Meeting de clôture des Ghjurnate Internaziunale U 7 d’agostu di u 2016. Discorsu di u Presidente Jean-Guy TALAMONI
Remerciements aux délégations étrangères
Remerciements aux représentants des formations corses
Remerciements aux militants de Corsica Libera qui ont travaillé à l’organisation des Ghjurnate
Salut aux prisonniers et aux recherchés
Hommage à Jean-Claude Caffarel et Claude Cesari
Cari amichi,
L’an dernier, pour la première fois depuis des décennies de lutte – et malgré le scepticisme de certains de nos amis – je vous parlais de victoire.
Après 40 longues années de combats et de sacrifices, l’heure était à l’espoir. Quelques semaines plus tard, le 17 décembre, cet espoir se concrétisait au-delà de nos espérances: l’installation du premier gouvernement national depuis celui de Paoli ouvrait une voie nouvelle pour la Corse.
Pour autant, vous l’avez compris, nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin. Nous n’y sommes pas arrivés car il n’y a pas de bout du chemin, il n’y a pas davantage de but ultime qu’il n’existe de fin de l’histoire. L’indépendance politique elle-même, qui ne manquera pas de survenir – j’en suis profondément convaincu – ne marquera qu’une étape nouvelle dans le parcours de notre peuple. Une étape certes essentielle mais non un aboutissement. N’a-t-on pas déjà vu des peuples accéder à l’indépendance institutionnelle sans parvenir à rompre tous les liens de dépendance avec l’ex puissance dominante? La démarche de construction nationale ne s’arrête jamais et le but est à chaque pas du chemin. Sur ce chemin, nous avons bien avancé et il nous appartient désormais dans vivre pleinement la nation tout en poursuivant inlassablement son développement. Depuis l’an dernier, un nouvel à étage de la maison nationale a été bâti: celui de l’accession au pouvoir de notre mouvement. L’étage que nous sommes en train de construire à présent nécessitera plusieurs années d’effort. Il s’agira de composer une nouvelle réalité politique, économique, sociale et sociétale. Instaurer de nouvelles pratiques politiques… Mieux: une nouvelle façon de concevoir la politique. L’équité dans l’utilisation des fonds publics, dans la distribution des emplois publics. La justice sociale, qui est l’un des fondements de notre combat. La marche vers la prospérité économique, afin bien sûr que les Corses puissent tous vivre, et bien vivre, de leur travail. Mais aussi parce que, en tant qu’indépendantistes, nous savons que les Corses ne choisiront demain la voie de la souveraineté pleine et entière que s’ils sont assurés d’une certaine stabilité sur le plan matériel. Les exemples de nos amis Catalans et Écossais montrent combien les considérations économiques pèsent dans le choix du vote indépendantiste. Si les Corses nous renouvellent leur confiance entretemps, alors ce nouvel étage de la maison nationale sera construit dans quelques années: une Corse prospère, culturellement et économiquement développée, sûre d’elle-même, ayant arraché à Paris de nouveaux espaces de souveraineté. L’étage suivant sera celui de l’indépendance nationale, et il y en aura d’autres car je le répète, l’histoire ne s’arrête pas. Parmi les perspectives les plus essentielles, la participation de la Corse à une nouvelle aventure européenne fera partie des enjeux des prochaines décennies.
Pour un nouveau projet européen
La crise que connait aujourd’hui l’Union Européenne doit conduire les politiciens et les technocrates qui ont jusqu’ici dirigé les opérations à remettre radicalement en question leur politique. Tout d’abord, il convient de rejeter clairement les démarches populistes visant à abandonner toute idée de construction européenne au bénéfice d’un retour en force des Etats-nations. Compte tenu des enjeux géopolitiques actuels et des dangers qu’ils recèlent, l’Europe est plus que jamais nécessaire, mais une Europe fort différente de celle qui a été bâtie ces dernières décennies. Les erreurs de conception ont été diverses et ce sont ces erreurs qui nous ont conduits dans l’impasse.
