait là des derniers vestiges d’une tradition dont, au demeurant, la disparition n’est peut-être pas à regretter : elle ne constituait pas vraiment pour ces femmes un signe de pleine adhésion à la vie qui continuait, par-delà le deuil. Toujours est-il que l’on observait dans ce cas le reliquat d’un conformisme quelque peu archaïque. Une coutume déjà en voie de disparition. Les vêtements islamiques, au contraire, constituent une pratique en pleine expansion.
Une dimension publique, dynamique et ostentatoire
Cette pratique est souvent celle de femmes qui, il y a quelques années seulement, étaient elles-mêmes habillées à l’européenne. Il s’agit donc d’une démarche nouvelle qui peut aller jusqu’à prendre la forme d’une novation radicale au contrat social, lorsque le visage se trouve entièrement dissimulé. Levinas nous a enseigné des choses importantes sur ce que le visage de l’autre nous signifie. À condition bien sûr qu’il apparaisse. On décèle là clairement des enjeux fondamentaux pour notre société que l’on ne saurait réduire à une simple affaire de mode. Or, ce type nouveau de comportements se développe – souvent, du reste, par la pression exercée sur les femmes musulmanes – au moment précis où d’autres démarches, violentes celles-là, sont menées. Ne pas établir le lien entre les deux problèmes relève d’une étrange cécité politique ou d’une lâcheté insigne. Car ce sont les mêmes mouvements fondamentalistes qui sont à l’œuvre dans les deux cas. Différencier le salafisme quiétiste du salafisme révolutionnaire peut sembler logique. Mais la simple lecture de la littérature scientifique sur le sujet nous apprend que la porosité est grande entre les deux courants. Par ailleurs, le salafisme, fût-il quiétiste, s’oppose frontalement à nos valeurs, notamment en raison de la conception de la femme qu’il véhicule. A cet égard, l’introduction en mai 2014 du sexisme dans le droit pénal belge pourrait – si elle était étendue à l’ensemble de l’Europe – constituer une voie juridique pour mettre hors la loi le salafisme, le wahhabisme, et les autres courants de cette nature. En tout état de cause, ce qui pose réellement problème dans le développement actuel des vêtements islamiques est ce caractère de nouveauté, de dynamisme ostentatoire et de concomitance avec une offensive globale menée au nom de l’islamisme radical.
Le respect, mot clé pour une cohabitation apaisée entre les religions
La tolérance religieuse a été instituée en Corse au cœur du XVIIIe siècle, avant de l’être ailleurs en Europe : la république de Paoli donna le droit de vote aux Juifs et entretenait de bonnes relations avec le Bey de Tunis. Plus près de nous dans le temps, au moment de l’occupation, les Juifs furent protégés par les Corses, ce qui conduisit il y a quelques années Serge Klarsfeld à qualifier notre pays d’« île des justes ». Depuis les années 1960, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs maghrébins vivent avec nous en bonne intelligence. Beaucoup d’entre eux pratiquent l’islam, sans que cela n’ait jamais engendré le moindre problème. Les plats de substitution dans les cantines scolaires ont toujours été servis sans donner lieu à discussion, encore moins à polémique. La laïcité corse a toujours été une laïcité tranquille. Ces dernières années, on a vu apparaître de nouvelles pratiques relevant d’un intégrisme conquérant, lequel ne peut avoir droit de cité chez nous. C’est dans le contexte actuel, en Corse et à l’extérieur de l’île, que doit être replacé le débat sur les nouveaux codes vestimentaires islamiques. Ces derniers ne révèlent nullement une inclination à vivre en bonne harmonie mais relèvent au contraire d’une affirmation agressive, tout autant politique que religieuse, et d’une volonté de « marquer le territoire ». À Ajaccio notamment, les syndicats d’enseignants nous ont – dans leur diversité – alertés sur les incidents qui se multiplient ces dernières années du fait d’une interprétation de plus en plus rigoriste de l’islam, sous l’influence de courants fondamentalistes en développement. La façon de se vêtir est souvent au centre de pressions exercées à l’encontre de mères de famille. Cette évolution est inacceptable. Il est désormais impossible de considérer le phénomène comme anecdotique, alors qu’il participe d’une démarche de déstabilisation de notre société.
Dans les temps troublés que nous connaissons, il convient de revenir à quelques idées essentielles. Celles que nous avons proposé de réaffirmer, le Président du Conseil exécutif et moi-même, à travers une résolution solennelle qui fut votée il y a quelques semaines à la quasi-unanimité de l’Assemblée de Corse : refus de toute forme de racisme d’un côté et rejet du salafisme de l’autre. Avec, au centre de la politique que nous conduisons, la notion fondamentale de respect. Un respect mutuel bien sûr. Un respect équilibré et bien ordonné, commençant par les valeurs du peuple d’accueil, le peuple corse.
(Publié dans « Settimana » du 16 septembre 2016)