A l’initiative du Président de l’Office des Transports de la Corse, Jean Félix Acquaviva, une délégation d’élus conduite par Gilles Simeoni* s’est rendue à Edimbourg et Glasgow pour analyser le modèle écossais de service public de transports maritimes en vue de desservir les nombreuses îles de la très découpée côte Ouest, the Islands, ou bien les Orcades et les îles Shetland en Mer du Nord. Les élus nationalistes présents n’ont pas manqué non plus, au lendemain du vote sur le Brexit et alors que la First Minister écossaise Nicola Sturgeon était le jour même à Bruxelles pour plaider la cause de l’Ecosse en Europe, de marquer leur solidarité avec le Scottish National Party, avec le soutien du Président de l’Alliance Libre Européenne, François Alfonsi.
Description du modèle écossais
Le modèle écossais étudié par la délégation corse a été mis en place à compter de 2006, sur la base d’une double volonté politique du gouvernement autonome de l’Ecosse : assurer un service public de qualité pour la desserte de ses îles, et fonder un modèle économique et juridique durable au regard du droit européen.
La desserte des populations insulaires d’Ecosse est difficile et coûteux. 140 millions d’euros y sont consacrés chaque année, sensiblement autant que la dotation de continuité territoriale maritime de la Corse. Il y a peu d’habitants qui y vivent, 60.000 pour the Islands à l’Ouest, dispersés sur de nombreuses îles, avec autant de lignes et de ports à desservir sur de courts trajets qui font penser à un profil Corse-Sardaigne, et 50.000 habitants au Nord Est, tout à fait à l’opposé, en Mer du Nord, vers les Orcades et les Shetland, archipels dotés l’un et l’autre d’un port principal situé loin des côtes, sur des trajets analogues à celui entre la Corse et Marseille. Un troisième service assure la liaison avec l’île de Rathlin.
La délégation a visité deux jours durant les installations desservant la partie des Islands situées au large de Glasgow, et rencontré les dirigeants des sociétés publiques qui ont la responsabilité de leur gestion.
L’architecture du dispositif écossais est fondée sur une gouvernance politique directe de la part du gouvernement écossais, à travers son investissement dans des sociétés de droit privé à capitaux publics, tout en développant des procédures respectant le droit européen de la concurrence.
Deux sociétés ont ainsi été créées, dont l’actionnaire unique est la collectivité écossaise. La première gère les investissements-supports de la desserte, à savoir les ports et les navires, tandis que la seconde gère leur exploitation.
Pour imager le dispositif, l’ensemble formé par les navires et les pontons d’embarquement et de débarquement est une sorte de « route de la mer » dont la collectivité assure la maîtrise à travers une société d’investissement, la CMAL (Caledonian Maritime Assets Limited), avec un actionnaire unique, le gouvernement écossais.
La CMAL a acquis et gère 31 navires, de taille différente selon les îles à desservir, et 22 ports, soit les deux tiers des points d’embarquement et de débarquement des passagers et des véhicules sur ces îles. L’ensemble – les navires et leurs équipages + les ports et leurs aménagements- forme un réseau assimilable à une « route de la mer » qui est ainsi placée sous la responsabilité directe de la CMAL qui y réalise les investissements, navires et gares maritimes, et dont l’exploitation est ensuite confiée via une délégation de service public d’une durée de huit ans à une société d’exploitation via un appel d’offres européen.
La société d’exploitation en charge de la desserte doit ensuite assurer les lignes prévues selon le cahier des charges de l’appel d’offres, selon les fréquences demandées et aux tarifs préconisés. La société attributaire se doit de reprendre les marins qui sont attachés aux navires, et l’offre finalement retenue est celle qui est économiquement la plus rentable. Le marché de la desserte des îles écossaise est divisé en trois secteurs géographiques qui font l’objet d’appels d’offres séparés, auxquels concoure l’autre société publique appartenant au gouvernement écossais, la CalMac (Caledonian MacBrayne), opérateur historique sur ces lignes en Ecosse, mais qui a dû se réformer pour affronter la concurrence. Lors du dernier appel d’offres, la CalMac a remporté deux des trois marchés, et perdu le troisième. Pour autant, les marins et employés du port liés à ce troisième marché ont gardé leur travail aux conditions acquises avec le repreneur qui compte sur son dynamisme commercial pour mieux remplir ses bateaux et donc dégager davantage de revenus que la gestion de CalMac. D’où son offre plus compétitive.