Tout d’abord, le péché originel des pères fondateurs : avoir commencé par le marché et avoir méprisé la culture. Comment un quelconque patriotisme européen pouvait-il naître du marché ? Force est de constater qu’à cause de cette erreur, l’Europe n’est jamais devenue cette entité politique qu’elle avait vocation à être.
Deuxième erreur, liée à la première : n’avoir jamais construit l’Europe sociale et avoir laissé s’installer une terrible fracture territoriale. Aujourd’hui, ce sont les laissés-pour-compte de certaines zones rurales ou de quartiers réputés difficiles qui se réfugient dans le vote populiste, en faveur du Brexit ou de l’extrême-droite européenne, sans réaliser que ce vote aggravera encore leur situation.
Troisième erreur : avoir organisé la domination du Sud de l’Europe par le Nord, évolution déjà dénoncée en leur temps par Paul Valéry et Albert Camus. Cette domination a atteint son paroxysme il y a quelque temps avec l’humiliation de la Grèce par les forces politico-financières monopolisées par le Nord. La Grèce, pourtant à l’origine de l’Europe, la Grèce qui a tant apporté à notre continent sur les plans intellectuel et moral et que nous vénèrerions tous si nous n’avions perdu la mémoire.
Enfin, quatrième erreur : avoir conçu l’Europe comme un contrat entre Etats constitués en oubliant les vraies nations, celles qui sont présentes aujourd’hui à nos Ghjurnate. Mais à présent certaines de ces nations, à l’instar de la Catalogne ou de l’Ecosse, avancent fermement vers leur souveraineté tout en affirmant leur volonté de participer à une nouvelle aventure européenne. La Corse et d’autres nations sans Etat veulent également suivre ce chemin. Car nous n’avons pas le droit de désespérer de l’Europe, dont il faut pourtant obtenir la réorientation. Séparément, nous ne pouvons rien face aux maîtres de l’Union, même s’ils sont aujourd’hui affaiblis par leur échec patent. Mais ensemble, nous pouvons imposer la construction d’une nouvelle entité, pleinement politique, car l’épanouissement de nos nations représente non seulement une richesse considérable, mais la seule garantie de l’adhésion des peuples au projet européen.
Aussi, nous devons exiger d’une même voix la refondation de ce projet et l’avènement d’une Europe des peuples, d’une Europe sociale, d’une Europe de la culture, d’une Europe à la direction de laquelle le Sud et le Nord participeraient à parité.
La question des menaces islamistes
J’en viens à une préoccupation actuelle qui a été il y a quelques jours l’occasion d’une résolution importante de l’Assemblée de Corse: le fanatisme islamiste, que l’on ne saurait confondre avec l’islam, menace tout le continent européen. En Corse même, l’inquiétude n’est pas absente. Dans un tel contexte, cette inquiétude se comprend. Elle est légitime. En revanche la peur et sa sœur jumelle, la haine, sont mauvaises conseillères. Nous vous demandons solennellement de rejeter les tentations globalisantes instillées en Corse par des idéologies importées. Nous vous demandons de ne pas écouter les oiseaux de malheur et les Cassandres intéressées qui, en France comme ailleurs, ont fait de la peur un fonds de commerce; ceux qui misent sur le chaos pour prendre le pouvoir à Paris. Nous vous demandons de ne jamais suivre ces Thénardier de la politique qui, sur les bords de la Seine, ambitionnent misérablement de devenir des profiteurs de guerre.
Nous demandons aussi aux Corses déjà tombés dans le piège, d’ouvrir les yeux et de relire leurs livres d’histoire du XXe siècle. L’honneur de la Corse a été de se démarquer des démarches de haine puis de les combattre, et de les combattre victorieusement. Dans les moments de grand péril, le peuple corse a toujours trouvé en lui les ressources nécessaires pour faire face aux agressions. Il n’a jamais adhéré à ce que la France a produit de pire. Il est en revanche demeuré attentif à ce qu’elle a produit de meilleur. Mais c’est en lui et en lui seul qu’il a puisé la force de dire non à ce qui ne pouvait être accepté, et notamment, au XXe siècle, à la barbarie fasciste et nazie.
