Le Ministre de la Justice demande le maintien de l’inscription de Petru Alessandri et Alain Ferrandi au registre des DPS (<–lien)
« les prisonniers politiques font partie intégrante du problème corse. Ils feront donc aussi partie intégrante de sa solution. »
Gilles Simeoni, Président du Conseil Exécutif de Corse
Le Ministre de la Justice vient de demander le maintien de l’inscription de P. Alessandri et A. Ferrandi (<–lien) au registre des DPS (détenus particulièrement signalés), alors même que la commission locale DPS s’était prononcée pour leur radiation de ce fichier. Cet avis vise en fait exclusivement à interdire à Pierre Alessandri et Alain Ferrandi (<–lien) d’être rapprochés pour finir de purger leur peine en Corse. Ceci alors même qu’ils sont incarcérés depuis 17 ans, loin de leur famille et de leur terre, et qu’aucun élément sérieux ne peut justifier qu’ils continuent d’être considérés comme des DPS. Cet avis du Ministre de la Justice est en fait une décision purement politique, qui fait écho à la déclaration du Premier Ministre Manuel Valls le 4 juillet 2016 à l’occasion de sa venue en Corse. Celui-ci avait en effet affirmé, concernant le rapprochement des détenus corses : « la règle (du rapprochement) a son exception : les trois membres du commando qui ont assassiné Claude Erignac.(…) C’est aussi une question de principe s’agissant d’un des crimes les plus graves commis contre la République ». En développant cet argumentaire, le Premier Ministre a choisi délibérément de s’écarter de la règle de droit, qui ne prévoit en aucun cas une exception au rapprochement qui pourrait se fonder sur la gravité des faits à l’origine de la condamnation. En fait, aucun argument juridique sérieux ne peut aujourd’hui être valablement opposé à ces demandes de rapprochement : les véritables raisons à l’origine du refus de celui-ci sont indéfendables juridiquement et inavouables politiquement. Ces raisons sont au nombres de deux.
La première procède du fait que l’assassinat du Préfet Erignac, le 6 février 1998, est un acte d’une telle gravité politique et symbolique que l’Etat a dès le lendemain des faits , assumé de se situer, concernant le traitement policier, judiciaire et politique des dits faits et de leur suite, non dans une logique de justice, mais dans une logique de vengeance. Force est de constater que 18 ans après le drame, c’est cette même logique de vengeance qui prime lorsqu’il s’agit de statuer sur le sort des personnes condamnées au titre de leur participation à l’assassinat de Claude Erignac : sinon, pourquoi vouloir ajouter à la privation de liberté, la peine supplémentaire de l’exil carcéral, et son corollaire, la privation des visites et liens familiaux ?
La seconde raison relève du refus obstiné du Gouvernement actuel et de l’État de se situer dans une logique de résolution politique d’un conflit politique, lié à l’aspiration du peuple corse à la reconnaissance de son existence et de ses droits. D’où la contestation de la notion de « prisonniers politiques » et son corollaire, le refus, y compris contre l’évidence, de reconnaître la motivation politique des détenus corses actuellement incarcérés pour des faits en relation avec la situation politique de l’île.
Des femmes et des hommes que les dirigeants actuels de la Corse, mais aussi les gouvernements français de droite et de gauche depuis 1981, ou encore la Ligue des droits de l’homme, la plupart des élus de tous bords, les journalistes, les historiens, les citoyens désignent, nomment et reconnaissent depuis des décennies pour ce qu’ils sont : des prisonniers politiques. Cette attitude de déni du Premier Ministre et de son Gouvernement est sans rapport, tout le monde l’a compris, avec la réalité de la situation : qui peut sérieusement contester qu’il existe, au sens précédemment précisé, des prisonniers politiques corses ? Sans doute est-elle même sans rapport avec ce que Manuel Valls, qui est un homme politique avisé, pense réellement.
Ce positionnement répond avant tout à des considérations d’opportunité, liées à l’image de fermeté que le Premier Ministre et son Gouvernement considèrent de leur intérêt politique et électoral de promouvoir auprès de l’opinion publique française. Pour la gestion de la question des prisonniers politiques, la feuille de route du Gouvernement est donc claire, autant qu’inconséquente politiquement et indéfendable juridiquement : refus de principe de tout rapprochement pour les trois condamnés principaux de l’affaire Erignac et refus de reconnaître la notion de « prisonniers politiques ». Mais pour atteindre ce double objectif, l’avis du Ministre de la Justice se voit contraint d’évoquer des arguments qui tournent le dos au droit et à la réalité. Ainsi, l’avis mentionne d’abord un risque d’évasion, risque que rien ne vient corroborer et qui est au contraire démenti par l’absence du moindre incident imputable à P. Alessandri ou A. Ferrandi en plus de dix sept années de détention. Après ce premier argument qui ne résiste pas à l’examen, deux autres sont invoqués par le Ministre de la Justice.
D’abord le « climat actuel » en Corse. Quel est donc ce climat ? Celui créé par la victoire des nationalistes lors des dernières élections territoriales ? Celui dessiné par le choix annoncé des organisations clandestines de s’engager dans un processus irréversible de fin de la violence clandestine et de disparition de la clandestinité ? Celui qui traduit une immense aspiration à la paix et à la démocratie, aspiration partagée et soutenue par tous les Corses, par delà leurs opinions politiques ? Les arguments tirés du « climat actuel » de la Corse militent au contraire de façon évidente en faveur de gestes forts d’apaisement, y compris par la simple application loyale du droit au rapprochement. Sauf, bien sûr, à mépriser le suffrage universel ou à vouloir le retour à des logiques de conflit alors même que la société corse toute entière aspire à la paix et travaille à la rendre irréversible. Reste enfin deux arguments, tout aussi infondés et scandaleux que les précédents.
D’abord, l’avis signé par le Ministre de la Justice retient comme un élément de nature à prolonger le classement en DPS « la médiatisation de la situation » de P. Alessandri et d’A. Ferrandi (<–lien). L’argument relatif à la « médiatisation » du cas de détenus pour justifier leur classement comme DPS relève purement et simplement de la volonté d’entraver la parole publique, y compris celle des élus actuellement en charge de la conduite des affaires de la Corse, qui ont été mandatés par le suffrage universel pour inclure dans le champ du dialogue avec l’Etat la question des prisonniers politiques. N’y a-t-il donc eu personne, au sein du Gouvernement français, pour s’opposer à une telle rédaction qui éloigne la France du cercle des démocraties, ces états où l’exercice du droit à la libre parole ne peut jamais être retenu comme un élément à charge contre celui qui le met en oeuvre ?
Le dernier considérant de l’avis du Ministre de la justice pointe ce qui semble être une dernière circonstance aggravante à la « médiatisation »‘: dans le cadre de celle-ci, la présentation de P. Alessandri et d’A. Ferrandi comme « des détenus politiques » démontrerait « un engagement actuel contre l’Etat français ». Cette présentation est particulièrement fallacieuse. La Corse connaît un climat de paix civile et d’apaisement sans précédent dans la période contemporaine. Toutes les conditions sont réunies pour sortir par le haut d’un conflit qui dure depuis des décennies. Et personne ne peut douter de notre volonté d’y parvenir, par le chemin de la démocratie et du dialogue. Reste une évidence : les prisonniers politiques font partie intégrante du problème corse. Ils feront donc aussi partie intégrante de sa solution.
GILLES SIMEONI
MARDI 9 AOÛT 2016