Parallèlement CalMac se professionnalise en tant qu’opérateur dans le domaine maritime, et propose de gérer des lignes ou des ports ailleurs qu’en Ecosse pour être moins vulnérable en cas de perte d’un de ses marchés historiques. Ainsi les dirigeants venaient-ils de remporter un appel d’offres en Angleterre pour gérer un port militaire appartenant à la Navy. Pour les dirigeants de la société, et pour la Commission Européenne qui est très vigilante sur le respect des conditions de la concurrence, ce sont des signes tangibles qui valident le modèle : un concurrent plus compétitif a réussi à concurrencer CalMac sur un de ses marchés historiques, et en remportant un marché extérieur, CalMac a prouvé qu’elle était elle-même un acteur compétitif qui a gagné « à la régulière », même si elle est Compagnie régionale, les deux autres appels d’offres lancés par la CMAL.
La transposition en Corse
Le schéma écossais, qui sépare ceux qui ont la propriété de la « route de la mer », constituée par les navires et les ports, et ceux qui les exploitent au quotidien, rejoint les réformes que réalisent les grandes sociétés issues des monopoles d’Etat désormais contraintes d’accepter la concurrence. On le retrouve pour EDF qui a séparé les réseaux de transport d’électricité (ERDF) et EDF qui les exploite, pour la SNCF qui s’est séparé de la propriété des voies avec Réseaux ferrés de France, etc… Il correspond à un modèle de réorganisation du service public validé par les « gendarmes » européens de la concurrence.
La structuration de « routes de la mer » pour la desserte des ports corses depuis Marseille en s’inspirant du modèle écossais est le projet de l’Exécutif, que Jean Félix Acquaviva voulait faire connaître aux groupes de l’Assemblée de Corse qui sera saisie de ses propositions à cet effet. Pour les navires, dont l’Office des Transports espère qu’il reviendront logiquement à la Corse en tant que « biens de retour » puisqu’ils ont été – très largement- financés durant toutes ces années par la dotation de continuité territoriale, il propose de les regrouper au sein d’une société régionale d’investissement. Les navires seraient ensuite proposés à des sociétés d’exploitation, avec comme salariés des marins dont les postes de travail seront attachés aux navires qui les embarquent. La Compagnie Maritime Corse que l’Exécutif propose de créer également serait alors en lice pour prendre à son compte l’exploitation des navires, tout en s’inscrivant dans une démarche concurrentielle selon les normes de la Commission européenne.
Ce montage doterait la Corse d’un véritable outil de développement en lien avec une activité maritime qui peut générer de nombreux développements, au delà du seul périmètre des liaisons fret/passagers avec Marseille. Particulièrement en liaison avec la Collectivité sarde pour dynamiser les liaisons entre les deux îles, ou encore pour développer une liaison avec l’île d’Elbe qui pourrait orienter vers Bastia un flux touristique nouveau. La mise en place suppose encore de nombreuses discussions durant les mois à venir, avec les acteurs économiques qui se sont engagés dans la reprise de la SNCM, avec un opérateur historique comme la CMN, avec les salariés et leurs syndicats. L’extension du concept de « route de la mer » aux ports est aussi étudiée et devra être débattue avec les Chambres de commerce.
En tout état de cause, après vingt ans de procédures judiciaires successives devant les institutions européennes, qui ont mené la SNCM et la CTC avec elle sur des chemins truffés d’embûches, l’exemple écossais montre que le souci de promouvoir un service public de qualité, avec des conditions sociales favorables, un bilan économique positif et une véritable maîtrise des choix politiques sont compatibles avec les règlements européens. A condition de remplir une condition essentielle, qui est la base de tout : mettre en place des outils compétitifs aptes à affronter la concurrence.
C’est le chemin que la Corse doit emprunter à son tour.
*José Rossi et Antoine Ottavi représentaient les groupes de la droite et de la la gauche au sein de l’Assemblée de Corse, Guy Armanet le groupe Femu a Corsica et Marie Simeoni le groupe Corsica Lìbera. Egalement présents : Jean François Santoni, directeur, et Jean Toussaint Mattei de l’Office des Transports, et Alex Vinciguerra, directeur de la Cadec. Le voyage était organisé par le bureau Odyssée basé à La Rochelle.