Aujourd’hui, c’est en son propre sein qu’il cherchera les armes politiques et spirituelles pour faire face aux barbares du XXIe siècle. Le poète nous enseigne qu’une collectivité humaine peut prendre deux formes: celle du peuple et celle de la foule. Le peuple est celui qui fait face, avec son cœur et sa raison. La foule est celle qui piétine l’intelligence et la morale, la foule est celle qui lynche l’innocent déjà à terre.
Le peuple Corse est un peuple de vieille civilisation. Il sait que l’on ne combat pas la barbarie en étant injuste, car on devient alors barbare soi-même. Au cours de son histoire mouvementée, il lui est arrivé de répliquer et de frapper comme la foudre. Mais il frappait alors les coupables eux-mêmes. En prenant garde de rester, toujours, du côté de la justice, du côté de la raison. Avoir raison est la plus grande force.
Compte tenu des développements de ces derniers mois, nul ne peut dire ce que les temps à venir réserveront au monde, à l’Europe et à la Corse. Mais quoi qu’il en soit, si quelque événement devait survenir ici, nous vous demanderons de repousser toute tentation de réponse individuelle ou d’initiative désordonnée, qui diviserait immanquablement notre société et nous rendrait vulnérables face à un ennemi qui veut précisément obtenir ce résultat. Dans une telle situation, vous pourrez compter sur nous car nous sommes les responsables politiques que vous vous êtes donnés. Il est vrai que nous ne disposons malheureusement pas pour l’heure, sur le plan juridique, de la compétence et donc des moyens nécessaires pour assurer nous-mêmes directement la protection des Corses. Mais sur le plan politique et moral, nous détenons cette compétence, car nous sommes les seules autorités publiques démocratiquement élues par nos compatriotes. Aussi, nous travaillons déjà sur ces questions, y compris sur un plan technique, et nous nous préparons à assumer pleinement cette fonction dès que le moment sera venu. En attendant et depuis plusieurs mois, nous demandons régulièrement des comptes à l’administration française sur la façon dont la sécurité est assurée dans l’île. Des réponses nous sont données. Nous les confrontons aux nombreux renseignements dont nous disposons de notre côté.
Dans le contexte actuel tel que nous le percevons, nous réitérons avec force l’exigence formulée à notre initiative par l’Assemblée de Corse il y a quelques jours: la fermeture immédiate des lieux de prières où se tiennent des propos incompatibles avec les valeurs du peuple corse, seule communauté de droit sur cette terre, ainsi que l’expulsion des religieux ou pseudo-religieux qui les tiennent. Le salafisme et autres courants intégristes n’ont aucune place dans notre pays.
Quant aux Corses, nous leur demandons de conserver leur calme et de nous faire confiance. Quoi qu’il arrive, nous serons là pour prendre nos responsabilités.
Cinq ans
Il nous reste à présenter notre projet pour les années à venir. Nous nous donnons cinq ans pour changer radicalement les choses dans ce pays, ce qui suppose que les Corses nous réaffirment leur confiance en décembre 2017.
Nous nous donnons cinq ans pour changer les pratiques politiques et instaurer une parfaite transparence dans la vie publique. Oui, nous bâtissons déjà cette « maison de cristal » chère à Pasquale Paoli. Nous avons pris des initiatives en ce sens, avec notamment la mise en œuvre du Comité d’évaluation des politiques publiques qui se réunira dans quelques semaines. Les usagers en seront partie prenante et ils pourront vérifier comment est utilisé l’argent public. Dans le même esprit d’ouverture, nous installerons à la rentrée l’Assemblée corse des jeunes, afin d’intégrer notre jeunesse aux institutions, d’en faire un gisement d’idées c’est-à-dire une ressource pour l’action publique, et de réduire la fracture entre les jeunes et la politique. Ainsi, pour se faire entendre, nos enfants n’auront pas besoin de passer leurs « nuits debout ».
Nous nous donnons cinq ans pour réduire la fracture territoriale entre urbain et rural, entre centre-ville et quartiers réputés difficiles, cinq ans pour mettre les services publics, le numérique et l’accès à la culture à la disposition de tous.
Nous nous donnons cinq ans pour placer l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur au centre du développement et pour jeter les bases de cette « société apprenante » porteuse d’avenir.
Nous nous donnons cinq ans pour faire aboutir l’ensemble des dossiers stratégiques, qu’il s’agisse des transports internes ou extérieurs – je pense ici tout particulièrement à la compagnie maritime publique de la Corse que nous sommes en train de construire -, qu’il s’agisse de la politique des déchets ou de celle de l’énergie.
Nous nous donnons cinq ans pour engager un développement économique dynamique et équilibré, pour relancer nos activités agricoles, touristiques, artisanales.
Nous nous donnons cinq ans pour obtenir de Paris et de Bruxelles toutes les dérogations au droit commun qui nous sont nécessaires dans le cadre du « Statut fiscal et social » en cours d’élaboration, ainsi que la nécessaire corsisation des emplois.
Nous nous donnons cinq ans pour faire de la Corse un pays capable de faire vivre tous ses enfants, y compris ceux de la diaspora qui désireront revenir.
Nous nous donnons cinq ans pour négocier avec la France et mettre en place, non seulement les nouvelles institutions dont nous avons besoin, mais l’officialisation de notre langue et le statut de résident pour protéger nos terres et nos maisons.
En revanche, nous n’attendrons pas cinq ans pour établir les rapports de force politiques suffisants pour faire libérer nos prisonniers et cesser les poursuites contre les recherchés.
Voilà ce que nous allons faire dans les cinq années à venir si les Corses continuent à nous accorder leur confiance. Cinq années pour tout changer, mais les premiers effets de ce bouleversement politique que nous opérons ne tarderont pas à se faire sentir, comme nous l’assure l’optimisme que nous tenons de notre volonté. Cette volonté qui nous a déjà conduits là où nous sommes arrivés.
La Corse que nous voulons construire sera ce pays où chaque enfant, quelle que soit l’origine de ses parents, pourra pratiquer notre langue et notre culture et donc vivre la société corse comme la vivent nos propres enfants.
La Corse que nous voulons construire sera ce pays où chaque enfant, quel que soit le niveau social de sa famille, pourra s’élever jusqu’au plus haut degré de bien-être matériel et moral.
La Corse que nous voulons construire sera une terre où l’éducation, la culture, la santé seront à la disposition de chacun, quel que soit son lieu de résidence.
Un pays où il n’y aura plus un seul étudiant ou un seul retraité dans la précarité, plus un seul travailleur pauvre. Sur une terre bénie des dieux comme la nôtre, aussi riche de potentialités, ce genre de situation constitue une insulte au bon sens et à la morale.
Voilà donc le projet auquel nous nous attelons, tous les jours, sans compter nos efforts, faites-nous en le crédit.
Le 17 décembre, nous avons prêté serment devant vous. Ce serment, nous l’avons à l’esprit chaque jour. Nous n’avons pas de pouvoir magique mais nous avons notre foi, notre amour, notre détermination. Aussi, je veux vous faire partager cette conviction: en cinq ans, nous bâtirons ce nouvel étage de la maison nationale, soyez-en assurés. Car depuis décembre dernier, quelque chose a changé : le temps qui travaillait jusqu’alors contre nous, travaille désormais pour nous. Dans cinq ans la situation de notre peuple ne sera plus la même.
Mais nous ne pourrons y arriver que si vous êtes à nos côtés. Et je m’adresse en premier lieu aux militants de Corsica Libera, mais aussi à l’ensemble des Corses.
Par votre soutien, donnez-nous la force de servir, chaque jour, en allant chercher en nous-mêmes le meilleur dont nous sommes capables.
Par votre mobilisation, aidez-nous à faire plier Paris.
Date ci a forza per travaglià ogni ghjornu à u bè cumunu.
Date ci a forza per oppone ci à quelli chì a Corsica, a volenu sempre sottumessa.
Date ci a forza per riunisce i Corsi.
Date ci a forza per cunvince.
Date ci a forza per custruisce.
Date ci a forza è demu ci l’avvene!
Evviva a nazione!
Evviva a Corsica!
Meeting de clôture des Ghjurnate Internaziunale U 7 d’agostu di u 2016
Discorsu di u Presidente Jean-Guy TALAMONI